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(Easybourse.com) Peut-on dire que le secteur des biocarburants est un secteur stratégique d'un point de vue réglementaire pour le gouvernement brésilien ? A quel titre ?
Historiquement, l'industrie des biocarburants au Brésil, notamment de l'éthanol, est très ancienne. Elle a débuté en 1933 avec la création de l'«Instituto do Açúcar e do Álcool - IAA», qui n'existe plus depuis 1990, pour prendre son réel essor à partir de 1975 avec la création du programme gouvernemental «PROALCOOL».

Déjà à l'époque de la crise pétrolière de 1973, le gouvernement brésilien a voulu favoriser la production comme l'usage de l'éthanol voyant en ce dernier un carburant alternatif de premier plan. Plus récemment et poursuivant le même objectif, le Brésil a adopté une loi sur l'environnement qui impose un mélange de 20 à 25 % d'éthanol dans toute essence vendue. La raison avancée est de lutter contre la pollution et le réchauffement climatique.

Mais l'engouement que l'éthanol rencontre aujourd'hui ne doit pas masquer l'existence des autres biocarburants, comme le biodiesel. Au Brésil, la consommation de ce dernier est en constante progression. D'ailleurs, le législateur, ayant initialement déterminé que le biodiesel devait être mélangé au gazole à hauteur de 2%, a récemment fixé une telle proportion du mélange à 5% d'ici six ans(1) .

Aussi, il ne fait aucun doute que le secteur des biocarburants au Brésil, en raison de son ancrage historique comme de son importance économique, apparaît être un domaine fortement stratégique pour ce pays dans sa phase de développement actuel et à venir. L'attention portée à ce secteur par le gouvernement brésilien est révélatrice d'un tel constat. L'exemple de l'attribution en 2005 de la compétence de la régulation du secteur des biocarburants à l'ANP - anciennement «Agence nationale du pétrole» et dorénavant «Agence nationale du pétrole, du gaz naturel et des biocarburants»- est parfaitement illustratif de l'ampleur prise par ce secteur dans l'économie brésilienne ces dernières années.

Existe-t-il une réglementation spécifique qui régit les investissements directs étrangers dans le domaine des biocarburants ? Si oui, quelle est cette réglementation ?
Comme dans beaucoup d'autres pays, il existe au Brésil une réglementation spécifique relative aux investissements directs étrangers quelle que soit leur nature. Cette réglementation concerne principalement les capitaux entrants et le rapatriement des bénéfices. Cependant, rien de précis ne distingue le secteur des biocarburants des autres secteurs économiques.
Toutefois, certaines règles viennent encadrer de manière impérative les activités mêmes liées aux biocarburants et à l'implantation des investisseurs étrangers au Brésil désirant travailler dans ce domaine. Ainsi, la loi brésilienne impose que toute société dont l'objet social a trait précisément à ce secteur soit exclusivement régie par le droit brésilien et constituée au Brésil. L'administration d'une telle société relève également sans option de la réglementation nationale. Son siège social doit de surcroît être impérativement au Brésil.
 
Existe-t-il, dans ce domaine, des discriminations réglementaires ou de fait entre investisseurs étrangers et entrepreneurs locaux ?
Non. Il y a plus de dix ans que la Constitution Fédérale brésilienne ne fait plus de distinction entre les entreprises brésiliennes de capital national et celles de capital étranger(2) . Dans le domaine des biocarburants, le principe est identique et la réglementation demeure égalitaire entre les investisseurs nationaux et étrangers.

Quels sont les principaux obstacles rencontrés par les investisseurs étrangers à la fois dans le cadre de leur implantation mais également dans le cadre de l'exercice de leur activité économique ?
Si des obstacles peuvent se présenter aux investisseurs étrangers au Brésil, ils n'émanent pas spécifiquement du secteur des biocarburants.
En réalité, les difficultés qui peuvent apparaître sont de deux ordres. Le premier est bureaucratique. Les procédures d'enregistrement des capitaux entrants comme celles du rapatriement des bénéfices perçus prennent souvent trop de temps pour satisfaire au rythme économique normal comme aux attentes des investisseurs.

Le second obstacle est de nature culturelle. Par expérience, le Brésil apparaît pour les investisseurs français comme un marché très vaste, particulièrement séduisant et dont la conquête semble pour d'aucuns particulièrement aisée. Or, la réalité est toute autre. D'une part, peut-être même parfois plus qu'ailleurs, le Brésil connaît des codes de conduite et une pratique professionnelle qu'il convient d'appréhender avec justesse avant de s'implanter aveuglement. D'autre part, dans de très nombreux secteurs, le marché brésilien est particulièrement compétitif et hyper réactif, déstabilisant pour partie certains investisseurs trop certains de leurs capacités et peu avertis des spécificités de l'économie locale largement alignée sur les canons internationaux.

