"Faire battre le coeur de l'Europe"

Monsieur le Président,

Monsieur le Recteur,

Mesdames et Messieurs les Professeurs,

Chers Etudiants,

Chers Amis,

S'il est un lieu sans tabou, c'est bien ici.

Aussi, je vous remercie, Monsieur le Président, Monsieur le Recteur, de me permettre d'exprimer certaines considérations en toute liberté académique.

Ca faisait longtemps que je n'avais eu une telle opportunité J.

Mesdames,

Messieurs,

Les fondateurs de la CECA, de l'Euratom et de la Communautééconomique européenne avaient choisi la voie du pragmatisme pour mettre définitivement notre continent à l'abri des guerres.

Ils avaient aussi une ambition politique.

Celle d'une Europe unie et forte, qui parlerait d'une seule voix et qui seraitle moteur d'une prospérité pour tous. Une Europe faite de citoyens européens. Une Europe solidaire, solidaire aussi avec les Roms.

Hélas, nous en sommes loin !

L'Union européenne compte 27 pays, 28 l'an prochain, plus de 30 à brève échéance.

En son sein, nous avons « la Zone euro », qui compte 17 pays ayant l'euro comme monnaie commune.

Si le Parlement européen ou la Commission témoignent largement d'un esprit européen, le Conseil européen, quant à lui, rassemble les 27 Chefs d'Etat et de gouvernement à la fois acteurs européens et défenseurs deleur intérêt national.

Mais pour les côtoyer régulièrement, je peux vous affirmer qu'actuellement, un trop grand nombre d'entre eux voient leurs marges de manœuvre européenne fortement réduites par les considérationspolitiques propres à leur pays.

Aujourd'hui, c'est surtout la Zone euro qui se trouve dans l'œil du cyclone. C'est vers elle que tous les yeux se tournent pour tenter de trouver des solutions à la crise économique et financière.

Que faire ? Quelles reformes faut-il entreprendre ? Et la Belgique dans tout cela ?

Pour tenter de répondre à ces questions et comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons, il convient d'abord d'élargir nos horizons de pensée.

Les responsabilités du monde de la finance

Sans refaire l'histoire, nous devons toujours garder en mémoire le rôle déterminant des institutions financières dans la crise actuelle.

Quatre ans après la chute de Lehman Brothers, il faut essayer d'en tirer les leçons et tenter de développer une vision prospective à plus long terme.

Commençons par un constat.

Chez nous, le total du bilan des banques de droit belge s'élevait, fin 2011, à 1150 milliards d'euros, soit environ 310 % du PIB.

Dans d'autres pays européens, le poids des banques est encore bien plus élevé :

de l'ordre de 600 % du PIB au Royaume-Uni ;

entre 350 et 400 % du PIB aux Pays-Bas, en France ou en Autriche.

Dans de telles proportions, le lien entre la situation des banques et la situation des Etats souverains est incontestable.

Quand une banque toussote, c'est l'Etat tout entier et ses citoyens qui s'enfièvrent !

Nous en savons quelque chose.

Comme dans d'autres pays, l'Etat belge a été obligé, pour soutenir ses épargnants et éviter une chute en cascade de ses banques, d'apporter des garanties gigantesques et de recapitaliser certaines institutions financières.

Fortis résonne encore bruyamment dans nos têtes !

Depuis cette pénible affaire, en Belgique, l'Etat garantit les dépôts des clients de près de 70 banques et sociétés de bourse, à raison de 100.000 euros par personne.

Ces dépôts garantis représentent 322 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent les contrats d'assurances de 38 entreprises d'assurances qui bénéficient de la même garantie, pour un montant de 106 milliards.

Ces seules garanties représentent donc 428 milliards d'euros, soit 113 % de notre PIB.

Quant à l'argent nécessaire pour recapitaliser nos institutions financières, l'Etat ne le possédait pas. Il est donc allé l'emprunter sur les marchés internationaux.

Ces emprunts nouveaux sont tout naturellement venus gonfler le stock de dette existant de notre pays.

En 1993, le stock de dette de l'Etat belge était de 138 % du PIB.

Après des années d'efforts d'assainissement, auxquels j'ai personnellement constamment participé, le taux d'endettement de notre pays était tombé à 84 % de notre PIB en 2007.

Après l'intervention financière de l'Etat suite à l'affaire Fortis et à d'autres difficultés du monde de la finance belge, le stock de dette s'était à nouveau envolé à 96 % en 2009.

Il oscille aujourd'hui entre 99 et 100 % du PIB.

