"Les obligations émergentes ont connu une très bonne année 2010. Le volume de transactions a grimpé de 26% à 1,95 trillions de dollars entre le deuxième et le troisième trimestre. C’est selon l’EMTA (Emerging Markets Trade Association), le plus important volume trimestriel observé depuis le suivi des transactions par l’association en 1997. De quelle manière l’expliquez-vous ? Sommes-nous, selon vous, face à un phénomène structurel ou un phénomène cyclique?
Les obligations émergentes ont crû de manière significative. L’univers investissable a plus que doublé ces cinq dernières années. Les émissions se sont multipliées. En 2002, 57 milliards de dollars ont été émis sur le marché de la dette émergente libellée en eurodollar. Cette année, on enregistre un chiffre record de 281 milliards de dollars.
L’accès au marché local s’est également grandement amélioré et les obligations libellées en devises locales sont à présent traitées très activement.

La demande s’est par ailleurs renforcée, particulièrement pour les obligations d’entreprises émergentes en devise locale, et en eurodollar. Nous avons pu noter un très grand intérêt des investisseurs pour les marchés émergents qui ont relativement bien résisté au récent crédit crunch et qui présentent des fondamentaux (déficit budgétaire et réserves) dans un meilleur état que les marchés développés. Cela s’est traduit par une réallocation tactique des capitaux des marchés développés vers les marchés émergents.

Naturellement ces améliorations techniques ont conduit à une plus large base d’investisseurs et à une liquidité plus abondante. Nous pensons que les flux des fonds dans cette classe d’actifs continueront à fortement augmenter. Beaucoup de grands investisseurs obligataires, par exemple les fonds de pensions américains, ont encore moins de 1% de leur allocation investie sur les marchés émergents. Le potentiel de progression est donc significatif.
Nous sommes d’avis que ce sont les changements structurels sur le marché qui ont amené la classe d’actifs à croitre et qui ont contribué à sa transformation en une classe d’actifs largement investissable.

Voyez-vous la même tendance se dessiner pour les obligations d’entreprises des marchés émergents ?
Absolument. Nous avons un intérêt grandissant pour constituer des fonds exclusivement investis dans les obligations d’entreprises émergentes.
Une toile de fond macroéconomique très favorable plaide pour un fort potentiel de croissance et de développement des industries et des sociétés dans ces pays.
Les fondamentaux sont robustes et les taux de défaut sont bas. Qui plus est, les changements structurels sur le segment font des obligations d’entreprises émergentes une classe d’actifs viable, convaincante.
S’agissant de la taille du marché, le volume s’élève actuellement à 670 milliards de dollars et a vocation à dépasser le marché des obligations américaines à hauts rendements (obligations high yield) qui se valorise à plus de 1 trillion de dollars.
Les émissions d’obligations d’entreprises émergentes ont dépassé celles des obligations souveraines émergentes libellées en eurodollar ces cinq dernières années.

Le marché est très diversifié en termes de pays (36 au total), de secteurs, et de notations (principalement investment grade). Les valorisations sont toujours très attractives si l’on tient compte du ratio risque-rendement, par rapport aux obligations souveraines émergentes, et par rapport aux obligations américaines de qualité (investissement grade) ou obligations américaines très risquées (high yield).
Tout cela a aidé à accroitre la liquidité dans le marché et à créer d’importants supports techniques pour les obligations.

De plus, nous notons un très grand intérêt pour la création de fonds investis exclusivement dans les obligations d’entreprises émergentes. Nous avons eu beaucoup de demandes d’informations à ce sujet et nous réfléchissons en ce moment à la première vague de fonds à établir.

Quelles sont vos recommandations en matière de stratégie d’investissement pour s’orienter vers ces segments de marché? De quelle manière construisez-vous personnellement votre portefeuille ?
Nous avons une approche top down, bottom up. Nous menons notre propre analyse pour déterminer les forces et les faiblesses quantitatives et qualitatives des pays, des industries et des entreprises. Souvent nous rencontrons les membres du management pour avoir une meilleure idée des moteurs des activités de la société et de la gestion de ses cash flows qui rend compte de sa capacité à payer.
Nous tâchons de comprendre la culture de l’entreprise et la relation qu’elle entretient avec ses actionnaires, ce qui a un impact sur sa volonté de rémunérer.
Les obligations ont ceci de spécial qu’elles supposent la prise en compte de considérations structurelles. Ces instruments financiers ont souvent des covenants et des collatéraux qui peuvent restreindre la société dans l’adoption de stratégies de croissance agressives qui pourraient potentiellement la mettre en défaut.
Après avoir déterminé ces fondamentaux, nous nous concentrons sur les paramètres de marché. Ainsi, une société aux Philippines qui aurait un actionnariat familial hautement estimé sera toujours attractive pour les investisseurs dans le pays et fournira de ce fait un fort support pour les obligations.
Ensuite, nous analysons si les rendements sont à la mesure des fondamentaux et des paramètres techniques, et nous regardons si l’obligation est attractive par rapport au couple rendement-risque.
Nous surveillons constamment les ruptures qui pourraient se faire au niveau de la région, du pays, du secteur, au niveau de la notation de l’obligation pour être sûrs que nous avons un portefeuille diversifié.

Quels sont les principaux risques que vous contrôlez eu égard à l’environnement économique et financier?
Les risques macroéconomiques incluent l’évolution de la croissance dans les pays développés, les taux aux Etats-Unis, la gestion des devises (contrôles de capitaux), la gestion de la fiscalité, la gestion de l’inflation.
Une mauvaise gestion conduira à une détérioration de l’environnement des affaires pour les entreprises opérant sur les marchés émergents.
Les risques juridiques, liés à l’état de droit, à l’indépendance et à la compétence des juridictions locales, ainsi que la disponibilité et l’accès au crédit sont d’autres paramètres importants.
Sur le plan microéconomique, il est fondamental que la société puisse maintenir une certaine liquidité. Une bonne gestion du capital et un bon contrôle des risques sont cruciaux. Un risque majeur que nous pouvons rencontrer sur le marché des obligations émergentes réside dans la volonté de la société à payer. La décision incombe souvent à l’actionnaire principal.

La rencontre des membres du management nous aide à construire une relation de long terme solide et nous permet d’avoir accès à l’entreprise même en cas de turbulences. Nous tentons de maitriser ces risques par le biais de notre recherche top down et bottom up."