Presse et Information

Cour de justice de l'Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 22/14

Luxembourg, le 27 février 2014
Arrêt dans l'affaire C-82/12
Transportes Jordi Besora SL / Generalitat de Catalunya

La taxe espagnole sur les ventes au détail de certaines huiles minérales est contraire au droit de l'Union

Il n'y a pas lieu de limiter dans le temps les effets de cet arrêt, le gouvernement espagnol et la Generalitat de Catalunya n'ayant pas agi de bonne foi en maintenant cette taxe en vigueur pendant plus de dix années

La directive sur les accises1 concerne notamment les huiles minérales telles que l'essence, le diesel, le fuel lourd et le kérosène. Cette directive fixe les règles relatives à la perception des accises dans l'Union de manière à éviter que des impositions indirectes supplémentaires n'entravent indûment les échanges. Toutefois, la directive prévoit que les huiles minérales peuvent faire l'objet d'une imposition indirecte autre que l'accise harmonisée instituée par cette directive lorsque deux conditions cumulatives sont remplies2. D'une part, l'imposition doit poursuivre une ou plusieurs finalités spécifiques. D'autre part, cette imposition doit respecter les règles de taxation applicables en matière d'accises ou de TVA en ce qui concerne la détermination de la base d'imposition ainsi que le calcul, l'exigibilité et le contrôle de l'impôt.
Se fondant sur cette dernière possibilité prévue par la directive, l'Espagne a institué une taxe sur la vente au détail de certaines huiles minérales (« IVMDH »). Cette taxe était destinée à financer les nouvelles compétences transférées aux communautés autonomes espagnoles en matière de santé ainsi que, le cas échéant, les dépenses environnementales. L'IVMDH est restée en vigueur en Espagne entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2013, date à laquelle elle a été intégrée à l'accise harmonisée sur les huiles minérales.
En tant que consommateur final, Transportes Jordi Besora SL, une société de transport de marchandises établie sur le territoire de la Communauté autonome de Catalogne, a acquitté, pour les exercices fiscaux 2005 à 2008, un montant de 45 632,38 euros au titre de l'IVMDH. Considérant cette taxe incompatible avec la directive, cette société a réclamé le remboursement de la somme ainsi versée. Dans ce contexte, le Tribunal Superior de Justicia de Cataluña (Cour supérieure de justice de la Catalogne, Espagne) a demandé à la Cour de justice si l'IVMDH était compatible avec la directive sur les accises.
Dans son arrêt de ce jour, la Cour déclare que l'IVMDH est contraire à la directive sur les

accises.

En effet, la Cour estime qu'une telle taxe ne présente pas une finalité spécifique au sens de la directive sur les accises. Selon la Cour, pour être spécifique, une finalité ne doit pas être purement budgétaire. En l'occurrence, les recettes de l'IVMDH ont été affectées aux communautés autonomes afin de financer l'exercice par ces dernières de certaines de leurs compétences. Or, le renforcement de l'autonomie d'une collectivité territoriale par la reconnaissance d'un pouvoir de prélever des recettes fiscales constitue un objectif purement budgétaire qui ne saurait à lui seul constituer une finalité spécifique. Par ailleurs, le fait que les recettes de l'IVMDH doivent

1 Directive du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée. La directive 92/12 a, à compter du 1er avril 2010, été abrogée et remplacée par la directive 2008/118/CE du Conseil, du 16 décembre 2008, relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE (JO 2009 L 9, p. 12).