Le moins que l'on puisse dire est que la défaillance de certains gestionnaires du secteur bancaire a joué un rôle extraordinairement négatif sur nos finances publiques.

Trop de gestionnaires se sont lancés dans des politiques d'acquisitionshasardeuses. Ils ont manifestement cédé au vertige des produits financiers sophistiqués, voire à la spéculation.

Malgré leurs pertes de 2008/2009, sur les 10 dernières années, nos banques ont enregistré un bénéfice net après impôt de 23 milliards, avec un retour remarqué de 5,6 milliards de bénéfices en 2010.

Notre Etat, de son côté, reste confronté à d'importants problèmes budgétaires causés par le comportement de certaines institutions financières.

Et, un peu comme si l'on voulait avait oublier le passé récent, c'est désormais à un grand nombre d'Etats, et donc à leurs citoyens, que les efforts d'assainissement les plus drastiques sont demandés !

Tant les agences de notation que l'Union européenne reprochent à ces Etats le niveau trop élevé de leur dette publique et de leurs déficitsbudgétaires.

Pourtant, reconnaissons-le, ni les Etats ni les citoyens n'étaient à l'origine de la crise que nous connaissons.

* * *

Outre les effets négatifs sur l'endettement des pouvoirs publics, bon nombre d'Etats ont subi le contrecoup de la crise tant sur leurs recettes qui ont diminué, que sur leurs dépenses  qui ont augmenté. 

Chez nous, les chiffres parlent d'eux-mêmes : ainsi, de 2008 à 2012, les dépenses consacrées par l'Etat au paiement du revenu d'intégration sociale ont augmenté de 43 %, passant de 510 millions d'euros à 728 millions.

L'Etat et les citoyens les plus fragiles ne sont d'ailleurs pas les seules victimes. De 2007 à 2011, le nombre de faillites d'entreprises a augmenté de 34 %, passant de 7.600 à 10.200.

Quant au déficit budgétaire de la Belgique, de 2008 à 2009, il a bondi de-1% à -5,5 %. Des efforts considérables ont été consentis pour le faire repasser, cette année, sous la barre des 3 %. Et nous devrons continuer !

* * *

Pour tenter de sortir de la crise, différentes mesures ont été adoptées au niveau européen.

Hélas, leurs effets restent modestes.

Et faute de mesures plus structurelles qui seraient prises en commun au niveau de l'Union européenne ou de la Zone euro, c'est surtout l'austérité qui est prônée comme remède à tous les maux !

Dans certains milieux, on persiste à croire qu'une politique d'austérité des pouvoirs publics assagit automatiquement le monde financier.

Hélas, ce précepte ne se vérifie pas. Dans de nombreux pays, on note l'absence de relation directe entre austérité et réponse positive des marchés financiers.

Pedro Coelho, mon Collègue portugais, Enda Kenny, mon Collègue irlandais, Mariano Rajoy, mon Collègue espagnol ou Mario Monti, mon Collègue italien, m'ont expliqué qu'ils avaient mis en œuvre tant les recommandations de la Commission européenne que celles des agences de notation.

Ils ont pris des mesures sévères d'austérité. Hélas, les taux d'intérêt que leur pays doivent payer restent dramatiquement élevés.

Récemment, d'éminents économistes ont rappelé que le Fonds Monétaire International avait publié une étude dont il ressort que « L'effet deconfiance sur les marchés qui est censé être produit par les mesures d'austérité n'agit quasiment pas. »

Mais pourquoi cet effet de confiance n'agit-il quasiment pas ?

Pourquoi n'y a-t-il pas de relation plus directe entre l'attitude des marchés financiers et les mesures d'austérité ou les réformes engagées par certains pays ?

La réponse est peut-être à rechercher dans le modus operandi des milieux financiers.

Le monde de la finance vit en effet au rythme de sa propre logique : la maximisation des profits, dans des délais les plus courts possibles.

Une illustration particulièrement frappante de cette réalité est la robotisation informatique des transactions financières.

Aujourd'hui, les robots informatiques interconnectés vont un million de fois plus vite que les « traders » humains.

Aux Etats-Unis, 2/3 des opérations boursières sont déjà réalisées par des robots informatiques qui utilisent des algorithmes scientifiquement très élaborés.

Ces robots informatiques vendent et achètent des milliers d'actions tous les millionièmes de seconde.

Nous ne sommes plus à la mesure humaine. Nous sommes dans la démesure financière et dans l'impossibilité, à l'échelle humaine, de contrôler qui fait quoi et quelles peuvent être les conséquences des mouvements ainsi générés.