Quelles sont les spécificités d'une implantation dans le domaine des biocarburants ? En terme de droit des sociétés, de droit de propriété foncière et de droit commercial ?
La réglementation est fonction des activités poursuivies. Des règles distinctes concernent en effet la production, l'importation ou l'exportation, le transport, le stockage, la distribution ou encore la vente des biocarburants. Il convient en outre d'opérer une autre distinction qui s'ajoute aux premières et qui a trait à la qualité du biocarburant. La réglementation relative à l'éthanol diffère ainsi de celle concernant le biodiesel.

Pour l'éthanol d'abord, le droit brésilien n'exige pas de licence spéciale pour la production de ce biocarburant, mais tous ses fournisseurs doivent être enregistrés à l'ANP et rendre mensuellement un rapport quant aux volumes vendus sur le marché national(3).  Le producteur d'éthanol est de surcroît soumis à des contraintes de qualité du produit assez strictes (4)  comme à une charte de respect de l'environnement parfois contraignante. Il en est ainsi de : l'obtention d'une «licence environnementale» ; l'incinération des résidus de canne à sucre ou de l'utilisation de ses sous-produits comme engrais organique.

Pour le biodiesel ensuite, les contraintes sont moins de natures environnementales et davantage tournées vers un protectionnisme économique. La loi cadre du secteur pétrolier brésilien soumet en effet l'exercice de toute activité liée au biodiesel à l'autorisation de l'ANP(5) . Une loi de 2005 renforce le contrôle de la production en rendant obligatoire l'enregistrement de tout producteur ou exportateur de biodiesel auprès de la «Secretaria da Receita Federal do Ministério da Fazenda», prohibant tout commerce de ce produit à défaut d'accomplissement d'une telle formalité(6) .

En dépit de ces distinctions de régimes juridiques opérant un distinguo entre type de biocarburants, une particularité commune est à relever en droit du travail. C'est une originalité. Le «travailleur rural» brésilien n'est pas soumis à la même réglementation que le «travailleur urbain»(7). Ces deux réglementations ne sont pourtant pas exclusives l'une de l'autre et peuvent être appliquées au sein d'une même entreprise en considération d'éléments factuels divers, ce qui peut sensiblement compliquer la gestion de l'activité.
 
Quant à la propriété foncière enfin, en raison des grandes surfaces nécessaires à la production des matières premières - notamment de la canne de sucre, rares sont les producteurs qui sont propriétaires de l'intégralité des terres qu'ils utilisent. En réalité, le système locatif est largement privilégié, voire l'achat direct de la canne à sucre aux petits producteurs locaux. Cette pratique a d'ailleurs eu un impact non négligeable et largement bénéfique pour l'économie agraire locale, relançant pour partie l'activité de zones rurales parfois restées jusqu'alors en déshérence.

Quelles formes d'implantations sont requises ou privilégiées ?
Le droit brésilien n'impose aucune forme d'implantation spéciale pour les biocarburants. L'entrepreneur est donc libre de choisir la forme idoine d'exploitation et de gestion qui répond aux mieux à ses besoins et attentes.

Cependant, puisque les coûts d'implantation dans ce secteur sont relativement élevés(8) et les résultats financiers non immédiats, le rachat par des groupes brésiliens et/ou étrangers de sociétés déjà existantes devient une pratique courante. L'investissement devient de ce fait davantage maîtrisé et le temps d'amortissement moins long. L'investisseur peut ainsi se placer sur le marché national et surtout mondial avec plus de célérité et de sécurité.

Quelles sont les perspectives d'avenir ? Une réglementation, un encadrement politique ou administratif est il envisagé ? Pour quelles raisons ?
La crainte qui se fait ressentir aujourd'hui est que la production brésilienne d'éthanol soit exclusivement dédiée au marché extérieur au détriment du marché intérieur. Cela pourrait conduire à une pénurie nationale comme dans les années 1980 et/ou à une hausse non maîtrisée des prix à la consommation. C'est d'ailleurs cette dernière hypothèse que relèvent les observateurs, non sans inquiétude, depuis 2006.

