* Une quarantaine d'Etats adoptent une charte contraignante

* La situation reste précaire dans le Golfe de Guinée

* Le texte laisse en suspens les questions juridiques

par Marine Pennetier

LOME, 15 octobre (Reuters) - Confrontés à une insécurité maritime qui freine le développement de leurs économies et menace leur stabilité, une quarantaine d'Etats africains ont adopté samedi une charte contraignante visant à renforcer leur coopération et à fluidifier un échange d'informations qui reste encore insuffisant.

Réunis à Lomé, la capitale togolaise, les participants au sommet extraordinaire de l'Union africaine (UA) ont signé ce texte qualifié "d'historique", trois ans après le sommet de Yaoundé qui s'était concentré sur les quelque 6.000 kilomètres de côtes du Golfe de Guinée, du Sénégal à l'Angola.

"L'Afrique est plus exposée que les autres continents pour la simple raison que l'Afrique a très peu de compétences et de moyens pour faire face à cette situation", avait souligné vendredi le président tchadien et président en exercice de l'UA, Idriss Déby.

Le texte, très attendu mais qui doit encore être ratifié, prévoit notamment la création d'un fonds de sécurité et de sûreté maritimes et doit permettre de faciliter l'échange d'informations, parfois freiné par une méfiance réciproque ou par un manque d'équipements.

"Nous sommes devant des forces qui sont beaucoup plus riches que nous, ce qu'il nous faut c'est être plus malin puisqu'on n'est pas les plus riches", a souligné l'ex-Premier ministre du Bénin Lionel Zinsou. Il faut "être capable en matière numérique, de confiance entre les décideurs, d'agir collectivement et d'anticiper ensemble les menaces."

"Si on se rassemble, on va peut être pouvoir finir par faire jeu égal mais ça n'est pas donné, ça sera un grand effort", a-t-il ajouté.

FÉTICHISME MATÉRIEL

A l'heure où près de 90% du transport et 99% des liaisons internet passent par la mer, la question de la sécurisation maritime est un enjeu crucial.

En Afrique, si les actes de piraterie ont quasiment disparu dans le golfe d'Aden, sous l'effet notamment de l'opération européenne Atalante, la situation dans le Golfe de Guinée reste précaire.

Le nombre d'attaques de pirates accompagnées de prises d'otages reste fréquent et la pêche illégale entraîne un manque à gagner pour les pays de la région estimé à 350 millions d'euros chaque année.

Sur le terrain, depuis le code de conduite adopté lors du sommet de Yaoundé en 2013, la coopération entre les différentes marines, aux moyens et aux intérêts différents, en est encore aux balbutiements malgré la prise de conscience politique.

Le centre interrégional de coopération (CIC), basé à Yaoundé, n'est pas encore effectif, tout comme le centre régional de sécurité maritime de l'Afrique de l'Ouest (Cresmao) à Abidjan.

Les exercices de coopération eux se multiplient, avec le soutien de plusieurs marines occidentales dont la France présente dans la région depuis 1990 avec l'opération Corymbe.

Destinée en premier lieu à assurer la protection de ressortissants et des intérêts français dans la région, l'opération mobilise un bâtiment de la marine quasiment en continu tout au long de l'année dans la région et contribue aux missions de formations et à la coopération régionale.

"Il faut qu'il y ait une coopération, une confiance qui permettent l'utilisation de l'information, du renseignement par les différents Etats côtiers, qu'ils puissent mettre les outils nécessaires pour communiquer entre eux et ensuite pour intervenir", a déclaré Jean-Yves Le Drian, qui s'est rendu au marge du sommet sur le BPC français Dixmude.

"Sur l'intervention il y a parfois moins de souci que sur l'information et le renseignement", note le ministre français de la Défense, qui juge important que l'Union européenne et la France en particulier "puissent accompagner les Africains dans leur maîtrise de leur propre sécurité maritime".

A Paris, on se dit notamment prêt à mettre à disposition des postes informatiques adéquats, des formations, ou encore des logiciels.

La question devrait être abordée au niveau européen lors du conseil Affaires étrangères-Défense à Bruxelles les 14 et 15 novembre.

L'équipement ne fait pas toutefois pas tout, estime Lionel Zinsou, qui pointe "un désert juridique", notamment concernant le droit de poursuite auquel le texte adopté samedi ne répond pas.

"Il ne faut pas tomber dans le fétichisme des choses seulement matérielles", souligne l'ex Premier ministre. "Je veux des bateaux, des vedettes, des patrouilleurs, des drones et des avions de surveillance : oui il faut absolument tout ça mais j'ai besoin d'instruments juridiques aussi".

"Penser qu'on peut agir sans droit alors qu'une des grandes forces des ennemis en mer c'est qu'eux profitent du fait qu'ils traversent toutes les frontières, si on n'est pas capable d'avoir la même flexibilité et souplesse, on a un vrai problème". (Edité par Nicolas Delame)