Paul Hannon,

The Wall Street Journal

LONDRES (Agefi-Dow Jones)--L'économie mondiale se heurte à une nouvelle perturbation. La décision de la Russie de déployer des troupes dans deux provinces séparatistes d'Ukraine et la perspective de nouvelles sanctions européennes et américaines contre Moscou accroissent les risques pour une économie mondiale déjà ébranlée par des problèmes d'approvisionnement et une inflation élevée, due notamment à la flambée des prix de l'énergie, qui est encore accentuée par les tensions russo-ukrainiennes.

Lundi soir, le président russe, Vladimir Poutine, a ordonné à l'armée de pénétrer dans deux régions séparatistes d'Ukraine après avoir reconnu leur indépendance. Cette décision risque de faire échouer les négociations avec l'Occident sur la sécurité de l'Europe de l'Est et d'entraîner une série de représailles, dont des sanctions économiques.

Dans ce contexte, les cours du pétrole bondissent, le Brent de mer du Nord approchant de la barre des 100 dollars le baril. Les cours d'autres matières premières exportées par la Russie et l'Ukraine, comme le gaz naturel, le blé, l'aluminium et le nickel, augmentent également. Les grandes entreprises ayant des activités en Russie ou dépendant de matières premières en provenance de ce pays ont prévenu qu'elles se préparaient à des perturbations.

Premières sanctions européennes

L'Allemagne a ainsi annoncé qu'elle suspendait indéfiniment son projet de certification du gazoduc Nord Stream 2, qui devait accroître les volumes de gaz russe à destination de l'Allemagne, en réponse à l'intervention militaire de la Russie. L'Union européenne (UE) a de son côté a annoncé son intention de limiter l'accès de l'Etat et du gouvernement russes aux marchés de capitaux et financiers européens.

Cette mesure fait partie d'une première série de sanctions contre la Russie qui doivent être formellement adoptées mardi après-midi, suite à une réunion informelle des ministres des affaires étrangères des pays membres de l'UE, ont indiqué la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel, dans un communiqué commun.

Le Premier ministre britannique a également annoncé une première vague de sanctions "visant les intérêts économiques russes aussi durement que nous le pouvons". Boris Johnson a précisé que le Royaume-Uni allait sanctionner cinq banques russes et trois personnes très fortunées. "Tous les avoirs qu'ils détiennent au Royaume-Uni seront gelés, les personnes concernées auront l'interdiction de se rendre [au Royaume-Uni] et nous interdirons à toutes les personnes et entités britanniques d'avoir des relations avec eux", a indiqué le Premier ministre.

Pressions sur l'approvisionnement et le fret

L'Europe devrait subir l'essentiel du poids économique de ces décisions, le continent étant très dépendant de l'énergie russe et certaines banques et entreprises européennes risquant d'être touchées par les sanctions. Ces mesures, bien qu'elles visent des entités russes, pourraient créer de nouveaux problèmes d'approvisionnement pour les entreprises occidentales, notamment en compliquant le financement des achats de matières premières de leurs filiales en Russie ou l'envoi de composants dans ce pays.

Le directeur général de Renault, Luca de Meo, avait ainsi indiqué aux analystes la semaine dernière qu'en cas d'aggravation de la crise ukrainienne, le principal problème pour le groupe serait de parvenir à livrer à sa filiale russe Avtovaz des pièces provenant de l'étranger.

Le conflit a déjà entraîné une hausse des coûts de transport en Europe. Oleg Solodukhov, associé de la société de conseil en transport maritime The Charterers, basée à Kiev, souligne ainsi que la crise russo-ukrainienne a augmenté le coût du fret depuis les ports de la mer Noire de 3 à 5 dollars la tonne.

Une situation plus complexe pour les banques centrales

Pour les grandes banques centrales, qui se préparent à retirer les mesures de soutien mises en oeuvre au début de la crise sanitaire pour contrer l'accélération de l'inflation, les tensions russo-ukrainiennes compliquent une situation déjà difficile. La Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale (Fed) américaine se montreront probalement plus prudentes à l'issue de leurs réunions de politique monétaire le mois prochain qu'elles ne l'auraient été sans cette nouvelle crise.