Les machines prennent le pouvoir sur les hommes !

Quant aux organes de contrôle, lorsqu'ils existent, ils sont incapables de suivre le rythme.

Ne nous y trompons pas !

Les pratiques actuelles du monde financier international qui échappent à la maîtrise humaine constituent vraisemblablement l'un des plus grands dangers de destruction des sociétés équilibrées.

L'un des plus grands dangers de destruction des valeurs humaines quenous avons, en particulier les libres penseurs, mis tant de siècles à faire prévaloir.

* * *

Mesdames, Messieurs,

Ma conviction est qu'en Europe comme ailleurs, il n'y aura pas de redressement durable des économies réelles, avec à la clé des millions d'emplois, si nous ne trouvons pas le moyen de redonner aux êtreshumains la maitrise des outils de gestion du monde de la finance.

Je connais l'engouement scientifique pour développer des modèles mathématiques supposés rationaliser, accroître et accélérer la maximisation du profit.

Mais s'il est un champ de recherche qui devrait être investi d'urgence par nos plus brillants ingénieurs, mathématiciens, informaticiens et autres scientifiques, c'est bien celui de la reprise en main, par les humains, des pratiques du monde de la finance.

Ce champ de recherche a toute sa place dans les universités, et bien évidemment à l'ULB.

* * *

Mesdames, Messieurs,

La régulation des pratiques du monde de la finance est un chantier fondamental, qui va prendre du temps.

Dans l'intervalle, je pense qu'il est impératif de prendre des mesuresconcrètes pour :

Sortir la Zone euro de la crise ;

Assainir les finances publiques, tout en assurant la soutenabilité des efforts pour les gens et les entreprises ;

Prendre des initiatives de relance et d'emploi.

Sortir la Zone euro de la  crise

La première des priorités est de se doter des moyens de mettre le plus rapidement possible un terme à la crise de la Zone euro.

Aucun des 17 pays qui ont l'euro comme monnaie commune ne se redéveloppera durablement sans des solutions communes à 17 !

Ces quatre dernières années, pour des raisons qui tenaient essentiellement aux politiques nationales des États membres, les institutions européennes ont affronté chaque difficulté souvent fort tard, avec cette double conséquence que leurs initiatives ont été à la fois plus onéreuses et moins efficaces.

Cette incapacité de trouver à temps des solutions communes a déstabilisé bon nombre de gouvernements.

Ainsi, plusieurs gouvernements européens se sont retrouvés dans des situations intenables. Des élections anticipées ont dû être organisées.

Cela pose d'ailleurs une question fondamentale en termes de démocratie.

Heureusement, lors du sommet de la Zone euro en juin dernier, il a été décidé de demander à la Commission européenne de formuler des propositions concernant un mécanisme de surveillance bancaire unique, auquel serait associée la BCE.

Et la BCE a annoncé qu'elle pourrait, à certaines conditions, acheter la dette des pays en difficulté sur les marchés secondaires.

Ce sont des pas importants. Importants mais nettement insuffisants. 

Nous devons aller plus loin.

Aller plus loin pour parvenir à libérer les Etats et leurs populations des conséquences des difficultés que pourraient avoir leurs banques.

Trois mesures me semblent pertinentes :

D'abord, permettre à BCE de contrôler l'ensemble du système bancaire de la Zone euro ;

Ensuite, réaliser l'Union bancaire qui devrait inclure une gestion plus centralisée des éventuelles futures crises bancaires et prévoir des systèmes communs de solidarité ;

Enfin, et c'est pour moi le plus important, la BCE doit devenir le prêteur en dernier ressort de la Zone euro. C'est à mon sens un élément faîtier du dispositif monétaire de la Zone euro.

En effet, malgré les décisions du Sommet européen de juin dernier, dans de trop nombreux pays de l'Europe de l'euro, les taux d'intérêts à 10 ans restent dramatiquement hauts : 5,8 % pour l'Espagne,  5 % pour l'Italie.

Heureusement, la Belgique s'en sort bien avec un taux d'intérêt de 2,6%.

Il est une évidence qui saute aux yeux. Certains pays comme le Japon ou les Etats Unis présentent une dette bien plus élevée que la quasi-totalité des pays de l'Europe de l'euro.

La dette est de 235 % du PIB au Japon et de 107 % du PIB aux Etats-Unis, et pourtant leurs taux d'intérêts à 10 ans sont de respectivement 0,8 % et 1,8 %.

Par rapport aux 5,8 % subis par l'Espagne ou aux 5 % imposés à l'Italie, la comparaison se passe de commentaires.

