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(Easybourse.com) Quelle est la tendance des prix des matières premières ?
Si nous considérons le prix des matières premières dans leur ensemble et sur le long terme (il est possible de remonter jusqu'au 19ème siècle), nous observons que le cours des matières premières, corrigé de l'inflation, a eu tendance à décliner.

A partir des années 2000, la tendance de long terme semble s'être inversée. Toujours en données corrigées de l'inflation, nous nous inscrivons dans une phase de remontée relative des prix.
A la différence du passé, les phases de hausse du cycle semblent être plus longues et plus importantes dans leur ampleur que les phases de baisse. C'est en cela (la tendance) que nous avons une inflexion. La nature fondamentalement cyclique des matières premières reste plus que jamais d'actualité.

Ainsi, la phase de hausse connue, en particulier en 2007, sur le prix des matières premières va appeler inéluctablement une correction, probablement dès cette année, mais cette correction devrait être modérée et de courte durée.

Comment expliquez-vous cette inversion de tendance ?
Cela tient essentiellement à deux éléments. Tout d'abord, il y a un choc de demande. Très clairement depuis 2001, les grands pays émergents, notamment la Chine et l'Inde, ont connu une forte accélération de leur développement économique et une importante augmentation des revenus des agents économiques domestiques. Dès lors, les consommateurs de ces pays accèdent plus rapidement à un pouvoir d'achat de classe moyenne et acquièrent davantage d'automobiles, de biens d'équipement etc. Cela engendre des consommations additionnelles en métaux et en énergie sur une échelle jamais vue dans l'histoire.

Par ailleurs, du côté de l'offre, la faiblesse chronique des prix dans les années 1985-2000 s'est traduite par de trop faibles investissements dans les capacités de production. Au début des années 2000, lorsque le choc de demande des émergents est apparu, les producteurs ont eu du mal à faire face et les prix ont monté en conséquence. Compte tenu des délais d'ajustement, le déséquilibre est durable.

Quelle sera la réaction de l'offre par rapport au choc de la demande ?
Cette réaction va beaucoup dépendre de la nature de la matière première.

Au demeurant, la mise en exploitation d'une nouvelle mine ou d'un nouveau gisement nécessite du temps. Il va falloir procéder à des explorations, mettre en exploitation la mine avec toutes les infrastructures qui lui sont liées. Les délais peuvent s'élever à une dizaine d'années.

En revanche, les matières premières agricoles sont des produits pour lesquels les capacités de production peuvent être ajustées sur des délais plus courts. C'est la raison pour laquelle dans l'ensemble des matières premières, ce sont les denrées agricoles qui ont décollé le plus tardivement et se montrent les plus volatiles.

Quel regard portez-vous sur la thématique énergétique ?
Un point essentiel est de savoir si l'offre est en mesure de progresser au moins aussi rapidement que la demande. A l'heure actuelle, nous pouvons raisonnablement espérer que cela soit le cas des métaux industriels à moyen terme.
Cette affirmation est sans doute moins évidente en ce qui concerne l'énergie. Le décalage durable entre offre et demande amène à penser que la thématique énergétique est prometteuse.

La hausse du prix du baril de pétrole à 100 $, a conduit à l'éviction de toute une fraction de la demande potentielle de cette matière première qui a basculé de ce fait sur des sources alternatives, en premier lieu le charbon.

 A-t-on évalué la demande additionnelle ?
Par définition, la demande totale d'un produit ne peut dépasser ce qui est produit plus ce qui est prélevé des stocks. C'est pour cette raison que l'offre de pétrole est à peu près égale à la demande effective. Les consommateurs qui se reportent sur le charbon préféreraient certainement recourir à du pétrole, ne serait-ce qu'en raison des contraintes de transport, de pollution et de rendement énergétique. La hausse de la consommation de charbon, ramenée à un équivalent pétrole, peut fournir une approximation de ce que serait la demande de pétrole si le prix n'était pas contraignant.

Si le prix du baril était resté à un niveau bas, celui de 1999, la demande effective serait vraisemblablement supérieure à ce niveau.

Quels sont les principaux risques sous-jacents à ce secteur ?
Un des principaux risques réside à mon sens dans un fort ralentissement de la croissance économique mondiale, en particulier si les Etats-Unis entraient dans une véritable récession durable.

