par Gilles Guillaume

La Chine, dont le taux d'équipement automobile reste très loin de la moyenne mondiale, s'est contentée jusqu'ici de négocier le rachat de marques étrangères fragilisées par la crise plutôt que de chercher à exporter à tout prix des modèles, qui souffrent encore d'un déficit d'image en termes de sécurité et de fiabilité.

"On ne sent pas à l'heure actuelle de véritable volonté de la Chine de partir à l'assaut de l'Europe ou des États-Unis avec ses propres modèles", commente François Roudier, porte-parole du Comité des constructeurs français de l'automobile (CCFA). "Tout simplement pour une question de logique: le marché chinois est si vaste, pourquoi alors se lancer à l'étranger sur des créneaux où la concurrence est déjà impitoyable."

La relative absence de la Chine hors de ses frontières peut aussi cacher un autre pari. Au lieu de courir après les Européens et les Américains, forts de plus d'un siècle d'expérience dans le moteur à explosion, pourquoi ne pas miser dès aujourd'hui sur la prochaine révolution automobile ?

"Si la Chine et l'Inde basculaient sur le véhicule électrique, ils prendraient un 'shortcut' technologique qui changerait complètement toutes les prévisions, et à mon avis d'ailleurs la structure de l'industrie automobile mondiale", observait le mois dernier le directeur général délégué de Renault, Patrick Pelata, au cours d'une conférence sur la voiture propre. "C'est quelque chose que nous suivons de très près."

Au salon de l'automobile de Pékin, fin avril, les constructeurs chinois ont exposé pas moins d'une vingtaine de modèles et concept cars électriques ou hybrides. BYD, spécialisé dans les batteries jusqu'à ce qu'il se lance aussi dans l'aventure automobile en 1995, a présenté quant à lui au salon de Genève "E6", un crossover électrique dont la commercialisation est attendue dès cette année.

DE VOLVO AUX "BLACK CABS" EN PASSANT PAR LE DAKAR

Le développement accéléré de l'économie chinoise a montré par le passé que le pays serait tout à fait capable, s'il le désirait, de proposer des véhicules répondant à l'évolution des attentes des Occidentaux.

Selon l'édition 2010 de l'observatoire Cetelem de l'automobile, l'engouement pour le "low cost" a gagné à son tour la voiture puisque 41% des automobilistes français se disent prêts à acheter un véhicule d'origine chinoise ou indienne, un pourcentage qui monte à 57% chez les Européens. L'expérience chinoise dans les petits modèles répondrait aussi à l'évolution des modes de déplacement, notamment dans les villes européennes congestionnées, mais à ce jour les exemples restent rares.

"Il y a une composante sécurité qui fait qu'il y a beaucoup de barrières a l'entrée pour ce type de voiture", rappelle Jean-Charles Sambor, économiste chez TCW (SGAM). "Le processus de montée en gamme est assez long, même s'il est certainement plus court qu'il l'a été quelques années plus tôt pour les constructeurs coréens."

Plusieurs constructeurs chinois ont participé cette année au rally Dakar: Chery a terminé aux 28e et 29e places, tandis que Great Wall Motor (GWM) a fini 33e, sur 46 voitures à l'arrivée. De tels succès contribuent à faire oublier une publicité moins glorieuse, comme les images de crash tests désastreux ou les accusations de contrefaçon.

Ces difficultés, conjuguées à l'absence d'une vraie offre diesel ou d'un véritable réseau capable de distribuer et d'entretenir les véhicules, expliquent que Brilliance, partenaire de BMW en Chine, ait interrompu il y a quinze jours l'exportation vers l'Europe de ses berlines BS4 et BS6 faute d'une demande suffisante.

Et si GWM a choisi malgré tout de se rapprocher du marché européen en construisant une usine en Bulgarie, la préférence actuelle va aux acquisitions.

"Les constructeurs chinois pensent qu'une véritable stratégie d'internationalisation passera d'abord par le rachat de marques internationales", poursuit Jean-Charles Sambor.

Sur ce terrain, l'offensive de la Chine a été éclair: BAIC a acquis certaines technologies de Saab, le fabricant de machines outil Tengzhong a failli reprendre la gamme Hummer et Geely, après avoir racheté Volvo au printemps, négocie maintenant la reprise des taxis noirs de Londres.