* Le lobby des armes à feu est dominant depuis vingt ans

* La défaite d'Al Gore a laissé un goût amer aux partisans du "gun control"

* Le financement électoral peut changer la donne

par David Ingram

WASHINGTON, 16 décembre (Reuters) - La tuerie de Newtown, dans le Connecticut, est un argument de plus pour les associations qui militent pour un durcissement de la législation sur les armes aux Etats-Unis mais doivent convaincre les parlementaires que le sujet ne fera pas fuir les électeurs.

Douze fillettes et huit petits garçons âgés de six et sept ans et six femmes sont tombés vendredi sous les balles d'Adam Lanza, qui a semé la mort dans l'école primaire Sandy Hook de cette petite ville du Connecticut avant de retourner son arme contre lui. (voir )

Avant même cette nouvelle tragédie, les associations de lutte pour un contrôle des armes militaient activement auprès des élus du Congrès pour contrer le lobbying de la National Rifle Association (NRA).

Depuis une vingtaine d'années, la NRA a réussi à bloquer toute initiative visant à durcir la législation sur les armes à feu. En 2004, le Congrès n'a pas reconduit l'interdiction des armes d'assaut semi-automatiques qui avait été votée dix ans plus tôt.

"Les militants prônant des lois raisonnables sur les armes doivent faire en sorte que les politiciens qui y sont hostiles tremblent quant à leurs perspectives de réélection", souligne Jim Kessler, dirigeant du groupe démocrate Third Way.

"La NRA y arrive très bien. L'autre camp doit faire de même, c'est le combat dans lequel ils sont engagés", ajoute-t-il.

De l'issue de ce combat pourrait dépendre le débat que la tuerie de Newtown a relancé.

LOBBYING CONTRE LOBBYING

Le maire de New York, Michael Bloomberg, partisan d'un contrôle des armes et co-président de l'Association des maires contre les armes illégales, a donné le ton: il a contribué à faire battre le 6 novembre dernier un des élus démocrates de Californie à la Chambre des représentants, Joe Baca, favorable à la libre détention d'armes, en dépensant 3,3 millions de dollars pour la campagne de son adversaire, Gloria Negrete McLeod.

D'autres résultats des scrutins du 6 novembre ont été favorables aux partisans du "gun control".

Sur les sept élections sénatoriales dans lesquelles la NRA s'est financièrement engagée, seul le républicain Jeff Flake l'a emporté, dans l'Arizona. Les six autres candidats soutenus par le lobby des armes à feu ont été battus.

"Pendant longtemps, l'idée était que si vous ne votiez pas dans le sens voulu par la NRA, vous seriez battu. L'expérience Baca montre que voter dans le sens voulu par la NRA peut se traduire par votre défaite, et j'espère que les élus du Congrès l'ont bien vu", a déclaré à Reuters Howard Wolfson, le premier adjoint de Bloomberg à la mairie de New York.

La NRA, qui compterait quatre millions d'adhérents, y a vu pour sa part une "anomalie" liée à la forte participation des jeunes électeurs, mobilisé par Obama, à ces scrutins organisés le même jour que l'élection présidentielle.

"Dans des circonstances normales, nous aurions fait une énorme différence", a dit le président de l'association, David Keene, qui ajoute que les idées défendues par son groupe sont toujours majoritaires à la Chambre des représentants comme au Sénat.

D'après un sondage Reuters/Ipsos réalisé en avril, 68% des Américains auraient une opinion favorable sur la NRA, qui s'est gardé de tout commentaire depuis le massacre de l'école de Newtown "tant que les faits n'auront pas totalement établis".

LE "PRÉCÉDENT" AL GORE

Dans les heures qui ont suivi la tragédie, Barack Obama, au bord des larmes, est intervenu pour sa part sur les chaînes de télévision nationales pour exprimer son émotion et appeler à des "actions significatives pour éviter de nouvelles tragédies de ce type".

Michael Bloomberg lui a répondu en estimant que le pays attendait désormais de lui qu'il envoie un projet de loi au Congrès. (voir )

Après la tuerie dans le cinéma d'Aurora, qui a fait douze morts et 58 blessés en juillet, en pleine campagne présidentielle, Barack Obama avait déjà exhorté "la famille américain à se rassembler et voir comment elle peut mettre un terme à tout cela".

Comme alors, il n'est pas allé vendredi jusqu'à se prononcer en faveur d'un durcissement de la législation.

La prudence de la classe politique sur cette question des armes remonte au moins à l'élection présidentielle de 2000. A l'époque, le démocrate Al Gore avait perdu les Etats de l'Arkansas, du New Hampshire et du Tennessee, où l'opinion est très majoritairement ralliée au lobby pro-armes.

Des débats sans fin ont animé les politologues pour déterminer si sa prise de position en faveur d'un encadrement strict des armes à feu lui avait coûté ces Etats, et donc la victoire sur George Bush. Les démocrates ont tranché en estimant que le parti devait cesser de militer pour le "gun control", trop dangereux en termes électoraux.

L'accumulation des fusillades semble sans effet sur l'opinion, où les partisans d'un contrôle des armes à feu sont en déclin régulier depuis vingt ans.

Fin juillet, une semaine seulement après la tuerie d'Aurora, le Pew Research Center interrogeait un échantillon d'Américains: 47% jugeaient que cette fusillade rendait plus important un contrôle des armes, 46% estimaient à l'inverse qu'elle rendait plus importante la protection du droit constitutionnel à être armé. (Henri-Pierre André pour le service français)