Le conflit russo-ukrainien ne devrait pas modifier les calculs de la Fed, qui devrait procéder à l'issue de sa réunion des 15 et 16 mars à un relèvement de ses taux d'intérêt. Cependant, les incertitudes économiques nées de la crise devraient affaiblir les arguments en faveur d'une hausse des taux de 50 points de base.

Pour la BCE, la situation tendue en Ukraine rend peu probable une accélération de la trajectoire vers une hausse des taux d'intérêt, compte tenu de l'impact négatif probable sur la croissance et la confiance, a déclaré Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, dans un entretien accordé au Financial Times la semaine dernière. Les investisseurs ont déjà commencé à réduire leurs paris sur la date de la première hausse des taux d'intérêt de la BCE, selon les données du marché monétaire.

L'impact économique dépendra de l'ampleur et de la durée des ambitions de Vladimir Poutine en Ukraine. Les deux enclaves séparatistes dans lesquelles il a fait entrer des troupes lundi étaient déjà en grande partie contrôlées par Moscou. S'il pousse ses troupes plus loin en Ukraine - une perspective que les dirigeants occidentaux considèrent comme possible depuis des semaines - les infrastructures essentielles qui permettent aux deux pays de commercialiser leurs vastes exportations pourraient être menacées. La sévérité des sanctions imposées par Washington, Bruxelles et Londres sera également décisive pour l'ampleur des répecussions du conflit sur les autres économies.

Le spectre de la crise des années 1970 surgit

Certains économistes estiment que dans le pire des cas on pourrait assister à une crise du type de celle des années 1970, avec une diminution des approvisionnements en gaz naturel, pétrole et autres matières premières au moment où la demande des économies qui sortent de la crise sanitaire explose.

La Russie et l'Ukraine représentent à elles deux une part minuscule de la production économique mondiale et ne constituent pas des marchés d'exportation importants pour l'Europe ou les Etats-Unis. Mais à l'heure où la hausse des prix du pétrole, du gaz et d'autres produits de base tels que le blé alimente déjà l'inflation au niveau mondial, toute diminution de l'approvisionnement en provenance de Russie et d'Ukraine risque d'entraîner de nouvelles flambées des prix et d'affaiblir la production économique, en particulier en Europe.

Au Royaume-Uni, le National Institute for Economic and Social Research (NIESR) a effectué des calculs basés sur une augmentation des tensions au point que des sanctions soient imposées aux exportations énergétiques de la Russie ou que la Russie elle-même réduise ses exportations de gaz en représailles à d'autres sanctions. De telles perturbations entraîneraient un ralentissement d'un peu moins d'un point de pourcentage de la croissance économique mondiale cette année, à 3,3%. Pour la zone euro, l'impact serait plus important, avec un ralentissement de la croissance annuelle à 2,1%, à comparer à 3,8% sans les hausses des prix et la baisse des investissements des entreprises que la menace d'une guerre entraînerait, estime le NIESR.

"Les implications générales... rappellent quelque peu la crise énergétique des années 1970", souligne l'institut. "Les hausses de prix et une offre réduite avaient alors gravement perturbé l'activité économique mondiale et entraîné une accélération de l'inflation."

Un quart des importations de pétrole de l'UE provient de Russie

Selon Eurostat, la Russie a représenté 47% des importations de gaz de l'UE au cours des six premiers mois de 2021, soit plus du double de la Norvège, son deuxième fournisseur qui a fourni 21% de ses importations. Sur la même période, la Russie a représenté près d'un quart des importations de pétrole de l'UE, suivie à nouveau par la Norvège avec une part de 9,1%.

"Une diminution substantielle des livraisons de gaz russe à l'Europe serait difficile à remplacer à court terme", écrit Jeffrey J. Schott, chercheur spécialisé dans la politique commerciale internationale et les sanctions économiques du Peterson Institute for International Economics, dans un rapport sur les sanctions possibles.

Un producteur majeur de cuivre et d'aluminium

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February 22, 2022 09:58 ET (14:58 GMT)