* Second tour de la présidentielle malienne dimanche

* L'ancien Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta favori

* Son challenger, l'ex-ministre des Finances Soumaïla Cissé

* Le vainqueur devra construire la paix avec les Touaregs

par David Lewis

BAMAKO, 8 août (Reuters) - Il suffit de jeter un coup d'oeil aux affiches placardées au fil des rues crasseuses de Bamako pour comprendre la différence entre les deux rivaux qui s'opposent pour le second tour de l'élection présidentielle malienne dimanche.

Les manches retroussées et casque de chantier vissé sur la tête, Soumaïla Cissé, un ancien ministre des Finances, veut apparaître comme un technicien expérimenté. Il promet une réforme du système éducatif, des changements dans l'armée et la création de 500.000 emplois.

A l'opposé, Ibrahim Boubacar Keïta, dit "IBK", veut prendre les Maliens aux tripes. Vêtu de la djellaba islamique blanche et les yeux levés vers le ciel, il promet de rétablir la dignité bafouée du Mali.

Alors que Soumaïla Cissé promet de promouvoir la finance islamique, "IBK" fait la cour aux religieux musulmans modérés, et notamment à l'influent chérif de Nioro du Sahel. Dans les rues de Bamako, les marchands ambulants vendent des badges avec une photo des deux hommes.

Vainqueur du premier tour avec près de 40% des suffrages, contre près de 20% à Soumaïla Cissé, et fort de l'appui de 20 autres candidats, "IBK" part dimanche en position de favori, notamment dans le Sud où se concentre la majorité de la population malienne.

Son message nationaliste résonne puissamment dans un pays qui a été obligé de faire appel au début de l'année à la France, l'ancienne puissance coloniale, pour déloger les islamistes qui avaient profité du putsch de mars 2012 à Bamako pour occuper la partie nord du pays.

Les Maliens, en colère contre une classe politique discréditée par des années de corruption, veulent croire en la promesse d'"IBK" de rompre avec le passé, malgré ses 68 ans et sa longue carrière politique - il a notamment été Premier ministre et président de l'Assemblée nationale.

HONNEUR

Dans la capitale traversée par le fleuve, bureaux et immeubles résidentiels flambant neufs surplombent les détritus entassés et les égouts bouchés qui sont le lot quotidien de la majorité des Maliens. Ils restent pauvres malgré une décennie de croissance économique.

"Les politiques parlent beaucoup de l'emploi et du prix du riz. Mais nous avons déjà entendu ça avant", commente Ibrahim Touré, chauffeur à Bamako. "IBK parle d'honneur et c'est ce dont nous avons besoin pour l'instant."

Le scrutin de dimanche est également important parce qu'il va permettre le déclenchement d'une aide de trois milliards d'euros pour la reconstruction du pays.

Quel qu'il soit, le vainqueur de dimanche devra aussi s'atteler à la difficile tâche de conclure une paix durable avec les séparatistes touaregs après le cessez-le-feu conclu en juin. Cet accord oblige le nouveau gouvernement à ouvrir des discussions politiques dans les 60 jours suivant sa prise de fonction.

Les dirigeants séparatiste du MNLA ont déjà fait savoir que le conflit reprendrait si leur demande d'autonomie dans leur région, l'Azawad, ne sont pas prises en compte.

Autrefois considéré comme un modèle de démocratie dans une région agitée, le Mali a implosé l'an dernier. Le président Amadou Toumani Touré a été déposé par un putsch militaire en mars 2012, quelques semaines avant la date prévue de son départ. Les putschistes entendaient protester contre la corruption et la passivité d'un régime tellement attaché au consensus qu'il en oubliait de mettre en oeuvre les réformes nécessaires.

Les séparatistes touaregs et les rebelles islamistes ont profité du coup d'Etat pour s'emparer du Nord désertique où des groupes liés à Al Qaïda ont commencé à imposer la charia. Il a fallu l'opération Serval menée par la France pour les chasser.

"Les Maliens ont une idée claire de ce qu'ils veulent, balayer l'ancien régime, et IBK a bien su se vendre", commente un diplomate occidental. "Il va commencer avec un gros soutien public, spécialement ici à Bamako."

CICATRICES

Si "IBK" a dominé le vote dans le Sud, notamment à Bamako où il a obtenu plus de 70% des voix au premier tour, Soumeïla Cissé est mieux perçu dans ses terres du nord. Il est originaire de la région de Tombouctou.

Après avoir fait en France ses études d'ingénieur informatique, Soumeïla Cissé est rentré au Mali pour travailler dans l'industrie du coton. Il a ensuite été ministre des Finances pendant sept ans dans les années 90. Il fait valoir ses huit années passées à la tête de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) dans sa prétention à la présidence.

Soumaïla Cissé a construit sa coalition, le FDR (Front pour la sauvegarde de la démocratie et de la République), en réunissant partis politiques et organisations de la société civile pour contrer les organisateurs du coup d'Etat.

Il porte les cicatrices de son opposition aux putschistes, qui lui ont lacéré la main et abîmé plusieurs vertèbres alors qu'il tentait de fuir après le coup d'Etat.

"Nous avons défendu notre constitution. Le coup d'Etat était un crime", a-t-il déclaré à la presse, rejetant les critiques de ceux qui accusent le FDR de ne servir qu'à protéger les intérêts d'une classe politique discréditée.

En quittant rapidement le FDR, Ibrahim Boubacar Keïta a pris ses distances et a gagné la bénédiction tacite de l'armée malienne.

L'incapacité du FDR à mobiliser un large mouvement contre la junte illustre bien le hiatus entre la condamnation du coup d'Etat à l'étranger et le sentiment des Maliens sur place qui ont été nombreux à estimer que l'armée les avait secoués de l'état d'inertie politique dans lequel ils étaient plongés.

En outre, le candidat arrivé troisième au premier tour, Dramane Dembélé, de l'Adema-PASJ, pourtant membre clé du FDR, a appelé à voter pour IBK.

Le second tour recèle toutefois des incertitudes. Malgré un taux de participation record, trois millions de personnes n'ont pas voté au premier tour, soit l'équivalent d'un peu moins de la moitié du corps électoral. Et, sur les plus de 400.000 qui ont voté nul, certains pourraient se comporter autrement dimanche. (Danielle Rouquié pour le service français)