* La question du sort du CICE pas tranchée

* Doutes sur un élargissement de l'assiette de l'IS

* Obligation de résultats pour Hollande, sort incertain pour Ayrault

par Emmanuel Jarry

PARIS, 18 février (Reuters) - La voie d'un "pacte" avec les entreprises, dans laquelle François Hollande s'est engagé pour relancer la compétitivité de l'économie française, est aussi semée d'embûches que décisive pour la suite d'un quinquennat dont elle est devenue la clef.

"C'est l'acte majeur du quinquennat sur le plan économique", estime l'économiste Alain Trannoy, co-président d'un groupe de travail sur la fiscalité des entreprises. "Cela peut impacter l'économie française pour les cinq à 10 ans à venir."

La première difficulté réside dans un calendrier contraint par les élections municipales et européennes de mars et mai, l'obligation d'envoyer en avril à Bruxelles un programme de réduction des déficits publics et la promesse du chef de l'Etat d'engager au Parlement la responsabilité du gouvernement dans la foulée d'une conférence sociale, d'ici la fin du printemps.

Avec une autre contrainte fixée par François Hollande : pas question que les baisses de charges et d'impôts promises aux entreprises en échange d'embauches et d'investissements se soldent par des transferts de prélèvements vers les ménages.

Des groupes de travail installés il y a 15 jours doivent démêler le mikado inextricable des charges sociales et de la fiscalité pour trouver les 10 milliards d'euros de baisse de prélèvements promis aux entreprises en plus des 20 milliards du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) déjà en vigueur.

Faut-il substituer la suppression de 30 milliards d'euros de cotisations familiales au CICE, élargir ce dernier aux salaires supérieurs à 2,5 fois le smic ou panacher ces dispositifs comme le proposent les organisations patronales ? ( )

Le CICE actuel est plus favorable aux PME et aux entreprises à bas salaires, tandis que la suppression totale des cotisations familiales favoriserait plutôt les grandes sociétés.

Autre question : quel garde-fou instaurer pour que les entreprises consacrent leurs marges retrouvées à l'investissement et non au rachat d'actions, à la distribution de dividendes ou à l'acquisition de titres sur les marchés ?

"LA MÈRE DES BATAILLES"

Alain Trannoy juge pour sa part le CICE condamné et va plus loin : "Si l'objectif est l'emploi, il faut concentrer les baisses de charge sur les bas salaires, jusqu'à 1,5 smic."

Or il n'y a déjà presque plus de charges sociales patronales sur les bas salaires - 2,53 à 4,63 points au niveau du smic, selon la taille des entreprises, hors assurance chômage.

Le député PS Yves Blein, membre du comité de pilotage des assises de la fiscalité des entreprises, propose quant à lui d'exonérer totalement de cotisations sociales à concurrence de 12.000 euros par an pendant cinq ans tout emploi net créé.

Autre illustration des difficultés de l'exercice : le Haut conseil du financement de la protection sociale chargé par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, de réfléchir à l'évolution de ce financement, ne se juge pas compétent pour étudier des allègements compensés par une réduction des dépenses publiques.

En matière de fiscalité des entreprises, une des pistes qui tient la corde est la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (IS), afin de le rapprocher de la moyenne européenne.

La logique voudrait que cette baisse soit assortie d'un élargissement de l'assiette. Mais le sujet est si sensible que des experts sollicités envisagent de se contenter de la baisse du taux et de reporter à plus tard la question de l'assiette.

"Revoir l'assiette dans le délai qui nous est donné, c'est difficile", souligne Yves Blein, selon qui le taux de l'IS pourrait être baissé de cinq points.

Beaucoup repose sur l'effort de réduction des dépenses publiques, que ce député qualifie de "mère des batailles".

"Il y a cinq milliards d'euros d'économies à faire sur les collectivités locales, cinq milliards dans le système de santé et cinq milliards sur la politique du logement", estime pour sa part Alain Trannoy, qui se dit en revanche opposé à un nouveau tour de vis au traitement des fonctionnaires.

"Quel sera la motivation au travail des fonctionnaires ? C'est typiquement une mesure que le FMI peut imposer à un Etat en banqueroute mais pas une mesure structurelle", souligne-t-il.

REMANIEMENT ?

Dans une lettre aux syndicats de la fonction publique, Jean-Marc Ayrault s'est efforcé de faire un sort à l'idée explosive de geler l'avancement automatique des fonctionnaires.

"Aucune mesure ne sera prise" dans ce sens, jure le Premier ministre. Mais des experts et des élus de la majorité jugent un effort sur les dépenses de fonctionnement de l'Etat, donc sur la masse salariale de la fonction publique, inévitable.

A l'approche des municipales, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, entre impatience du patronat qui demande des mesures rapides et résistance d'élus de la majorité tétanisés par le spectre d'une déroute électorale, marchent sur des oeufs.

Des voix s'élèvent parmi ces élus pour exprimer des doutes sur leur stratégie, et pas seulement au sein d'une aile gauche qui rue dans les brancards et exige une autre politique.

Le sénateur socialiste Gaëtan Gorce assurait ainsi lundi sur son blog que le "pacte de responsabilité" n'avait pas été conçu pour être appliqué mais comme une "opération de communication".

"Le président n'a en effet ni les moyens, ni plus encore la volonté de dégager 50 milliards d'économies", écrivait-il. "Il s'agit d'un leurre visant à enfumer la Commission (européenne)".

Une thèse incompréhensible aux yeux d'autres parlementaires socialistes, comme Christophe Caresche, pour qui le président ne peut pas décevoir les attentes créées par son projet de "pacte".

"Nous avons déjà beaucoup entamé notre crédit au niveau européen. François Hollande n'a pas le choix. Il est obligé d'avoir des résultats", explique le député de Paris. "Il a voulu sortir de l'ambiguïté, ce n'est pas pour y retomber."

"Ça ne va pas être simple, ça suppose un discours politique fort, je ne pense pas qu'il puisse être tenu avant les élections municipales", admet cependant cet élu, pour qui la gestion de l'actuel entre-deux et l'impression de flottement qu'elle laisse est aussi une des difficultés de l'exercice.

Un flottement propice aux rumeurs de remaniement et de changement de Premier ministre après les municipales, une fois dévoilées les grandes lignes du "pacte de responsabilité".

"Dans la mesure où il y a une nouvelle étape, est-ce que François Hollande change ou non son dispositif ? La question est posée", estime le député socialiste. (Edité par Yves Clarisse)