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(Easybourse.com) Selon vous, quels sont les principaux enjeux sous jacents au développement du secteur de l'eau ?
Tout d'abord, le secteur de l'eau est sujet à trois forces : la pression démographique, le pression de l'agriculture (qui utilise 80% de l'eau) et celle de l'industrie. L'interaction entre ces trois forces motrices a notamment eu pour conséquence un effet de rareté important.

La Californie constitue un très bon exemple. L'effet de rareté (les villes ayant quasiment puisé toute l'eau de leurs nappes phréatiques) a engendré une augmentation significative des prix. 

Par ailleurs, un autre enjeu réside dans le gaspillage de l'eau. Toujours aux Etats-Unis, la ville de Las Vegas, qui utilise près de 1200 litres d'eau par jour et par habitant, se confrontée à une situation de pénurie. Cette eau sert notamment à l'irrigation des terrains de golf dans le désert ou encore à remplir les piscines. Pour répondre aux besoins, la ville travaille actuellement à la réalisation d'un pipeline qui permettrait d'acheminer l'eau depuis les montagnes rocheuses. La réalisation de cet investissement se traduira de manière mécanique sur le prix de l'eau.

Enfin, le secteur de l'eau est particulièrement affecté par la pollution. Cette dernière est devenue un enjeu central aussi bien pour les pays en voie de développement, pour lesquels la pollution de l'eau constitue l'un des freins principaux à la croissance, que pour les pays développés. En témoigne le durcissement considérable des législations en la matière au cours des dernières années, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe.

Le prix de l'eau a énormément augmenté ces dernières années. Pensez-vous que cette hausse a vocation à se poursuivre dans l'avenir ?
Il est vrai que si nous prenons les études réalisées sur les villes de Californie, il apparaît que sur une période de 20 ans, les tarifs de l'eau ont progressé de manière similaire à ceux du pétrole, soit une augmentation annuelle de 6,3%. Bien que les autorités publiques dans cet Etat, après avoir délégué les pouvoirs aux acteurs privés, aient été hostiles à toute augmentation éventuelle, la progression fut importante. Elle s'explique essentiellement par l'effet de rareté.

Néanmoins, il est à noter que contrairement au pétrole, qui est une ressource non renouvelable, l'eau peut être traitée et réutilisée, même si jusqu'à présent, il y a eu une forte réticence des populations à consommer de l'eau usée recyclée. L'une des solutions en forte croissance pour lutter contre la pénurie dans certaines régions du monde est dès lors le dessalement. 

La plus grande station de dessalement est le soleil et nous sommes capables de répliquer ce processus sur notre planète. Des chiffres à l'appui : aujourd'hui, la plus grande station de dessalement avec la technologie d'osmose inverse se situe en Israël et est opérée par Veolia. Là, il est possible de produire de l'eau à des coûts proches de 0,5 dollar par mètre cube. Ces technologies sont devenues très compétitives. Il y a 20 ans, 8 kW d'électricité par mètre cube étaient nécessaires pour dessaler. Maintenant, et grâce à des membranes plus sophistiquées, nous sommes arrivés à 3 kW.

Aussi, nous pensons que grâce à la recherche et à un effort massif d'investissements dans ce domaine, le prix de l'eau, après avoir atteint un certain plafond, devrait baisser.

Vous admettez que dans les années à venir, le secteur privé devrait occuper une place de plus en plus importante dans le marché de l'eau pour au moins deux raisons importantes : le financement d'infrastructures et de technologies.
Selon vous, quel pays pourrait servir d'exemple s'agissant d'une bonne coexistence entre les acteurs privés et les autorités publiques ?
Il faut bien comprendre que par principe les plus grands concurrents des acteurs privés sont les municipalités publiques. Néanmoins, nous pouvons citer plusieurs exemples de pays dans lesquels les relations entre secteur public et privé sont bonnes : l'Angleterre, la France, la République tchèque ou encore le Chili.

Pour autant, des distinctions peuvent être faites entre les modèles mis en place. Ainsi, si nous prenons le cas de la France et de l'Angleterre, nous pouvons observer une grande différence entre les systèmes existants faisant appel au secteur privé.

