La période actuelle a, du point de vue des politiques économiques, au moins le mérite de la clarté. En effet un vrai exercice d'équilibriste attend les pays européens : restaurer les équilibres des finances publiques et stabiliser l'endettement sans étouffer la reprise. Ils n'ont, semble-t-il, pas vraiment le choix.

Cette feuille de route appelle trois pistes de réflexion :

D'abord une réponse coordonnée a minima au niveau européen devrait amener de meilleurs résultats que la cacophonie des décisions fiscales et budgétaires actuelles prises par les différents Etats-membres indépendamment les uns des autres. Comment ? Sans partir d'une imbrication forte des politiques budgétaires et fiscales, pourtant indispensable aujourd'hui, pourquoi ne pas imaginer que les pays les moins exposés à une défiance des marchés accompagnent, certes modérément, une relance européenne : bref que ces pays, au premier rang desquels l'Allemagne, arbitrent pour un couple relance/austérité plutôt orientée relance.

A l'inverse les pays les plus exposés au Sud viseraient un couple relance/austérité plus orientée vers l'austérité et la rigueur budgétaire, sous l'œil attentif de la Commission et du Parlement Européen. La France se situe à court terme, semble-t-il, plutôt du côté du levier de la rigueur mais ses marges de manœuvre à moyen terme sont bonnes (forte natalité, faible endettement privé, ...). Au final, nous pourrions avoir un modèle gagnant - gagnant : du vrai « fine tuning » à l'échelle européenne, sans modification du cadre institutionnel européen.

L'intérêt de cette combinaison est d'offrir aux consommateurs européens un autre discours médiatique que le seul refrain de la rigueur budgétaire aux quatre coins de l'Europe. Car, à la différence des consommateurs américains, les européens arbitrent fortement entre épargne et consommation. Et le climat médiatique actuel, provenant surtout des pays leaders économiquement dans l'Union, ne peut qu'amener les ménages européens à renforcer les comportements d'épargne... et donc étouffer la croissance à court terme et donc la reprise !

Ensuite se pose la question du partage du coût de cette austérité budgétaire entre les acteurs de la vie économique. Et là, un principe simple et efficace de l'analyse économique peut être mobilisé : la prise en compte des externalités et leur internalisation peut s'avérer utile. Rappelons que les externalités sont des actions que des agents exercent sur d'autres sans qu'une relation de marché existe entre eux (cf. Marshall A., 1910). On parlera d'externalités négatives si nous subissons une nuisance d'un voisin par exemple ou positive si de bonnes idées donnent naissance, chez un tiers, à de grandes entreprises.

Appliqué à la finance, ce principe permet de justifier une éventuelle taxe sur le penchant « spéculation » des banques : les égarements de la finance, celle là-même qui est déconnectée de la sphère réelle, ont agit comme une externalité négative sur l'ensemble de l'économie réelle. Et la théorie économique reconnaît une certaine efficacité à l'internalisation de ces externalités par l'intermédiaire d'une taxe par exemple. En appliquant ce principe plus largement à la sphère économique, de nombreuses recettes fiscales pourraient être levées. Un des champs d'application classique de ce principe reste l'environnement avec le principe « pollueur - payeur ».

Enfin le plus grand chantier reste celui de l'équité entre les agents mais aussi entre les générations. Sur ce point, il est difficile de faire simple, mais là encore, des principes comme la théorie de la Justice de J. Rawls, qui milite pour une action d'abord sur les plus faibles ou les plus exposés, devraient servir de guide, par exemple pour la réforme de retraite. Et surtout pourquoi ne pas imaginer de compléter une équité horizontale classique à renforcer, fondée sur la redistribution monétaire entre les plus riches et les plus pauvres, avec une équité plus verticale à inventer entre générations. Car les déboires actuels de nos finances publiques auraient pu être évités si la génération des « Trente Glorieuses » avait pensé, lors des cycles économiques plus fastes, à ... épargner !

Laurent Guihéry