PARIS, 1er novembre (Reuters) - Un ralentissement de la demande en véhicules électriques, une concurrence chinoise accrue et des marchés financiers turbulents compliquent le projet d'introduction en Bourse de la future entité électrique de Renault, Ampère, appelée à jouer un rôle central dans la transformation du groupe automobile plus que centenaire, ont dit à Reuters quatre sources proches du dossier.

Plusieurs analystes ont récemment mis en doute la capacité du groupe au losange d'obtenir la valorisation espérée de jusqu'à dix milliards d'euros pour sa future pétite, avec des estimations aussi basses que 3-4 milliards d'euros dans un cas et cinq milliards dans un autre, ou suggéré que le constructeur automobile français se tourne vers des options alternatives pour lever des fonds.

Certains investisseurs restent aussi prudents, et selon un gérant de fonds européen, s'exprimant sous couvert d'anonymat, les conditions de marché sont telles qu'elles pourraient à terme conduire Renault à accepter n'importe quelle valorisation que les investisseurs sont prêts à fixer pour Ampère, s'il veut que l'IPO ait lieu.

L'introduction en Bourse, programmée initialement au second semestre "au plus tôt" et maintenant envisagée pour le printemps 2024, doit permettre au constructeur d'extraire davantage de valeur de son activité électrique et logiciels et jouer un rôle central dans la restructuration de Renault pour rester dans la course accélérée à l'électrification.

Plusieurs entreprises européennes, dont DKV Mobility, l’Allemand Renk et le Français Planisware, sont récemment revenus sur leur intention d’entrer en Bourse tandis que des constructeurs automobiles comme Tesla ont mis en garde contre un ralentissement de la croissance des véhicules électriques à cause des taux d'intérêt élevés.

Mais selon deux sources proches du dossier, il est improbable que l'IPO aille jusqu'au bout si la valorisation finale ressort à 7 milliards d'euros, ou moins.

Une des sources a précisé que ce point pivot était plus proche de six milliards. Et pour les deux sources, même à ces niveaux, le projet pourrait s'avérer compliqué à mener à terme au vu des conditions de marché actuelles. L'opération est au coeur de la restructuration radicale du groupe Renault engagée depuis l'arrivée de Luca de Meo en 2020. Conçue comme un "disrupteur", l'entité entend se doter d'une image de pure player de l'électrique et des logiciels face aux ambitions de nouveaux entrants comme Tesla ou les marques chinoises.

A côté d'Ampère, Renault a déjà scindé ses activités historiques de motorisations thermiques au sein d'une co-entreprise détenue avec le chinois Geely et le saoudien Aramco. Sa stratégie d'ouverture tous azimuts à de nouveaux partenaires va de pair avec un assouplissement de son alliance de plus de vingt ans avec Nissan.

Renault, qui tiendra un très attendu capital market day (CMD) pour présenter en détail sa future entité au marché le 15 novembre, a indiqué dans une déclaration transmise par e-mail à Reuters qu'"Ampère mérite de se négocier à des multiples plus proches de ceux de ses pairs."

"Ampère est le seul pure player européen de l'électrique et des logiciels, avec un profil de croissance à faible risque d'exécution", a ajouté le groupe.

Tout en reconnaissant des vents contraires sur le marché de l'électrique, Renault a précisé que tout le monde y était confronté. "Il y aura des hauts et des bas, dont une pression sur le court terme, mais le point d'arrivée est clair", a poursuivi le groupe.

Renault a également rappelé qu'avec davantage de lancements de modèles électriques que de modèles thermiques en Europe cette année, cette technologie a atteint une part de marché de 20% en Europe et devrait jouir d'une croissance annuelle de 20% d'ici 2030.

JUSQU'A DIX MILLIARDS ?

Les constructeurs européens et les responsables politiques se sont également émus du risque de "vague" de véhicules électriques bon marché en provenance de Chine.

Dans une interview au Financial Times, le directeur général du constructeur français Luca de Meo avait déclaré début septembre, lors du salon de l'automobile de Munich, que l'entité pourrait valoir jusqu'à dix milliards d'euros, un chiffre supérieur à la propre capitalisation boursière actuelle du groupe Renault, qui est de 9,5 milliards.

Quelques jours plus tôt, les analystes d'UBS avaient estimé que la valorisation d'Ampère pourrait n'être que de 3 à 4 milliards d'euros car Renault est l'un des constructeurs européens les plus exposés à la concurrence chinoise en Europe.

Le groupe a souligné qu'UBS - et Barclays, avec un chiffre de cinq milliards d'euros - avaient les deux plus basses estimations déjà sorties.

"Les analystes ne peuvent pas encore modéliser correctement Ampère car il leur manque des (indicateurs) financiers qui seront dévoilés au fur et à mesure que l'on se rapproche de l'IPO", a ajouté Renault.

Dans une lettre ouverte à Luca de Meo, les analystes de Bernstein ont pour leur part préconisé que Renault active à la place l'option de la vente d'une partie de sa participation - 28% - dans son partenaire de plus de vingt ans Nissan.

UN PROJET CLE POUR RENAULT

Les sources proches du dossier ont souligné que malgré la dégradation des marchés, Renault restait fermement décidé à poursuivre l'introduction d'Ampère en Bourse, qui prévoirait un flottant d'environ 20% du capital de l'entité.

Celui-ci viendrait s'ajouter aux 10% environ revenant aux deux partenaires historiques Nissan et Mitsubishi, qui se sont engagés à investir respectivement jusqu'à 600 et 200 millions d'euros dans Ampère.

Selon les sources, Renault conserverait ainsi entre 60% et 70% de l'entité, mais ces éléments restent préliminaires et encore soumis à des ajustements.

D'autres constructeurs spécialisés dans l'électrique ont souffert en Bourse ces derniers mois. Polestar, la marque électrique co-détenue par Volvo et Geely, valait environ 20 milliards de dollars lors de son introduction en Bourse l'an dernier, mais plus que 4 milliards aujourd'hui.

Le cours de Tesla a lui aussi effacé près du quart de sa valeur en moins de deux mois.

L'introduction d'Ampère devrait inclure un mélange d'actions apportées par Renault et d'actions nouvelles et pourrait intervenir dès avril 2024, a ajouté une des sources, toujours à condition que l'environnement de marché le permette. (Mathieu Rosemain, Silvia Aloisi, Anousha Sakoui, Pablo Mayo Cerqueiro, Elisa Martinuzzi, avec Gilles Guillaume)