"(...) si l'embargo de l'Opep (en 1973, ndlr) a peut-être pu déclencher l'envolée des prix pétroliers, la violence de cette évolution et le caractère durable de la volatilité ont bien été le fruit d'un changement structurel. Actuellement, une mutation similaire s'opère sur le marché des céréales", observe Dylan Grice de Société Générale Cross Asset Research. "Aujourd'hui, le plus gros consommateur sur le marché des céréales, la Chine, voit sa dépendance au marché mondial des exportations croître de façon similaire à la tendance observée sur le marché pétrolier dans les années 1970."

"La flambée des cours mondiaux du pétrole en 1973 est généralement attribuée au succès de l'embargo mené par les pays de l'Opep. Pourtant, les marchés des matières premières se trouvent confrontés en permanence à des tensions dont les effets ne durent pas. Pourquoi les perturbations sur les marchés pétroliers en 1973 ont-elles abouti à une hausse permanente des prix réels ? L'embargo de l'Opep a peut-être été un déclencheur. Toutefois, la véritable cause n'était autre qu'un changement structurel du marché lié à une augmentation rapide des besoins d'importation du principal consommateur de pétrole, les Etats-Unis, dont la production pétrolière avait atteint son pic en 1970. Actuellement, le principal consommateur de céréales, la Chine, enregistre une transformation structurelle similaire."

"Le prix réel des matières premières devrait décliner dans le temps dans la mesure où les progrès technologiques diminuent les coûts d'approvisionnement sans affecter l'utilité intrinsèque de la matière. Un boisseau de blé aujourd'hui est plus ou moins similaire à celui que l'on cultivait il y 5000 ans, si ce n'est que sa production ne coûte qu'une fraction du travail de l'époque. Les goulots d'étranglement temporaires ne devraient pas modifier cette trajectoire baissière à long terme et ne devraient créer que des hausses de prix momentanées jusqu'à ce que l'offre soit de nouveau suffisante sur le marché."

"Pourquoi ce changement pourrait-il être permanent ? Avec un territoire et des ressources en eau équivalant à 7% de la surface et des réserves mondiales mais 22% de la population mondiale à nourrir, le combat de la Chine pour maintenir son autosuffisance en céréales était perdu d'avance à moins que l'économie ne se consacre exclusivement à l'agriculture. Avant les réformes de Deng Xiaoping en 1978, c'est pourtant exactement ce que faisait la Chine. La logique de l'industrialisation dans un pays où la terre et les ressources en eau sont si rares implique que les pénuries soient compensées par des importations de céréales et de bétail, tandis que la main d'oeuvre abondante est exportée à travers les produits manufacturés. Et si la Chine a excellé dans ces derniers, elle s'est tout naturellement opposée aux importations."

"Mais combien de temps pourra-t-elle défier la loi de la dotation en ressources naturelles ? Le démantèlement de l'économie agraire en faveur du modèle industriel s'est fait au détriment des terres, devenues de plus en plus rares. Progressivement, les fermes cèdent la place aux routes, parkings, usines et centres commerciaux. En outre, avec l'industrialisation, les ménages plus riches consomment davantage de protéines et, paradoxalement, les régimes riches en viande nécessitent plus de céréales que les régimes végétariens (apparemment sept fois plus environ). Cela ne serait pas problématique si la Chine était en mesure d'accroître sa productivité agricole aussi spectaculairement que son niveau de vie. Mais pour le moment, ce n'est pas le cas. Selon l'USDA (département de l'Agriculture aux Etats-Unis), la croissance de la productivité des terres chinoises continue de décélérer."

"La première tension est apparue avec l'effondrement des stocks agricoles chinois au début des années 2000. Aujourd'hui, alors que la Chine tente de les reconstituer, on observe une dépendance croissante du pays aux importations. Il semble raisonnable de penser que cette tendance va bientôt se refléter sur les prix."

"Si BHP Billiton remporte son offre sur Potash Corp, le groupe minier australien pourrait contrôler un tiers de l'offre mondiale de potasse d'ici à 10 ans. Cette semaine, une interview dans laquelle Han Gensheng, chargé des opérations de Sinochem à l'étranger, avait déclaré que Potash Corp était trop cher, a été retirée quelques heures plus tard des sites d'information chinois. Le site web, qui avait publié l'interview, affirme désormais que celle-ci n'a jamais eu lieu. Les Chinois commencent, semble-t-il, à devenir nerveux quant à la sécurité de leur approvisionnement futur en céréales. Qui peut les blamer ?" conclut Dylan Grice.