* "Il y aura eu un avant, il y aura un après", dit Ayrault

* Bartolone fait part de ses "réserves", les Verts veulent la fermeté

* L'UMP dénonce "une manoeuvre de diversion" (Actualisé avec Le Roux, De Rugy, Ayrault)

par Elizabeth Pineau

PARIS, 11 avril (Reuters) - Les élus français manifestent leur malaise à l'idée de publier leur déclaration de patrimoine, le président de l'Assemblée décelant lui-même un risque du "voyeurisme" dans cette mesure annoncée par le gouvernement pour moraliser la vie politique.

Se faisant pour l'occasion le porte-parole d'élus de droite comme de gauche, Claude Bartolone a fait part de ses "réserves" au Premier ministre, qui a consulté jeudi présidents et chefs de groupe de l'Assemblée et du Sénat sur ce projet annoncé la veille pour éteindre l'incendie allumé par l'affaire Cahuzac.

"Chacun a conscience du défi qu'il nous faut relever collectivement. Il y a des divergences et c'est parfaitement légitime en démocratie", a dit Jean-Marc Ayrault dans une déclaration diffusée après ces entretiens.

"Je suis convaincu que les parlementaires sauront trouver les bonnes réponses à la hauteur des enjeux, c'est-à-dire tout faire pour retrouver la confiance parce que ce qui est en cause, c'est le pacte republicain", a-t-il poursuivi. "Ma conviction, c'est qu'il y aura eu un avant et qu'il y aura un après".

François Hollande veut que la loi sur la transparence de la vie publique prévoie la publication du patrimoine des élus et l'interdiction d'exercer certaines professions, comme celle d'avocat, pendant un mandat. (Voir ).

L'Elysée admettait jeudi que le sujet "ne passe pas" chez les parlementaires, y compris socialistes.

"Dans le contexte actuel, il ne sera pas facile de les faire voter" en faveur de la loi attendue d'ici l'été, a reconnu un conseiller de François Hollande.

A Matignon, le président du groupe UMP à l'Assemblée, Christian Jacob, a refusé de "cautionner une manoeuvre de diversion, un écran de fumée" visant selon lui à camoufler l'affaire Jérôme Cahuzac, ex-ministre du Budget ayant avoué posséder des comptes clandestins à l'étranger.

La présidente du Front national, Marine Le Pen, a quant à elle fustigé sur RTL une "course à celui qui sera le plus pauvre" parmi la succession d'élus ayant publié leur patrimoine ces derniers jours.

MAUVAISE CHOSE POUR LA DÉMOCRATIE

Publier les patrimoines "n'est pas forcément la bonne solution pour permettre un lien de confiance entre les élus et la population", a dit Claude Bartolone à la presse à Matignon. "Une nouvelle fois, cela envoie un signal 'vous devez vous méfier des élus'".

"Je ne voudrais pas que dans cette volonté de lutter contre toute dérive, on donne une nouvelle fois le sentiment que les élus sont condamnables a priori, ce serait une mauvaise chose pour la démocratie", a-t-il fait valoir.

La présidente du Medef, Laurence Parisot, a elle aussi invité sur RMC à "ne pas basculer dans un moralisme qui pousserait à une espèce de surenchère et conduirait à laisser croire aux Français que ceux qui exercent des fonctions, qui s'engagent sont tous corrompus, malhonnêtes".

Pour Bruno Le Roux, président du groupe PS à l'Assemblée, les députés craignent que l'étalage des patrimoines donne lieu à un "certain voyeurisme, un étalage sauvage".

"La publicité doit être, demain, ordonnée. Nous n'avons rien à cacher, il faut que ces patrimoines soient déclarés, contrôlés", a-t-il dit en bas du bureau de Jean-Marc Ayrault.

Les Verts ont fait entendre leur différence, jugeant "déplacée" la "contre-offensive qui monte chez un certain nombre" d'élus de la majorité.

"Nous souhaitons qu'il n'y ait aucune reculade, aucun coup de rabot sur aucune mesure en ce qui concerne la transparence", a dit François de Rugy, co-président du groupe EE-LV à l'Assemblée nationale. "Nous souhaitons que la majorité fasse corps et fasse preuve d'une grande fermeté".

Signe de la défiance de l'opinion exprimée dans le sillage de l'affaire Cahuzac, un sondage CSA pour BFM-TV publié jeudi indique que 55% des Français pensent que la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus.

DEMANDE DE TRANSPARENCE

Le chef de fil de l'UDI, Jean-Louis Borloo, rejoint Claude Bartolone dans l'idée de renforcer les moyens de la future autorité chargée de vérifier les déclarations de patrimoine des élus et soulever d'éventuels conflits d'intérêt.

Pour l'ancien ministre centriste, "la limite, c'est la famille".

"Je considère que ma famille n'a pas à être concernée par la publicité, ni mes enfants, ni mes petits-enfants, ni mon épouse. Moi j'ai choisi ce métier, c'est une autre histoire", a-t-il dit, soulignant que les centristes travaillaient "plutôt en harmonie" avec la majorité sur cette question.

Reçu le premier à Matignon, le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, s'est montré moins dubitatif que son collègue de l'Assemblée.

"Je n'ai pas de réticence particulière sur le patrimoine", a-t-il dit. "Les mesures qui ont été proposées ne me paraissent pas jeter les élus en pâture dans ce contexte". (Avec Chine Labbé et Julien Ponthus, édité par Yves Clarisse)