* John Kerry menace d'isoler économiquement la Russie

* Manifestations pro-russes dans l'est de l'Ukraine

* L'Otan appelle à la "désescalade"

* Paris et Londres suspendent leurs préparatifs du G8

par Alissa de Carbonnel et Natalia Zinets

KIEV/BALACLAVA, Ukraine, 2 mars (Reuters) - L'Ukraine a mobilisé dimanche l'ensemble de ses réservistes et Washington menace d'isoler économiquement la Russie, au lendemain d'un vote du parlement russe donnant au président Vladimir Poutine le feu vert pour envoyer des forces armées sur le territoire de l'ancienne république soviétique.

"Ce n'est pas une menace: c'est en fait une déclaration de guerre à mon pays", a déclaré en anglais le chef du nouveau gouvernement de Kiev, Arseni Iatseniouk.

Engageant un bras de fer avec l'Occident sans précédent depuis la Guerre froide, Vladimir Poutine a obtenu samedi du parlement l'autorisation d'employer la force pour protéger les ressortissants russes en Ukraine.

Les forces russes ont en pratique déjà pris - sans effusion de sang - le contrôle de la République autonome de Crimée, où elles disposent d'une flotte dans le port de Sébastopol, et où les tensions déclenchées en Ukraine par la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovitch il y a huit jours sont les plus vives.

Les maigres forces ukrainiennes basées en Crimée n'ont pu empêcher des militaires russes, qui ne portent pas d'insigne mais conduisent des véhicules clairement identifiés, d'investir des bâtiments publics, des aéroports et d'autres sites au cours des trois derniers jours.

Dimanche, les militaires russes ont investi de petits avant-postes et exigé le désarmemement des soldats ukrainiens de faction. Certains ont refusé, mais aucun coup de feu n'a été tiré.

Nommé samedi à la tête de la marine ukrainienne par les nouvelles autorités de Kiev, Denis Berezovski a été limogé et accusé de haute trahison pour avoir refusé de combattre les Russes et pour avoir livré le QG de Sébastopol. Berezovski est apparu à la télévision russe où il a prêté allégeance aux autorités pro-russes de Crimée.

La Russie a ordonné mercredi des manoeuvres impliquant 150.000 hommes le long de sa frontière terrestre avec l'Ukraine mais aucun mouvement d'ampleur des troupes russes vers l'ouest n'a été pour l'heure signalé.

TROUBLES DANS L'EST

Ailleurs dans l'est majoritairement russophone de l'Ukraine, des manifestants pro-Moscou ont hissé des drapeaux russes sur les bâtiments publics de plusieurs villes dont Kharkiv, Donetsk et Dnipropetrovsk.

Certaines manifestations ont dégénéré en affrontements avec des partisans des nouvelles autorités, en particulier à Kharkiv où des milliers de militants pro-Moscou brandissant des haches et des chaînes ont pris d'assaut le siège du gouvernement régional.

A Donetsk, fief de l'ancien président Ianoukovitch, le drapeau russe flottait pour la deuxième journée dimanche en haut du siège du gouvernement local. Une unité d'"autodéfense" pro-russe a rassemblé un millier de manifestants. Parmi eux, Ludmila Petrova, 35 ans, décrivait les nouvelles autorités de Kiev comme des "esclaves de l'Union européenne".

A Kiev, le Conseil ukrainien de sécurité a ordonné à l'état-major de placer l'armée en état d'alerte maximale, et le ministère de la Défense a été enjoint de mobiliser les réservistes, ce qui concerne en théorie tous les hommes adultes de moins de 40 ans. Le nouveau gouvernement a aussi annoncé la fermeture de l'espace aérien du pays aux appareils non civils.

Sur la place de l'Indépendance, haut-lieu des manifestations qui ont conduit à la destitution de Ianoukovitch, des milliers d'Ukrainiens ont manifesté contre un risque d'intervention militaire russe.

"UN COMPORTEMENT DU XIXe SIECLE"

Sur le plan international, Paris et Londres, après Washington samedi, ont annoncé la suspension de leur participation aux réunions préparatoires du sommet de G8 prévu en juin à Sotchi, un rendez-vous que les Etats-Unis sont "totalement prêts" à boycotter selon John Kerry.

Invité de l'émission "Face The Nation" sur la chaîne CBS, le chef de la diplomatie américaine a déclaré que les pays du G8 et d'autres Etats se préparaient "à isoler au maximum la Russie", évoquant des restrictions sur les visas, des gels d'avoirs et un isolement commercial.

John Kerry a estimé que Moscou avait un "comportement datant du XIXe siècle en envahissant un autre pays sous un prétexte totalement fallacieux".

Le Premier ministre britannique David Cameron a également annoncé que les ministres de son gouvernement n'assisteraient pas aux Jeux paralympiques qui ont lieu à Sotchi.

Le président américain Barack Obama s'est entretenu samedi pendant une heure et demie avec Vladimir Poutine, et a exprimé sa "profonde préoccupation à propos de la nette violation de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine par la Russie", selon la Maison blanche.

La Chine, souvent proche de la Russie sur la scène internationale, a fait part de sa vive préoccupation et a demandé à "toutes les parties en Ukraine de résoudre pacifiquement leurs contentieux dans un cadre légal".

L'OTAN REUNIE A BRUXELLES

Washington et Londres ont reçu une demande de Kiev pour protéger le pays, dans le cadre d'un accord signé avec Moscou en 1994 sur la souveraineté ukrainienne, et Andriy Dechtchitsia, le ministre des Affaires étrangères, a aussi sollicité l'aide de l'Otan dont les ambassadeurs se sont réunis dimanche.

À l'occasion de cette réunion à Bruxelles, Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l'Otan, a redemandé à la Russie une "désescalade des tensions" et l'a accusée de menacer la paix et la sécurité en Europe.

Mais les diplomates préviennent qu'il ne faut guère s'attendre à une réponse forte de l'Alliance atlantique.

"C'est probablement la situation la plus dangereuse en Europe depuis l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968", a commenté un diplomate occidental.

Pour Moscou, les russophones d'Ukraine courent un grand danger depuis l'éviction de Viktor Ianoukovitch, et le corps des gardes-frontières russes, qui a déclaré qu'environ 675.000 Ukrainiens avaient passé la frontière en janvier et en février, a évoqué un risque de "catastrophe humanitaire". (Avec Natalia Zinets, Pavel Polityuk, Timothy Heritage et Stephen Grey à Kiev, Lina Kuschch à Donetsk, Peter Apps à Londres, Steve Holland et Phil Stewart à Washington et Louis Charbonneau aux Nations Unies; Danielle Rouquié, Julien Dury et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)