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(Easybourse.com) Vous venez de publier un livre sur les hedge funds. Pourquoi un tel sujet ?
Ce travail a été conjointement demandé par l'AMF et l'université de Nanterre. La question soulevée était de savoir s'il fallait réglementer les hedge funds compte tenu d'un débat qui durait depuis une dizaine d'années.
Par ailleurs, j'avais réalisé des travaux académiques sur la crise, les investisseurs institutionnels... Les hedge funds en tant qu'intermédiaires de marché importants me semblaient très utiles à étudier.

Comment expliquez-vous le titre donné à cet ouvrage : «Entrepreneurs, ou requins de la finance» ?
Ce titre met en avant l'ambigüité des hedge funds en fonction des circonstances  de marché et des stratégies déployées.
D'un coté, il existe des stratégies, qui dans une logique de capital risque, vont dans le sens de l'innovation en investissant dans des entreprises pour  les restructurer et les rendre plus performantes.

De l'autre, nous observons des stratégies d'arbitrage dont le but ultime est de tirer profit des dislocations du marché pour générer des rendements maximums en procédant à d'importants leviers d'endettement. Ces stratégies visent à réduire le capital à investir par rapport aux résultats escomptés. Elles s'inscrivent dans une logique de prédation et sont de ce fait très risquées.

Cette ambivalence peut être mise en lumière à travers les relations très asymétriques des hedge funds avec leurs investisseurs…
Ces entités paient des commissions généreuses lorsque les marchés fonctionnent correctement et que les performances sont au rendez-vous. Mais ils n'hésitent pas à se désengager  de toute responsabilité en cas d'éventuelles pertes.

Les gérants de hedge funds peuvent bâtir une fortune personnelle très élevée, à l'instar des grands dirigeants de banque d'affaires, sans engager pour autant leur patrimoine personnel. Ce qui les incite à des prises de risques excessives.
L'opacité qui caractérise leurs activités, le fait qu'ils ne soient pas obligés de rendre des comptes sur leurs positions ou sur les techniques utilisées, amène par ailleurs à une impossibilité de contrôler les  dangers qu'ils représentent.

Est-il impératif de réglementer les hedge funds? 
Oui, pour au moins trois raisons.

Les hedge funds ne sont plus ce qu'ils étaient. Ils ont longtemps été considérés comme des fonds privés réservés à des clientèles fortunées privées, ce qui constituait leur principal argument pour ne pas être régulés.
Depuis le début des années 2000, investissent dans les hedge funds, les plus grands investisseurs institutionnels responsables de l'épargne du public : les caisses de retraite, les compagnies d'assurance… Les fonds communs de placement et les sicav sont réglementés, il n'y a pas de raisons que les hedge funds ne le soient pas.

Par ailleurs, les hedge funds peuvent pendant plusieurs années faire des profits qui semblent réguliers, quand tout va bien, grâce à des instruments de couverture de la volatilité endémique journalière des marchés. Mais les prises de risque sous jacentes sont parfois extrêmes sans que les investisseurs en soient conscients. Nous pouvons de ce fait dénoter comme une espèce de tromperie sur la réalité des services fournis par les hedge funds aux investisseurs.

Enfin, si les hedge funds n'ont pas été les responsables de la crise, pour autant, ils ont propagé le risque systémique pendant la crise pour se sauver eux-mêmes. Ils ont répercuté sur les marchés des mouvements qui ont aggravé la situation générale pour tenter de remédier à leur manque de liquidités, et pouvoir honorer leurs paiements.

De quelle manière faut-il les réglementer ?
Il ne s'agit pas d'être totalement unilatéral et manichéen. Il faut combiner des réglementations directes sur les hedge funds et bénéficier d'une régulation générale du système financier.
L'essentiel est d'obliger les hedge funds à dire ce qu'ils font aux autorités de régulation et aux investisseurs. Il faut que ces derniers qui avaient jusque là placé leurs fonds aveuglément puissent investir en connaissance de cause.

La régulation indirecte dépend de l'ampleur des réformes que l'on veut entreprendre. Une possibilité serait d'obliger les grandes banques d'investissements qui sont les habituels prêteurs des hedge funds à être plus rigoureux, pour limiter l'effet de levier, et la capacité à prendre des risques. Un des moyens d'y parvenir est de contrôler plus scrupuleusement le capital des grandes banques.

Par ailleurs, une autre voie est celle mise en avant par le président Obama qui consiste à casser la symbiose entre les banques d'affaires et les hedge funds, pour rendre ces derniers indépendants, les mettre ainsi dans une situation de plus grande difficulté pour obtenir leur financement et les contraindre à  être plus prudents.

A ce sujet, quel regard portez-vous sur les différentes vagues de régulation souhaitée des deux cotés de l'Atlantique ? 
Avant les propositions du président Obama la vision était relativement légère. On avait mis l'accent sur le renforcement de la transparence. Il était acté que les hedge funds devaient donner plus d'informations de manière régulière et systématique.

Ensuite, pour qu'il n'y ait pas de hedge funds clandestins, la volonté était affichée d'un enregistrement systémique des gestionnaires de hedge funds auprès d'un régulateur de marché comme la SEC aux Etats-Unis, l'AMF en France.