2 Article 3, paragraphe 2, de la directive.

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obligatoirement être affectées, en vertu de la législation nationale, à la couverture de dépenses de santé relève d'une simple modalité d'organisation interne du budget de l'Espagne et ne suffit donc pas pour considérer que la taxe a une finalité spécifique. Dans le cas contraire, toute finalité pourrait être considérée comme spécifique, ce qui priverait l'accise harmonisée instituée par la directive de tout effet utile.
Selon la Cour, afin d'être considérée comme poursuivant une finalité spécifique, l'IVMDH devrait viser, par elle-même, à assurer la protection de la santé et de l'environnement. Tel serait en particulier le cas si le produit de cette taxe devait obligatoirement être utilisé afin de réduire les coûts sociaux et environnementaux liés de manière spécifique à la consommation des huiles minérales grevées par cette taxe, de telle sorte qu'il existe un lien direct entre l'utilisation des recettes et la finalité de l'imposition en question. Toutefois, les recettes de l'IVMDH doivent être affectées par les communautés autonomes aux dépenses de santé en général et non à celles qui sont liées spécifiquement à la consommation des huiles minérales taxées. Or, de telles dépenses générales sont susceptibles d'être financées par le produit de taxes de toute nature.
En outre, la législation espagnole ne prévoit aucun mécanisme d'affectation prédéterminée des recettes de l'IVMDH à des fins environnementales. Dans ce cas, cette taxe ne saurait être considérée comme visant par elle-même à assurer la protection de l'environnement que si sa structure - notamment la matière imposable ou le taux d'imposition - est conçue d'une manière telle qu'elle dissuade les contribuables d'utiliser des huiles minérales ou qu'elle encourage l'utilisation d'autres produits dont les effets sont moins nocifs pour l'environnement. Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce.
La Generalitat de Catalunya et le gouvernement espagnol ont demandé à la Cour de limiter les effets dans le temps du présent arrêt, dans le cas où elle considérerait que l'IVMDH est contraire au droit de l'Union. Ils soulignent notamment que l'IVMDH a donné lieu à un contentieux fourni et que l'obligation de rembourser cette taxe, dont le produit aurait atteint environ 13 milliards d'euros entre 2002 et 2011, mettrait en péril le financement de la santé publique dans les communautés autonomes.
La Cour rappelle que la limitation dans le temps des effets d'un arrêt est une possibilité exceptionnelle qui n'est ouverte qu'à partir du moment où deux critères sont réunis, à savoir la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves. En l'espèce, la Cour estime qu'il ne saurait être admis que la Generalitat de Catalunya et le gouvernement espagnol ont agi de bonne foi alors qu'ils ont maintenu l'IVMDH en vigueur pendant une période de plus de dix années. La Cour en conclut qu'il n'y pas lieu de limiter les effets de l'arrêt dans le temps. En effet, la Cour s'était déjà prononcée en 2000 sur une taxe présentant des aspects analogues à ceux de l'IVMDH3. En outre, dès 2001, la Commission avait informé les autorités espagnoles que l'introduction d'une telle taxe serait contraire au droit de l'Union. Par ailleurs, dès 2003 (année suivant celle de l'entrée en vigueur de l'IVMDH), la Commission avait ouvert une procédure en manquement à l'encontre du Royaume d'Espagne en rapport avec cette taxe.
La Cour rappelle qu'il est de jurisprudence constante que les conséquences financières qui pourraient découler pour un État membre d'un arrêt rendu à titre préjudiciel ne justifient pas, par elles-mêmes, la limitation des effets de cet arrêt dans le temps. S'il en était autrement, les violations les plus graves seraient traitées plus favorablement, dans la mesure où ce sont elles qui sont susceptibles d'avoir les implications financières les plus importantes pour les États membres. En outre, limiter les effets dans le temps d'un arrêt en s'appuyant uniquement sur ce type de considérations aboutirait à réduire de façon substantielle la protection juridictionnelle des droits que les contribuables tirent de la réglementation fiscale de l'Union.

RAPPEL: Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité d'un acte de l'Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire

3 Arrêt de la Cour du 9 mars 2000, EKW and Wein & Co (C-437/97).

conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la méme manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème similaire.

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Le texte intégral de /'arrét est publié sur le site CURIA le jour du prononcé.

Contact presse: Gilles Despeux ir (+352) 4303 3205

Des images du prononcé de l'arrét sont disponibles sur "Europe by Satellite" 1if (+32) 2 2964106

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