« Les usurpateurs, comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir ? » par Suzan George. Editions du Seuil.

Ames sensibles s'abstenir. Suzan George nous décrit un monde où les sociétés transnationales conquièrent peu à peu le pouvoir. Tous les pouvoirs. Il ne s'agit pas de complot planétaire, à la Orwell, mais de froide logique. Un irrésistible mouvement. Une mécanique implacable s'est mise en route.


La présidente d'honneur d'Attac-France nous montre comment une armée de 3 000 lobbyistes employés par les grandes entreprises transnationales américaines, dotés d'un budget de 5 milliards de dollars, a éradiqué une douzaine de lois introduites par Roosevelt dans le cadre du New deal, dernier garde fou de l'économie américaine contre l'ultra libéralisme. Notamment le Glass-Steagall Act qui établissait la séparation des banques de dépôts des banques d'investissement. Pour faire court, ils ont provoqué la crise financière de 2008 avec toutes ses répercussions notamment en Europe. Une équipe de chercheurs a pu déterminer, parmi un « parc » de 43 000 entreprises transnationale, 147 « super entités » contrôlant 40 % du chiffre d'affaires du réseau financier.


Suzan George réserve plusieurs pages au « kit » du parfait lobbyiste. Pire que tout ce que l'on peut imaginer dans le domaine de la duperie de la manipulation et de la communication. Les lobbyistes pullulent de Washington à Bruxelles et ils y exercent le plus vieux métier du monde.


L'auteure nous met en garde, une des parties les plus intéressantes du livre parce que c'est notre actualité, sur le projet de traité transatlantique (TTIP ou Tafta). Elle démonte, pièce par pièce, les mécanismes en jeu. Ainsi, depuis une décennie les transnationales américaines et européennes sont à l'œuvre pour bâtir leurs accords, accords qu'ils vendront clefs en main aux gouvernements (y compris à l'administration américaine) qui ne feront qu'entériner. Ce qu'ils font déjà depuis longtemps d'ailleurs : « les lobbies ont gagné : maintenant ce sont eux qui réglementent les gouvernements ». Ces transactions qui s'effectuaient dans le plus grand secret ont été éventées provoquant l'ire des corps intermédiaires et de l'opinion publique.  Du temps de gagner. Mais aussi une latitude supplémentaire laissé aux hommes d'affaires qui prennent un coup d'avance et affirment : « Le traité transatlantique ne mérite d'être signé qu'à condition qu'il prévoie des déréglementations générales », c'est-à-dire en fait de ne pas déréglementer, de vider le traité des articles qui irritent les opinions publiques. Il s'agirait alors de constituer (c'est aujourd'hui une certitude) un Conseil de coopération en matière de réglementation (CCR) et de réer des accords « vivants » sur la règle suivante « ce qui a été signé ici est recevable ailleurs ». Et Suzan George de suggérer aux opposants de surveiller de prêts deux organismes discrets : le BusinessEurope et l'US Chamber of Commerce, ainsi que les hauts fonctionnaires de la Commission européenne. Là se situe la porte dérobée.


Peut-être verra-t-on un jour le « National riffle association » (NRA-lobby des armes US) attaquer le gouvernement français, devant une justice commerciale privée, pour entrave au libre choix du consommateur.


Mais cela n'est que de la science fiction. Ou pas.
Passionnant inutile de le dire.

« Les usurpateurs, comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir ? » par Suzan George. Editions du Seuil. Octobre 2014. 17€. 190 pages

distribué par