En Angleterre, les sociétés privées sont propriétaires de l'ensemble des actifs (usines de traitement, réseaux de transport et de distribution). Mais parfois, la municipalité reste le propriétaire des actifs tout en concédant à une société privée le droit de les exploiter, de les maintenir et de fournir le service aux usagers, en échange d'une rémunération. Ainsi, dans un cas vous avez un système monopolistique, et dans l'autre un système compétitif.

Vous êtes titulaire d'un fonds dont le portefeuille d'investissements comprend les plus grandes valeurs du secteur : Veolia, ITT Technologies, Nestlé, Danone ou encore Suez. Au-delà des grandes valeurs, votre fonds s'intéresse t-il également aux petites et moyennes capitalisations ?
Absolument. Nous avons des positions importantes dans de nombreuses sociétés de petites et moyennes capitalisations situées sur des marchés de niche. Ce sont pour la plupart des sociétés innovatrices qui apportent une réelle valeur ajoutée à l'industrie de l'eau.

Dans ce cas, notre volonté est d'acquérir 10% du capital, et ceci pour des raisons stratégiques. En effet, cela nous permet d'être considéré comme un investisseur important et d'avoir un bon contact avec le management.

Pour vous donner quelques exemples, nous citerons le cas de Plant Health Care, société cotée à Londres, établie au Canada qui produit des enzymes permettant d'accroître le développement des racines des plantes afin d'augmenter l'efficacité de l'irrigation (une productivité augmentée jusqu'à 20%). Il y a également Bioteq, société canadienne cotée à Toronto et spécialisée dans le traitement des eaux usées par le zinc.

Un autre exemple, qui a un peu moins bien fonctionné, est celui de la société Flexible Solutions. Cette société canadienne cotée aux États-Unis produit de la poudre servant à la réduction de l'évaporation de l'eau.

La zone géographique de votre fonds n'englobe pas l'Afrique. Pourquoi ?
En tant qu'investisseur dans les fonds propres d'une société, ce qui nous intéresse c'est que la société développe des projets rentables. En l'absence de rentabilité, nous ne pouvons malheureusement pas investir.
Or, dans beaucoup de zones géographiques, comme l'Afrique, les systèmes politiques et le pouvoir d'achat ne sont pas assez développés pour qu'un investissement comme actionnaire ait du sens. Dans la plupart des cas, les sociétés de distribution d'eau sont totalement publiques et donc non ouvertes aux investisseurs privés. Les prix y sont subventionnés et il y a une volonté politique de fournir l'eau aux habitants à un prix en dessous du coût de production.
Dans ces pays, l'encouragement à la construction des infrastructures passe dès lors par la dette. Les financements sont sécurisés et garantis par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Comment expliquez vous la performance du fonds pour l'année 2006 ?
L'année 2006 a été excellente pour notre fonds. La performance peut être qualifiée d'inhabituelle, compte tenu du fait que le marché des services liés à l'eau croît de l'ordre de 8% par an, s'élevant à plus de 20%. Ceci s'explique par différents facteurs. Tout d'abord, un intérêt marqué des investisseurs pour les entreprises du secteur des services aux collectivités dans lesquels nous investissons. Ces sociétés avaient fortement pâties des conséquences de l'affaire Enron aux Etats-Unis en 2002, mais aussi des difficultés rencontrées par Suez en Argentine en 2003. Au cours des deux dernières années, elles ont bénéficié d'un fort effet de rattrapage. Par ailleurs, l'intérêt croissant des fonds de private equity pour le secteur de l'eau, du fait de l'existence de contrats de longue durée offrant une certaine stabilité et une réelle visibilité en terme de profitabilité, a lui aussi contribué a une forte appréciation des cours de bourse.

Nous pensons d'ailleurs que pour l'année 2007, l'intérêt non démenti de ces fonds devrait être l'un des trois facteurs soutenant la performance du fonds, avec la forte croissance des investissements dans les infrastructures de production, de traitement, et de distribution d'eau, mais aussi la tendance croissante à la privatisation que l'on observe notamment en Asie et en Europe de l'Est.

Propos recueillis par I.H.

- 30 Mars 2007 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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