par Matthieu Protard

Alors que le comité de Bâle, qui supervise le secteur bancaire mondial, prépare de nouvelles normes - dites Bâle III - devant entrer en vigueur d'ici fin 2012, les spécialistes préviennent qu'une réglementation trop contraignante sur les fonds propres conduirait les banques à réduire voire à fermer le robinet du crédit, risquant au passage de contrarier la sortie de crise.

"Des travaux empiriques ont mis en évidence une relation entre d'un côté la réglementation prudentielle et les exigences en capital, et de l'autre l'offre de crédit par les banques", souligne Laurent Quignon, responsable de l'économie bancaire chez BNP Paribas.

"Les dirigeants français disent que cela pourrait avoir des conséquences sur la croissance. Les travaux académiques ne sont pas, à ma connaissance, allés jusque-là, mais on peut aisément l'imaginer", poursuit-il.

Le comité de Bâle, qui a annoncé en décembre des propositions de réglementation, publiera dans le courant du premier semestre une étude d'impact. Les nouvelles normes bancaires seront ensuite définitivement arrêtées d'ici à la fin de l'année (Plus de détails ).

Outre le renforcement des fonds propres, deux nouveaux ratios réglementaires devraient à cette occasion être créés: un ratio d'effet de levier et un ratio de liquidité. L'idée étant de forcer les banques à équilibrer leurs sources de financement en fonction de leurs engagements et des prêts qu'ils consentent.

"Les régulateurs conduisent en regardant dans le rétroviseur. C'est une bonne chose de vouloir contrôler les effets de levier mais la nouvelle réglementation risque de coûter un point de croissance", peste un banquier parisien.

"Les politiques doivent reprendre la main sur le sujet de la régulation et ne pas le laisser entre les mains des seuls régulateurs", plaide-t-il.

Georges Pauget, le directeur général de Crédit agricole SA, a dans une interview aux Echos mi-janvier mis en garde les régulateurs sur les dangers d'une réglementation qui ne tiendrait compte que des intérêts des banques américaines sans se soucier du financement de l'économie.

CRÉDIT, CLÉ DE VOÛTE DE LA REPRISE

Parce que le financement de l'économie préoccupe le gouvernement, Christine Lagarde, la ministre de l'Economie, doit réunir début février les dirigeants des banques pour dresser un bilan sur le crédit. L'enjeu est de taille pour la France qui a revu à la hausse sa prévision de croissance pour 2010, à 1,4% contre 0,75% auparavant (Plus de détails ).

Les banques qui s'étaient engagées à augmenter de trois à 4% les prêts en 2009 en contrepartie des aides d'Etat, ont déjà prévenu que cet objectif ne serait pas atteint.

Pour Dominique Netter, présidente du comité stratégique d'allocation d'actifs de La Compagnie Financière Edmond de Rothschild, l'état du crédit fait peser, dans ce contexte de nouvelle régulation bancaire, une incertitude sur le retour de la croissance.

"Si elles (les banques) ne se remettent pas à prêter, ce sera le maillon manquant dans la pérennisation de la reprise", expliquait-elle mi-janvier lors d'un conférence de presse.

"De façon générale, Etats, banques centrales et Bâle sont obligés de trouver une voie moyenne entre comment éviter une nouvelle crise systémique qui conduirait à faire appel aux Etats et aux banques centrales (...) et le fait de ne pas empêcher les banques de prêter", faisait de son côté remarquer Michel Cicurel, le président de LCF Edmond de Rothschild et administrateur de la Socgen.

UNE EUROPE PLUS DÉPENDANTE DU CRÉDIT BANCAIRE

Les prêts octroyés aux entreprises, aux ménages ou encore aux collectivités territoriales sont d'autant plus surveillés en Europe qu'ils sont la principale source de financement des économies de la zone euro.

"Le poids du crédit dans le total des financements de l'économie est beaucoup plus conséquent dans la zone euro, de l'ordre de 85% à 90% sur la période récente, qu'aux Etats-Unis où c'est environ un tiers", souligne Laurent Quignon.

Si, à ses yeux, les exigences de fonds propres bancaires sont, sur un plan strictement théorique, une bonne chose pour la stabilité financière, l'expert de BNP Paribas met en garde contre une augmentation à l'infini des fonds propres.

"Si on augmente indéfiniment les exigences de capital, il n'y aura plus de crédit", insiste-t-il.

En décembre, en réaction aux propositions de réforme du comité de Bâle, la Fédération bancaire française (FBF) avait vivement mis en garde les régulateurs contre les risques d'une inflation des capitaux propres des banques.

"Il faut veiller à ce qu'une augmentation excessive des exigences de fonds propres des banques ne diminue pas la capacité des banques à financer l'économie et n'hypothèque pas la reprise économique", faisait valoir la FBF.

"Aujourd'hui le danger de contraintes de solvabilité plus élevées sur l'offre de crédit n'est pas perçue", constate Laurent Quignon. "La reprise pourrait se heurter à une moindre distribution de crédit par les banques".

Avec la contribution de Julien Ponthus, édité par Jean-Michel Bélot