Les commentaires de Mario Draghi sur le taux de change de l'euro étaient très attendus après la confirmation par la BCE de sa politique monétaire ultra-accommodante et de ses engagements à maintenir les taux à leurs niveaux actuels bien après la fin de ses rachats d'actifs ainsi qu'à augmenter ces derniers si nécessaire.

Ses propos, à l'issue de la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE, étaient d'autant plus sensibles au lendemain des déclarations du secrétaire d'Etat américain au Trésor, Steve Mnuchin, sur les avantages d'un dollar faible, qui ont propulsé l'euro à un plus haut de trois ans au risque de peser sur les prix à l'import en zone euro et de fragiliser ainsi l'objectif de la BCE de redynamiser l'inflation.

Steve Mnuchin a déclaré cette semaine à Davos qu'il accueillait favorablement un dollar faible estimant que cela était favorable aux échanges extérieurs américains. Le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, a de son côté, déclaré que les Etats-Unis montaient désormais aux créneaux dans une guerre commerciale mondiale en cours depuis longtemps.

Interrogé lors de la traditionnelle conférence de presse qui suit le conseil des gouverneurs sur une possible guerre des changes, Mario Draghi a réaffirmé que le taux de change n'était pas un objectif de la politique monétaire de la BCE.

"Nous ne ciblons pas les taux de change. Les taux de change sont importants pour la croissance et la stabilité", a-t-il dit. "Ils se renforcent avec la croissance de l'économie, c'est un fait. Nous regardons l'inflation, c'est notre principale préoccupation."

Sans être plus précis, Mario Draghi a dit que l'euro s'était apprécié en partie en réaction "à des propos qui ne font pas partie des éléments de langage qui ont récemment fait l'objet d'un accord."

Il faisait référence au communiqué publié à l'issue de la réunion du Fonds monétaire international (FMI) du mois d'octobre aux termes duquel les pays participants réaffirmaient leur accord pour "s'abstenir de dévaluations compétitives et (...) ne pas cibler (leurs) taux de change à des fins concurrentielles."

"Si tout cela devait conduire à un resserrement injustifié de notre politique monétaire (...) alors il faudrait simplement que nous réfléchissions à notre stratégie de politique monétaire", a dit Mario Draghi, soulignant que plusieurs membres du Conseil des gouverneurs avaient fait part de leur préoccupation.

HAUSSE DE L'EURO ET DES TAUX

L'euro a accentué son appréciation après les propos de Mario Draghi, gagnant plus de 0,8% contre la devise américaine pour franchir le seuil de 1,25 dollar pour la première fois depuis la mi-décembre 2014.

Les rendements obligataires au sein de la zone euro se sont tendus sur l'ensemble des échéances.

"Pour Mario Draghi, la vigueur de l'euro est liée à la vigueur de l'économie européenne. C'est un phénomène en quelque sorte naturel", a commenté Eric Bourguignon, directeur général délégué de Swiss Life Asset Management.

"Sur les marchés, les intervenants ont jugé que puisque l'euro n'était pas un problème, il n'y avait pas de raison pour qu'il baisse. Les taux sont également remontés car cela laisse la porte ouverte à un resserrement de la politique monétaire de la BCE."

Mario Draghi a toutefois déclaré qu'il y avait "très peu de chances" que la BCE relève ses taux directeurs cette année au vu de pressions inflationnistes toujours contenues mais appelées à se redresser à moyen terme.

Les mesures de l'inflation sous-jacentes "sont appelées à augmenter graduellement à moyen terme avec le soutien de nos mesures de politiques monétaires, de la poursuite de l'expansion économique, de la réduction correspondante des excédents de capacité et de l'augmentation de la croissance des salaires."

La hausse de l'euro et ses effets sur les prix à l'importation menacent de freiner l'inflation déjà faible en dépit de l'accélération de la croissance et de la réduction du chômage au sein de la zone euro.

Mario Draghi a dit qu'il était trop tôt pour déterminer exactement quels effets de "contagion" sur l'inflation pouvaient résulter de l'appréciation de l'euro.

Dans ce contexte, le président de la BCE n'a pas modifié son pilotage des anticipations et il a confirmé que les achats d'actifs - réduits de moitié à 30 milliards d'euros par mois depuis le début de l'année et prolongés au moins jusqu'en septembre - seraient maintenus jusqu'à un rebond durable de l'inflation.

"Un ample degré de stimulation monétaire reste nécessaire pour que les pressions inflationnistes sous-jacentes continuent à s'affirmer et soutiennent les évolutions de l'inflation publiée à moyen terme", a-t-il dit.

(Bertrand Boucey et Marc Joanny pour le service français)

par Balazs Koranyi et Francesco Canepa