par Raoul Sachs

"C'est la première épreuve du feu de l'euro", dit Antoine Brunet, économiste responsable du cabinet de consultant AB Marchés, qui note que la crise financière a bousculé l'ordonnancement de l'euro et introduit de fortes divergences des taux d'intérêt à long terme à l'intérieur de la zone.

Jacques Delors, père de l'UEM, a lui aussi des réserves. "L'euro protège mais il ne dynamise pas", dit l'ancien président de la Commission européenne dans une interview publiée lundi par La Tribune. "L'euro constitue une protection même contre les bêtises que l'on peut faire."

Les marchés financiers de 12 pays de l'Union européenne ont basculé dans l'euro le 1er janvier 1999. La veille, les ministres des Finances de l'UE avaient fixé définitivement et irrévocablement les parités de leurs monnaies entre elles et avec la nouvelle monnaie.

Les citoyens européens ont dû attendre le 1er janvier 2002 pour que cette révolution se matérialise avec la mise en circulation des pièces et des billets en euro qui remplaçait déjà le franc, le mark, la lire, la peseta et les autres monnaies sur les places boursières de l'UEM.

Cet événement sans précédent a été le fruit d'un long processus de convergence des économies des pays candidats à l'euro vers les performances du "meilleur de la classe", l'Allemagne.

Une Allemagne dont l'opinion, traumatisée par l'hyperinflation des années 1930, était très réticente à abandonner une monnaie refuge comme le mark au profit d'un incertain euro qu'il fallait partager avec des pays réputés, à tort ou à raison, moins rigoureux en matière de maîtrise des finances publiques comme l'Italie, la Grèce, appelés avec condescendance à Francfort "les pays du 'Club Med'".

La convergence visait à harmoniser au sein de la zone euro les taux d'inflation, les déficits publics, les stocks de dette publique et les taux d'intérêt à long terme, les taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE) - qui encadrent le marché monétaire de l'euro (taux courts) - étant les mêmes pour tout le monde.

RETOUR DE LA PRIME DE RISQUE

"Succès incontestable", a dit la Commission européenne qui a célébré les 10 ans de l'euro début mai, retenant la date du Sommet européen qui a pris, en mai 1998 à Bruxelles, la décision historique d'introduire l'euro le 1er janvier 1999.

"L'UEM a ouvert une période sans précédent de stabilité des prix et de taux d'intérêt peu élevés", estime la Commission dans son bilan de 10 ans d'UEM.

Elle précise que ces dix dernières années l'inflation oscillait autour de 2% en moyenne contre parfois plus de 10% dans certains pays dans les années 1990.

"Cela a entraîné une diminution des taux d'intérêt à long terme jusqu'à moins de 4%, la moitié de leur niveau des années 1990".

La Commission ajoute que les déficits publics des pays de l'UEM sont tombés à un plus bas record en 2007 de 0,6% du PIB de la zone euro en moyenne contre une moyenne de 4% entre 1980 et 1990. Le Traité de Maastricht qui instaure l'UEM impose des plafonds de déficits publics à 3% du PIB et un stock de dette limité à 60% du PIB.

La marche vers l'euro s'est traduite par une forte convergence des taux d'intérêt des emprunts à 10 ans des Etats composant la zone euro (16 aujourd'hui avec l'arrivée entre 2004 et 2008 de la Slovénie, de Chypre, de Malte et de la Slovaquie).

Mais depuis le début de la crise financière, l'écart (spread) de taux entre l'emprunt d'Etat de référence à 10 ans de la zone euro - le Bund allemand - et celui de bon nombre d'emprunts d'autres Etats de l'UEM s'est fortement creusé.

La crise financière, la récession, les plans de relance budgétaires et l'accroissement des émissions de dette des Etats risquent de peser à terme sur les taux longs.

Depuis le début de la crise, des pays comme la France, les Pays-Bas, la Grèce ou l'Italie paient plus cher pour emprunter, les investisseurs en quête de sécurité exigeant une prime de risque plus élevée.

L'écart de rendement entre l'OAT française à 10 ans et le Bund allemand à 10 ans est ainsi passé de 0,05% début 2007 à 0,43% aujourd'hui. L'écart entre le BTP italien et le Bund est lui passé de 0,33% en 2007 à 1,44%.

"L'euro a écrasé pendant longtemps la prime de risque", a expliqué Pascal Blanqué, directeur de la gestion. "On retrouve une situation du type de celle d'avant l'euro avec des 'spreads' très écartés", a-t-il ajouté.

"Cette hausse du risque s'explique en grande partie par la situation des finances publiques et la hausse de l'endettement à venir", estime Philippe-Henri Burlisson, responsable de la gestion taux chez Groupama Asset Management.

Raoul Sachs, édité par Jacques Poznanski