"Vous êtes actuellement essentiellement investis sur les taux allemands, les taux hollandais et les américains. Vous avez en revanche délaissé les taux français. Pourquoi ?
Des doutes se sont cristallisés sur l’aspect sécuritaire de la dette française. Même si nous tablons sur un maintien de zone euro et sur la présence de la France dans le noyau dur de la zone, le marché est tellement chahuté que le risque n’est pas rentable. Dernièrement l’agence de notation Moody’s a rappelé sa mise en garde concernant la perte du triple A de l’hexagone en raison de la faible croissance et du cout de refinancement sur les marchés.
La concrétisation de cette menace devrait se maintenir si ce n’est accentuer les tensions sur le segment obligataire français. Nous préférons de ce fait rester dans l’attente.

Ne craignez-vous pas un phénomène auto réalisateur. Par un comportement moutonnier de désengagement, la problématique uniquement pressentie de la France finit par devenir une problématique avérée ?
Il est évident qu’il faut un rééquilibrage des investisseurs sur les autres titres obligataires des pays de la zone. D’une certaine manière ce rééquilibrage s’opère déjà par le biais de la BCE. L’Allemagne est le principal contributeur de l’institution monétaire qui n’hésite pas aujourd’hui à se porter acquéreuse des titres des pays en difficultés. Cependant nous sommes sur un fonctionnement indirect qui manque de fluidité.

Voyez-vous un changement de tendance possible sur l’intervention de la BCE ?
Celle-ci pourrait décider d’élargir le champ des titres sur lequel elle intervient. Je ne pense cependant pas qu’elle annoncera, comme le marché l’attend, un quantitative easing comparable à celui de la Fed en raison du blocage politique affiché par Berlin.
La BCE pourrait aussi mettre en avant le fait que le niveau des dépôts des banques mis en collatéral est largement suffisant pour maintenir la stabilité dans la zone euro.

Comment est-ce que le retournement du marché obligataire allemand pourrait avoir lieu ?
Par un effet marché ou un effet politique.
Nous avons la sensation que les investisseurs sont actuellement dans une position neutre sur le segment du bund allemand en raison du faible rendement du titre et de son faible potentiel de resserrement. Depuis peu le taux allemand est reparti à la hausse. S’il continue à augmenter, les investisseurs pourraient finir par s’en désintéresser vraiment.
Une annonce politique pourrait également avoir pour conséquence de rassurer les investisseurs sur les autres titres de dette, notamment ceux de la France, de l’Italie et de l’Espagne.

A quel horizon de temps vous attendez-vous à la concrétisation de cet effet technique ou de cet effet politique ?

Le timing est compliqué à évaluer.

La création des euro obligations pourrait-elle aider à changer la donne ?

La création d’euro obligations dans une zone qui n’est pas harmonisée ne me parait être une bonne idée. En cela l’Allemagne n’a peut être pas tort d’exiger en amont une certaine discipline budgétaire.
Ainsi les euro obligations pourraient bien constituer une solution, mais pas à court terme.

Quels seront les premiers investisseurs à avoir le courage nécessaire pour opérer ce rééquilibrage ?
Avant tout les investisseurs européens qui ont d’important encours sous gestion comme les banques et les compagnies d’assurances. Le dessus, les contraintes réglementaires n’aident pas à aller vers ce rééquilibrage.

A quelle évolution du taux obligataire français vous attendez-vous d’ici la fin de l’année ?
Là aussi, le niveau est difficile à anticiper avec précision. Il dépend d’un effet de marché et non d’une valorisation fondamentale.

Comment expliquez-vous l’engouement des investisseurs pour les titres américains malgré le blocage politique qui domine dans le pays et en dépit de la dégradation de la note souveraine par l’agence Standard & Poor’s ?
Les titres américains profitent de la défiance qui existe à l’égard des autres classes d’actifs. Le choix des investisseurs est en quelque sorte un choix par défaut. C’est ce qui explique que le taux à dix ans américain est passé de 3% à 2%.

"