Pour lutter contre cela, il se peut que le gouvernement brésilien prenne des mesures - probablement fiscales, sous la forme d'un impôt sur l'exportation - pour garantir l'approvisionnement du marché intérieur. Il convient toutefois de remarquer que, vers la fin des années 1980, la dépendance des automobilistes à l'égard de l'éthanol était presque totale puisque le parc automobile brésilien était composé à 97% de véhicules roulant exclusivement à l'éthanol.

Or, aujourd'hui, selon l'ANFAVEA - Association brésilienne des fabricants de véhicules -77% des véhicules neufs vendus sont « flex-fuel », pouvant ainsi rouler alternativement à l'éthanol et à l'essence. Cela garantit une absence de dépendance relative à l'égard de l'éthanol et laisse une échappatoire pour le consommateur brésilien en cas de hausse vertigineuse du prix du biocarburant.

Que pensez vous de l'accord conclu entre le Brésil et les Etats Unis sur les biocarburants? Selon vous quelle est sa raison d'être? Quelles sont ses principales caractéristiques ? Pensez vous que cet accord a vocation à favoriser les investissements directs dans le secteur? De quelle manière ? A l'instar de cet accord, d'autres ont il été conclu ou sont ils envisagés avec d'autres pays ?
La déclaration de Camp David de 31 mars 2007 n'est pas vraiment un accord au sens juridique du terme, puisqu'il n'a pas d'obligations réciproques. Il s'agit d'une déclaration d'intentions, d'une concertation entre les deux plus grands producteurs de biocarburants au monde pour atteindre des objectifs convergents.

Ce texte tourne autour de deux grands axes. D'abord, les deux pays veulent mettre en place des normes standardisées pour permettre la création d'un vrai marché mondial de l'éthanol. En tant que «commodity », ce produit pourrait être introduit directement sur la bourse des valeurs et concurrencer le pétrole tout en tentant de maîtriser voire contourner la hausse du prix de ce dernier. Dans cet esprit, les intérêts d'une entente entre les Etats-Unis et le Brésil sont évidents.

Le deuxième axe de cet accord est la coopération technique pour le développement d'autres pôles de production d'éthanol en Amérique centrale et aux Caraïbes. Pour le Brésil, cela peut s'avérer être une opportunité réelle pour l'export de ses machines agricoles et permettre un plus grand positionnement économique du pays dans ce secteur en Amérique centrale, avec pour effet éventuel de contenir la hausse des prix sur le marché interne brésilien.

Pour les Etats-Unis, l'objectif poursuivi est de garantir la sécurité de leur approvisionnement tout en « luttant contre la pauvreté » en Amérique centrale. Le plan de réduire la consommation d'essence de 20% dans les prochains dix ans est toutefois ambitieux. Le succès d'un tel programme dépasse le seul cadre national américain, la production domestique d'éthanol étant largement insuffisante. Le recours à des importations massives s'imposent et cela par deux raisons. D'abord, parce que le rendement énergétique du maïs est considérablement inférieur à celui de la canne de sucre brésilienne. Ensuite, parce que la demande massive de maïs pour la production d'éthanol pourrait avoir pour effet de faire monter le coût de produits alimentaires et agricoles et d'engendrer à terme une inflation subséquente.

Les intérêts pour les Etats-Unis et le Brésil de renforcer leurs liens dans ce secteur sont bien compris et largement partagés. Nous sommes certainement à l'aube d'une nouvelle ère en ce domaine.

Propos recueillis par Imen Hazgui

(1)Loi n° 11.097 du 13 janvier 2005.
(2)Amendement constitutionnel n° 6 du 15 août 1995.
(3)Cette information est transmise par un document dénommé «Demonstrativo de Produção e Movimentação de Produtos - DPMP», voir résolution ANP nº 5 du 13.2.2006.
(4)Résolution ANP nº 36 du 06.12.2005.
(5)Loi n° 9.427 du 6 août 1997, art. 8° XVI - Agence nationale du pétrole, Résolution n°41 du 24 novembre 2004
(6)Loi n° 11.116 du 18 mai 2005 - Secrétariat de la recette fédérale, Instruction n° 516   du 22 février 2005. 
(7)Le régime du «travailleur urbain» est régi par la «Consolidation des lois du travail - CLT», décret-loi n° 5.452 du 1 mai 1943 ; le régime du «travailleur rural» est régi par la loi n° 5.889 du 8 juin 1973 et par le décret n° 73.626 du 12 février 74. 
(8)Selon l'Union des industries de canne à sucre de l'Etat de Sao Paulo, l'implantation d'une usine de canne à sucre destinée à produire deux millions de tonne par an nécessite un investissement de 140 millions de dollars. Voir
www.portalunica.com.br

- 31 Aout 2007 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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