Enfin, est avancée l'hypothèse que les plus gros hedge funds, ceux qui gèrent des dizaines de milliards de dollars, soit considérés comme des entités systémiques en fonction de caractéristiques de taille ou d'interconnexion au marché et fortement régulées à ce titre par un Conseil de risque systémique qui regrouperait plusieurs régulateurs avec la Banque centrale.

Si cette réglementation était finalement adoptée, quelles seraient les répercussions pour l'industrie en termes de rentabilité, de consolidation de l'industrie, d'attrait de ces hedge funds vis-à-vis des investisseurs institutionnels ?
Nous devrions assister à une réduction de la rentabilité pour l'ensemble des intermédiaires de marché : banques d'affaires,  véhicules spéciaux,  hedge funds, …
Ces dernières années, ces acteurs avaient davantage prélevé des revenus dans l'économie que l'inverse.  La part de ces acteurs dans les revenus a considérablement gonflé, en particulier de 1998 à 2007.

Compte tenu des contraintes posées sur les stratégies les plus aventureuses, les hedge funds devraient se réorienter vers la recherche de nouveaux produits liés au financement de l'innovation nécessaire. On peut penser à l'économie verte, la réduction du gaz à effet de serre, les énergies nouvelles…
Ces activités impliquent différents types de risques qui ne sont pas à ce jour valorisés. Les hedge funds pourront établir des méthodes d'évaluation pour comptabiliser ces risques et permettre d'investir dessus.  Nous verrions de ce fait émerger de nouvelles niches d'investissement.  

L'émergence des marchés de niche compenserait d'une certaine manière le manque de rentabilité ?
On peut le supposer.  Mais au-delà nous devrions assister à de la volatilité.
Ces hedge funds deviendraient des fonds de capital risque. Ils auraient un  coup gagnant mirobolant sur dix. L'idée étant que l'investissement fructueux arrive à compenser les autres investissements qui ne le sont pas ou qui le sont moins.
Les rendements seraient inégaux, et incertains.

Devra-t-on assister à une consolidation du marché ?
Nous avons pu dénombrer jusqu'à 10 000 hedge funds par le passé. La crise en a fait disparaitre un quart.
Nous devrions assister à une contraction de la taille à l'avenir. Les plus gros hedge funds étaient sponsorisés, voir créés directement et possédés par les banques d'affaires.

Ceci étant, il pourrait demeurer un nombre d'acteurs importants mais le montant des actifs gérés serait amené à diminuer. Le poids des hedge funds a vocation à être un moindre danger à l'avenir.

Tout cela suppose l'adoption préalable de la réglementation. Les chances sont-elles fortes ?
L'opinion publique est très remontée contre les banques. Les gouvernements savent qu'ils ne pourront pas noyer le poisson. Nous aurons une réforme importante sur le capital, les fonds propres, à l'échéance 2011 pour une mise en route en 2012 afin de s'assurer que les établissements financiers qui prennent des risques soient en mesure de les absorber et de façon à réduire l'aide de l'Etat sans coût.
Une incertitude pèse en revanche sur l'organisation des fonctions de la finance entre banques et non banques, autrement dit sur le redécoupage de l'industrie financière en séparant les fonctions des banques et les autres acteurs.  C'est la proposition d'Obama.
Elle n'est pas partagée par l'Europe qui se caractérise par l'implantation de banques universelles et pour qui une telle ségrégation pourrait remettre la structure des établissements en cause et entamer l'économie.

Ne peut-on pas craindre le redéploiement des hedge funds dans les pays émergents ?
D'une certaine manière oui, car les hedge funds font preuve d'une forte mobilité. Néanmoins, il faudra attendre longtemps avant que les pays émergents  ne remplacent les grandes places occidentales. Il leur faudra faire face à une multitude de problèmes techniques, d'expertise, de concentration des compétences.
Au-delà, lorsque les places émergentes seront en mesure de concurrencer les grandes places matures, il y a de fortes chances que les autorités de ces pays prennent en charge la régulation. Aujourd'hui elles affichent encore une certaine passivité en raison de la faiblesse de la présence de ce type de structures et organisations.

In fine, la régulation doit être internationale pour éviter tout arbitrage.

L'opacité des hedge funds a-t-elle rendu difficile l'élaboration de ce livre ? Laisse-t-elle craindre le fait que le poids des hedge funds soit actuellement plus significatif et plus préoccupant pour la stabilité de l'industrie financière ?
Les bases de données sont incomplètes, contradictoires. L'analyse quantitative contient des biais. Nous n'avons pas les véritables rendements de l'ensemble de la population des hedge funds. 

Pour autant, nous faisons tout de même apparaitre le fait qu'il existe des risques extrêmes. L'opacité empêche les investisseurs d'exercer un contrôle efficace. La notion de discipline de marché n'existe pas. Or cette discipline de marché est un complément nécessaire à la régulation étatique.

Renforcer la transparence permettrait  aux régulateurs d'avoir une information plus précise sur ce type d'acteurs et aux investisseurs de jouer leur rôle de contrôleurs, en ayant un poids pour obliger des limitations de risques.
 
Propos recueillis par Imen Hazgui

- 02 Février 2010 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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