Pour certains, même en cas de fort ralentissement, les pays de l'OPEP ont fixé un seuil en dessous duquel le prix du baril ne pourra pas baisser, à savoir 80 $ ?
Je pense que les contraintes physiques qui pèsent sur le marché imposent un prix moyen de 80$ indépendamment de toute interférence de l'OPEP.

Ponctuellement, il est possible d'envisager un accident de marché, une évolution catastrophe du cours du pétrole et des prix qui descendraient en deçà de 80$.

L'OPEP n'a pas un contrôle parfait sur l'évolution des prix sur les marchés mondiaux. Les décisions prises par cette organisation en matière de production mettent plusieurs mois à se traduire dans la structure des prix au niveau international. 

Quel est votre avis sur les tensions géopolitiques ?
Je ne souscris pas réellement à l'idée selon laquelle les cours de l'énergie sont influencés par les tensions géopolitiques. En 1999, lorsque le prix du baril était à 10 dollars, il existait des tensions dans le monde mais le taux d'utilisation des capacités de production était suffisamment bas pour faire en sorte qu'un accident conjoncturel de nature géopolitique n'ait pas un impact tel sur le marché qu'il puisse orienter les prix dans un sens ou dans un autre.

Le fait de prêter attention aujourd'hui à la moindre guérilla dans un pays exportateur de pétrole comme le Nigéria s'explique par un taux d'utilisation des capacités de production très élevé.

Feriez-vous une distinction entre les métaux de base et les métaux précieux s'agissant de la corrélation existante avec la conjoncture économique ?
Très certainement. Les prix des métaux précieux suivent une logique différente des prix des métaux de base, ces derniers étant davantage liés au cycle économique international.

Dans la mesure où nous devrions avoir un ralentissement de la croissance économique cette année, nous avons beaucoup de mal à envisager une hausse pour les métaux de base.
Le prix de l'aluminium se situe aux alentours de 2400 $ la tonne (un niveau légèrement en hausse depuis le point bas atteint en 2007 : 2100 $ la tonne).

Le cuivre est l'un des produits les plus liés à la conjoncture, sachant qu'un important débouché de ce métal est la construction. Nous sommes actuellement sur un prix de 7775 $ la tonne (dans le haut de la fourchette de ce qu'on observe depuis 2006, même si les évolutions sont très erratiques).

Le marché de l'acier est assez particulier en ce sens qu'il dépend des négociations entre les sidérurgistes et les producteurs de fer. Le marché qui donne la tendance aujourd'hui est le marché chinois.

S'agissant des métaux précieux, l'or est véritablement la valeur symptomatique du moment. La logique de prix est dictée par deux paramètres. Tout d'abord, l'équilibre existant entre l'offre et la demande. La demande émanant des grands pays émergents et des fonds d'investissement spécialisés dans l'or est très robuste. Parallèlement nous observons le déclin de la production de certains pays phares comme l'Afrique du Sud qui, pendant longtemps, a été le premier producteur mondial (à la fin de l'année 2007, c'est la Chine qui est devenu le premier pays producteur). 

Par ailleurs, un autre élément qui explique l'attrait pour l'or est la remontée de l'aversion au risque et la crainte de la résurgence de l'inflation. L'or est un investissement physique qui rassure plus que le papier.
 
Quelle est la situation pour les denrées agricoles ?
Il me semble que la structure de production des produits agricoles est influencée par la thématique énergétique.
En témoigne l'exemple du coton. Le coton se trouve sous la forme d'une fibre textile et sous la forme d'une graine servant à la production d'huile de graines de coton.
Les évolutions de ces catégories de produits de coton sont quasiment opposées. Le coton textile fait l'objet d'un niveau élevé de subventions de la part du gouvernement américain et est structurellement en surcapacité de production. Actuellement le prix de la fibre de coton textile est équivalent à celui du début des années 2000.

S'agissant de l'huile de coton, qui ne bénéficie pas de ces subventions, le cours actuel est très sensiblement supérieur à celui des années 2000. Les prix ont été multipliés par plus de 3. 
Cette explosion s'explique en partie par l'utilisation de l'huile de coton dans la production de biocarburant.

Qu'en est-il des autres matières premières agricoles ?
Toutes les matières premières impliquées dans la production des biocarburants ont vu leur prix augmenter : blé, soja, maïs.

Ce qui s'est passé avec le soja est particulièrement intéressant. Le cours des graines de soja n'a cessé d'augmenter. Or, en matière de biocarburant, le gouvernement américain subventionne la filière maïs, mais pas la filière soja. Par conséquent les producteurs de soja sont en train progressivement de basculer une partie de leur production sur le maïs.

