Londres (awp/ats/reu) - Les trois plus grandes banques centrales de la planète s'acheminent vers le dénouement de politiques monétaires ultra-accommodantes. Les investisseurs ne cèdent toutefois pas à la panique, comme cela fut le cas quatre ans auparavant avec la Réserve fédérale américaine (Fed).

Le président de la Fed, Ben Bernanke, avait semé le chaos sur les marchés financiers en 2013, après avoir laissé entendre que la banque centrale pourrait ralentir le rythme de croissance de son bilan, évoquant ainsi à demi-mots une sorte de dénouement ("tapering") de sa politique monétaire.

La seule idée de freiner quelque peu les mesures qui avaient permis à l'institut d'émission de noyer le système bancaire sous les dollars avait provoqué une chute de près de 7% de Wall Street et une montée de plus d'un point du rendement des emprunts d'Etat. Elle avait plus généralement suscité une véritable onde de choc sur toutes les places de la planète.

Quatre ans plus tard, la Fed songe sérieusement à non pas ralentir le rythme de la croissance de son bilan mais bien à le dégonfler purement et simplement, tandis que la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du Japon (BoJ) envisagent, avec toute la circonspection requise, de mettre un terme à leur politique monétaire ultra-accommodante.

"COUP DE SANG"

Mais cette fois-ci, les investisseurs paraissent garder la tête froide alors qu'ils devront digérer ce mois-ci les réunions de politique monétaire de la Fed et de la BCE, réunions qui pourraient bien symboliser, avec le recul, la fin de l'argent bon marché déversé à profusion.

"L'expérience du coup de sang ("taper tantrum") de 2013 aura été riche d'enseignements. Pas besoin d'en faire trop, pas besoin d'être dogmatique; elles (les banques centrales) peuvent y aller pas à pas et préparer ainsi les marchés", commente Tim Graf de State Street.

La BCE établira sans doute un diagnostic un peu moins réservé sur la situation économique, lors de sa réunion de jeudi prochain. Elle ira même jusqu'à évoquer la possibilité de revenir en partie sur son engagement d'être encore plus accommodante si la situation le justifiait, selon des sources proches du dossier.

Janet Yellen, la présidente de la Fed, devra sans doute s'expliquer sur le projet de réduire le bilan de l'institut d'émission dès cette année, révélé par le compte rendu de la dernière réunion de politique monétaire.

La BoJ évoque elle aussi en privé une stratégie de sortie de l'ultra-accommodant alors même qu'elle n'a jamais semblé en mesure d'atteindre son objectif d'inflation malgré une planche à billets chauffée à blanc depuis quatre ans.

PRUDENCE DE MISE

De fait, les investisseurs semblent parés pour un retour à la normale même si les enjeux sont encore plus massifs qu'en 2013. Les trois banques centrales détiennent entre elles plus de 13'000 milliards de dollars (12'508 milliards de francs suisses) d'actifs, un tiers de plus qu'il y a quatre ans.

"Cette notion de dénouement (tapering) n'était pas courante du point de vue de la politique monétaire à cette époque. Ben Bernanke a lâché le mot et les marchés sont partis en vrille", observe Andrew Bosomworth de Pimco. "De nos jours, c'est un sujet de discussion courant et sans surprise; je ne crois pas qu'on réagira de la même manière".

C'est le 22 mai 2013 que Ben Bernanke prononça le mot fatidique. Ce même jour, le compte rendu de réunion de la Fed montrait que les intervenants sur les marchés pensaient que la banque centrale continuerait de racheter des actifs à la même cadence jusqu'en décembre. Mais à présent, l'hypothèse d'une normalisation progressive et prudente met les investisseurs en confiance, de l'avis de plusieurs professionnels.

Les responsables de la Fed ont dit en effet que toute réduction d'un bilan, qui atteint à présent les 4500 milliards de dollars, serait sans doute étalée sur trois à quatre ans et qu'au final son montant resterait bien supérieur aux 800 milliards d'avant la crise.

La BCE de son côté a de fait réduit le montant de ses rachats d'actifs mensuels, tout en prolongeant ce programme dit d'assouplissement quantitatif (QE). Elle a réduit en outre les rachats d'emprunts de certains pays de la zone euro pour parer le risque de pénurie de papier disponible.

La BoJ quant à elle doit s'exercer au difficile exercice de convaincre les marchés qu'elle a élaboré une stratégie de sortie sérieuse tout en évitant d'en dire trop pour ne pas déstabiliser le marché obligataire.

MARCHÉS PLUS AFFÛTÉS

Quoi qu'il en soit, les marchés sont devenus plus affûtés. Ainsi les positions spéculatives à découvert sur le marché monétaire américain, le plus sensible aux évolutions de la politique monétaire de la Fed, ont atteint une ampleur sans précédent ces dernières semaines parce que les traders anticipent un durcissement monétaire. Avant la débandade de 2013, les positions longues étaient à un plus haut de six mois.

En Europe, la plupart des économistes pensent que la BCE fera part de son intention de réduire ses rachats d'actifs mensuels d'ici septembre. Et une minorité table même sur ce mois-ci.

Il est vrai que le bilan de santé de l'économie mondiale contribue à rassurer les professionnels. Le Fonds monétaire international (FMI) projette 2% de croissance mondiale environ cette année, contre 1,3% en 2013.

reu/ats/rp