PARIS, 9 juin (Reuters) - Trois économistes ayant contribué à la rédaction du volet économique du programme présidentiel d'Emmanuel Macron appellent le chef de l'Etat à "se saisir du débat sur les inégalités" afin de "restaurer la lisibilité (de son) projet", dans une note confidentielle révélée samedi par Le Monde.

"Des mesures importantes ont été mises en oeuvre ou sont au Parlement", observent ces trois proches du président de la République dans ce document, mais "le thème de la lutte contre les inégalités d'accès, qui était constitutif de l'identité politique du candidat, est occulté", déplorent-ils.

Pour Philippe Aghion, professeur au Collège de France, Philippe Martin, qui préside depuis janvier le Conseil d'analyse économique (CAE), une organisation placée auprès du Premier ministre et Jean Pisani-Ferry, proche conseiller d'Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, "le risque est que l'ambition transformatrice initiale soit rabattue sur un programme classique de réformes structurelles favorables aux plus aisés".

A travers ce document, qui, selon Le Monde, a été adressé le 4 juin à l'Elysée, ces trois économistes font écho aux inquiétudes déjà exprimées au sein même de la majorité présidentielle, alors que l'opposition continue de décrire Emmanuel Macron comme le "président des riches".

"L'ambition émancipatrice (éducation, mobilité sociale, mobilité professionnelle, protection sociale) du programme présidentiel échappe à un nombre grandissant de concitoyens, y compris parmi les plus fervents supporteurs de 2017", soulignent ces trois proches du président de la République dans ce document.

"Beaucoup des soutiens du candidat expriment la crainte d'un recentrage à droite", observent-ils en soulignant la prépondérance des ministres "étiquetés à droite" dans la communication gouvernementale, évoquant sans les citer le Premier ministre Edouard Philippe, le ministre de l'Economie et des Finances Bruno Le Maire et le ministre de l'Action et des Comptes publics Gérald Darmanin, tous trois issus des rangs des Républicains.

"Le message social peine à trouver une voix forte à l'intérieur du gouvernement", regrettent-ils.

LES CHANTIERS À VENIR VONT SERVIR DE TEST

Jugeant que "le projet n'est pas porté" et que "personne ne trace le fil qui relie ces réformes", ils appellent Emmanuel Macron à "parler de la question des inégalités et à ne pas laisser ce débat à ses adversaires", afin de "restaurer la lisibilité du projet".

A quelques semaines d'arbitrages attendus et potentiellement explosifs sur la stratégie de lutte contre la pauvreté, sur les pistes d'économies dans la sphère de l'Etat via la modernisation de l'action publique et sur fond de préparation du budget 2019, les trois économistes jugent que les choix de l'exécutif "vont servir de test".

"Si l'effort d'économies est perçu comme portant principalement sur les transferts, cela confirmera l’image d’un pouvoir indifférent à la question sociale", mettent-ils en garde.

D'après Le Monde, "c'est à la demande d'Emmanuel Macron lui-même que MM. Aghion, Martin et Pisani-Ferry ont écrit cette note de trois pages, intitulée 'Renforcer la dimension émancipatrice de l’action gouvernementale'".

"Il s'agit d'une note informelle qui ne répond à aucune commande et qui ne présage en rien de la politique du gouvernement, comme des dizaines d’autres notes reçues chaque mois", a-t-on indiqué à Reuters à l'Elysée.

Contacté par Reuters, Jean Pisani-Ferry n'a pas souhaité faire de commentaire au sujet de cette note.

(Myriam Rivet avec Marine Pennetier, édité par Jean-Philippe Lefief)