* La Russie évoque un risque de guerre civile après les violences

* L'Ukraine est un pilier du projet d'union eurasienne de Poutine

* Certains responsables évoquent une plus grande autonomie de l'Est russophone

par Timothy Heritage

MOSCOU, 19 février (Reuters) - Alors que l'Ukraine s'enfonce dans la violence, la Russie fonde sa réaction dans une stratégie d'influence régionale à long terme dans laquelle son voisin est amené à jouer un rôle central.

Face aux violences de mardi et de la nuit qui a suivi, les plus meurtrières depuis l'indépendance ukrainienne acquise en 1991 de l'URSS, Moscou a mis l'accent à travers ses médias, largement contrôlés par le pouvoir, sur le risque de guerre civile et le bien-fondé de l'assaut des forces de sécurité contre les manifestants opposés au président Victor Ianoukovitch. (voir )

La télévision publique a diffusé des images de manifestants jetant des cocktails Molotov, de barricades enflammés et d'un policier qui se tord de douleur au sol, avec des commentaires qui accusent les pays occidentaux d'ingérence dans les affaires ukrainiennes.

Le message principal porté par ces médias - la nécessité de restaurer l'ordre en Ukraine - justifie la volonté de Moscou de maintenir son influence sur son voisin, où les manifestations ont été déclenché en novembre par le refus de Viktor Ianoukovitch de signer un accord d'association avec l'Union européenne (UE), au profit d'un rapprochement avec la Russie.

"L'Ukraine risque dangereusement de basculer", estime ainsi Mikhaïl Marguelov, président de la commission des Affaires étrangères de la chambre haute du parlement russe. "Elle est en train de franchir toutes les étapes qui mènent un pays vers la guerre civile."

Les dirigeants russes multiplient les déclarations de ce type, mais Vladimir Poutine, qui s'est selon la chancelière allemande Angela Merkel engagé mercredi à tout faire pour éviter l'escalade de la violence, s'est très peu prononcé personnellement sur le sujet.

Il a néanmoins rencontré au moins quatre fois Viktor Ianoukovitch au cours des six derniers mois, ce qui témoigne de l'importance qu'attache le président russe à l'Ukraine, un pays qui jouerait un rôle central dans le projet d'Union eurasienne étudié par Poutine.

Le Kazakhstan et la Biélorussie ont déjà rejoint une union douanière avec la Russie, mais l'Ukraine, en tant que deuxième pays le plus important de l'ancien bloc soviétique, est un marché bien plus vaste, et son attitude peut influencer des pays avec lesquels Moscou négocie actuellement, comme la Moldavie ou la Géorgie.

POUSSER VERS UNE FÉDÉRATION EN UKRAINE ?

Dans ce contexte, la Russie a offert un plan d'aide de 15 milliards de dollars (11 milliards d'euros) à Kiev, mais une source du gouvernement ukrainien a annoncé mercredi que sa deuxième tranche, de deux milliards de dollars, ne serait pas versée avant vendredi, ce qui laisse penser que Moscou attend de Ianoukovitch qu'il ramène le calme.

"Les Russes ont reçu de Kiev des garanties qui les ont satisfaits: tenir fermement ses positions lors des négociations, ne pas faire de grandes concessions, combattre les radicaux qui sont devenus plus importants au sein de l'opposition", suppose Gleb Pavloski, ancien conseiller du Kremlin qui a travaillé en Ukraine.

Selon un autre ancien conseiller de Vladimir Poutine, Andreï Illarionov, certains responsables du Kremlin parient sur une "fédéralisation" de l'Ukraine qui permettrait à Moscou d'accroître son contrôle sur les régions russophones de son voisin, dans l'Est et le Sud.

L'idée d'une Ukraine fédérale a été présentée au début du mois par Sergueï Glaziev: donner plus de poids aux régions, explique ce conseiller du Kremlin, permettrait aux seuls Ukrainiens russophones de l'Est et du Sud de rejoindre l'union commerciale élaborée par Moscou.

"Aujourd'hui, les relations économiques, culturelles et humaines entre les régions de l'est et de l'ouest de l'Ukraine sont moins fortes que les liens qui existent entre l'Ukraine du sud-est de la Russie et entre les régions occidentales et l'UE", soulignait-il le 6 février dans les colonnes du quotidien Kommersant Ukraine.

Citant l'exemple du Groënland, qui jouit d'une large autonomie vis-à-vis du Danemark et n'appartient pas à l'Union européenne, Glaziev ajoutait que l'ouest et l'est de l'Ukraine pourraient avoir des relations économiques différentes avec l'Union européenne et la Russie.

Plusieurs parlementaires russes ont déjà publiquement relayé cette idée, ce qui laisse penser que le Kremlin n'exclut pas cette solution. (Julien Dury pour le service français; édité par Henri-Pierre André)