par Sam Cage et Radu Marinas

BUCAREST, 27 janvier (Reuters) - En décembre 1989, Titi Amzar, alors étudiant en arts, avait risqué sa vie lors des manifestations place de l'Université, qui aboutirent à la chute du numéro un roumain Nicolae Ceausescu.

Aujourd'hui, à 43 ans, il est de retour sur la place et réclame la même chose: de nouveaux dirigeants pour son pays.

Les manifestations qui ont lieu chaque jour depuis deux semaines contre le président Traian Basescu et le Premier ministre, Emil Boc, se sont étendues à l'ensemble du pays.

A l'origine tournées contre un projet de réforme du système de santé, elles sont devenues rapidement le réceptable de la colère contre les mesures d'austérité et la corruption.

Bon nombre de manifestants, à l'image d'Amzar, critiquent aussi l'opposition politique et doutent fort de la capacité des dirigeants actuels à régler les problèmes du pays.

"Tous ces gouvernements post-communistes sont incompétents", dit l'ancien étudiant, devenu designer, au croisement de plusieurs boulevards du centre de Bucarest, là même où, pendant les événements de 1989, une cinquantaine de manifestants avaient trouvé la mort.

"La classe politique est le principal coupable de l'effondrement de notre système économique et des malheurs de la société", dit-il à Reuters.

L'agitation sociale, la plus forte depuis une dizaine d'années, ne menace pas encore le gouvernement et ne l'a pas fait changer de cap. Elle risque pourtant d'entraîner la défaite d'Emil Boc aux législatives de la fin 2012, ce qui déboucherait sur une cohabitation entre Basescu et ses opposants.

Le président Basescu n'a théoriquement guère de pouvoirs mais c'est à lui qu'incombe d'annoncer tous les grands choix politiques, comme par exemple les baisses de salaires et des pensions de retraite décidées en 2010 ou encore la conclusion d'un accord avec le Fonds monétaire international.

Cet ancien capitaine de vaisseau, dont le mandat court jusqu'en 2014, a commis un impair de taille en critiquant le populaire vice-ministre de la Santé Raed Arafat, ce qui a entraîné la démission de ce dernier et déclenché la vague actuelle de manifestations.

LE PARTI DE BOC AU PLUS BAS

Le chef de l'Etat avait accusé Arafat, médecin d'origine palestinienne qui avait mis sur pied des services d'urgence, d'être un "gauchiste" - accusation délicate dans la Roumanie post-communiste - parce qu'il s'opposait à la privatisation du système de santé. Or, les services mis en place par Raed Arafat avaient valu à ce dernier respect et admiration de la part d'une large frange de la population.

Si la Roumanie a parcouru un long chemin depuis vingt ans, son revenu par tête d'habitant est toujours inférieur de moitié à la moyenne de l'Union européenne et le pays demeure sensiblement plus pauvre que d'autres ex-"pays de l'Est" comme la Hongrie ou la Pologne. Nombre de villages, et même certaines parties de Bucarest n'ont pas l'eau courante ou l'électricité.

Les milliers de personnes descendues dans la rue ce mois-ci ont choisi de se retrouver place de l'Université, là où les manifestants se rassemblaient en 1989, et l'ont rebaptisée "kilomètre zéro de la démocratie".

Les manifestants agitent des pancartes comparant Basescu, au pouvoir depuis 2004, à Ceausescu ou à Dracula, car il suce selon eux le sang de la nation. D'autres ne sont pas moins critiques envers l'opposition, ne la jugeant pas plus compétente que l'élite actuellement au pouvoir.

"Une grande majorité de la population aimerait voir Basescu partir, mais elle se demande qui pourrait le remplacer", écrivait récemment Grigore Cartianu, rédacteur en chef du quotidien Adevarul.

Selon un sondage de l'institut Eurobaromètre, les trois quarts de la population pensent que le pays va dans la mauvaise direction.

Le tandem Basescu-Boc a fait adopter certaines des plus dures mesures d'austérité en Europe, comme des baisses de salaires de 25% dans la fonction publique et une hausse de cinq points de la TVA.

Emil Boc a de fait reconnu la fragilité de son Parti démocrate-libéral en renommant Arafat à son poste. La formation du Premier ministre n'est plus créditée que de 18% des intentions de vote, contre 50% pour l'alliance de gauche USL. (Eric Faye pour le service français, édité par Gilles Trequesser)