A ces questions de produire (ou de ne pas produire) tel ou tel produit agricole, il faut ajouter, notamment dans le cas des céréales, des niveaux de stocks très faibles. Ainsi, les stocks mondiaux de riz (rapportés a la consommation) sont au plus bas depuis 1977 et il faut remonter au-delà des années 60 pour retrouver des stocks mondiaux de blé aussi faibles que ceux d'aujourd'hui.

Quid du sucre, la matière première la plus propice à la production des biocarburants ?
Concernant ce produit, nous sommes sur une tendance de nouveau haussière, après trois années mouvementées. Entre 2004 et 2006, nous avons assisté à une forte tension sur le cours du sucre en raison notamment des anticipations de demande de biocarburants. Fort logiquement, répondant au signal des prix, les producteurs ont accru les surfaces cultivées un peu partout dans le monde. Or, en 2006, les conditions climatiques ont été particulièrement propices à la production de canne à sucre. Nous nous sommes retrouvés alors en surproduction. En conséquence, nous avons eu une baisse relativement importante des prix entre le début 2006 et l'été 2007.

Recommanderiez-vous à un investisseur de placer son argent sur le marché des matières premières ?
La carte de l'énergie me semble la plus prometteuse compte tenu du développement des grands pays émergents et de l'impact sur les prix internationaux.
Il y a peu de doute que la demande connaisse un tarissement de manière durable. Une perturbation temporaire est envisageable en cas de récession économique sévère cette année. Mais les besoins énergétiques s'inscrivent dans une tendance de fond indéniable.

J'opterai s'agissant des métaux industriels pour un investissement de moyen terme pour lesquels la rigidité de l'offre est moins élevée que dans le cas du pétrole. Par exemple, l'aluminium est le métal le plus présent sur terre. L'humanité ne manquera pas tout de suite de métaux industriels, il y a juste besoin d'un peu de temps pour que les capacités de production (extraction et raffinage) puissent se faire.

Les produits agricoles seront très influencés par la thématique énergétique. Plus la demande d'énergie progressera, plus nous arriverons à la limite des capacités de production des énergies conventionnelles -pétrole et dans une moindre mesure le charbon- et plus la demande pour des sources alternatives d'énergie va se matérialiser, notamment les biocarburants.

Cependant, cette dernière affirmation est à relativiser en raison de considérations environnementales. La production de biocarburant nécessite un recours assez sensible en engrais, et va nécessiter dans le futur de mobiliser de nouvelles terres cultivables. Or, l'une des dernières possibilités pour accroître significativement les capacités de production réside dans la déforestation. Cela se voit particulièrement au Brésil, en Malaisie et en Indonésie.

Qu'en est-il des stratégies d'investissement à adopter pour investir dans les matières premières ?
Une distinction est faite entre les actions conventionnelles et les futures. Les méthodes de gestion sont différentes. Sur les trackers, ce qui prime, c'est la réplication d'un indice. Il n'y a pas véritablement de valeur ajoutée, la performance du fonds étant calquée sur celle de l'indice. Cela permet de manière générale, de limiter les frais de gestion.

La gestion dans l'univers des actions est souvent une gestion plus active et implique des décisions d'investissement prises par le gérant. Par exemple, Axa IM propose un fonds sur le thème de l'énergie, Axa WF Junior Energy, qui présente l'originalité de sélectionner des valeurs à la fois spécialisées dans l'exploration et l'ingénierie pétrolière (le segment le plus porteur de la chaine de production et de distribution de l'or noir) et ayant des petites ou moyennes capitalisations (car elles bénéficient d'un potentiel de valorisation plus important que les grands groupes et leur performance est moins corrélée aux fluctuations des prix du pétrole).

Tant que les marchés actions resteront sous la menace d'une correction alimentée par le dégonflement de la bulle du crédit aux Etats-Unis, il sera sans doute plus prudent de privilégier les trackers sur indices de futures. Mais, à moyen terme, des valorisations plus attractives avec des perspectives de croissance toujours robustes devront se traduire par un report sur les actions de sociétés liées aux matières premières.

L'horizon temporel est a ce titre décisif. L'investissement dans les matières premières doit être envisagé sur plusieurs années (souvent entre 5 et 8 ans) en ne perdant pas de vue que la volatilité est naturellement forte pour cette classe d'actif. 2008 devrait nous en fournir une bonne illustration.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 28 Février 2008 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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