Quelle que soit la position du Gouverneur de la Banque centrale allemande, tôt ou tard - et le plus tôt sera le mieux -, il faudra permettre à la BCE de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort.

Au Japon, aux Etats-Unis ou en Angleterre, les banques centrales jouent ce rôle de prêteur en dernier ressort.

Les marchés financiers savent qu'il ne sert à rien de spéculer sur uneéventuelle défaillance de ces pays. Leur banque centrale interviendraitdans tous les cas. Si nécessaire, elle ferait même tourner la planche à billets.

J'ajoute que les marchés financiers savent aussi que ces pays ont un Etatcapable de légiférer et d'agir. Ce qui n'est pas le cas de la Zone euro.

Les 333 millions de citoyens que nous sommes des 17 pays de la Zone euro qui ont renoncé à leur monnaie nationale pour l'euro devraient pouvoir compter, eux aussi, sur une banque centrale de dernier ressort et une autorité politique commune et agissante.

J'y reviendrai.

En attendant que la BCE devienne le prêteur en dernier ressort de la Zoneeuro, nous pourrions à tout le moins agir de manière pragmatique.

Comme le demande le Parlement européen, nous pourrions mettre en place au plus vite un mécanisme de mutualisation de certaines dettes entre les pays de la Zone euro qui font des efforts d'assainissement et quiengagent des reformes structurelles.

Cela pourrait prendre diverses formes. Les juristes sont intarissables sur les possibilités ou non d'utiliser tel ou tel article des traités. Mais l'important, c'est d'avancer.

* * *

Assainir les finances publiques tout en assurant la soutenabilité des efforts pour les citoyens et les entreprises

Mesdames, Messieurs,

Les choses étant ce qu'elles sont, la dégradation des finances publiques est une triste réalité. Elle est vraiment trop importante. Nous devons absolument assainir.

Nous devons le faire pour éviter d'aggraver la situation.

A cet égard, ma détermination est sans faille !

Dans notre pays, nous continuerons à assainir nos finances publiques.  

Car c'est est une nécessité.

Nécessité de préserver notre modèle social ;

Nécessité d'accroître notre autonomie à l'égard des marchés financiers ;

Nécessité de dégager des moyens pour soutenir notre économie.

Des efforts énormes ont déjà été accomplis. Plus de 13 milliards d'eurosd'assainissement en moins de 10 mois de gouvernement !

Vu le ralentissement de l'économie, ce n'est hélas pas fini. Des efforts supplémentaires devront être réalisés.

Toutefois, Mesdames, Messieurs, si l'on veut qu'ils soient efficaces, ces efforts d'assainissement doivent rester soutenables.

La soutenabilité des efforts est une condition importante de notre succès.

Comme je l'ai dit, à défaut d'avoir pu se mettre d'accord au moins à 17 pays au sein de la Zone euro, l'orientation prise actuellement par l'Union européenne est celle de forcer bon nombre de pays à l'austérité.

Mais si les efforts d'assainissement budgétaire ne sont pas soutenables, la machine économique s'enrayera.

Or, notre économie a besoin d'oxygène et il faut soutenir les entreprises qui investissent comme il faut maintenir le pouvoir d'achat de citoyens.

Je le redis donc : mon intention est d'assainir les finances publiques.

Mais assainir, être rigoureux, ne signifie pas pour autant basculer dans l'austérité.

Du reste, les vertus supposées de l'austérité sont de plus en plus contestées parmi les économistes. 

Ainsi, par exemple, l'économiste Paul De Grauwe souligne que, je cite : « Les mesures d'austérité aggravent la situation et font baisser encore le PIB. » 

Même l'agence de notation Standard & Poors semble partager cette opinion, puisqu'elle a justifié sa récente dégradation de plusieurs notes souveraines européennes en disant : « Nous croyons qu'un processus de réforme basé uniquement sur un pilier d'austérité risque de devenir auto-destructeur, dans la mesure où la demande intérieure pourrait chuter avec la confiance des consommateurs, érodant les revenus fiscaux. 

C'est ce que je veux éviter à notre pays.

* * *

Mesdames, Messieurs,

En Europe, outre les problèmes majeurs des dettes souveraines et de la précarité de certaines institutions financières, d'autres risques de graves convulsions existent : chômage massif des jeunes, populismes, indépendantismes.

Sans une volonté déterminée de contrer ces phénomènes, l'aventure indépendantiste, l'appauvrissement, la révolte peut être ou la déchirure de la société nous guettent.

L'insupportable chômage des jeunes

Ainsi, dans les 17 pays de la Zone euro, le nombre de jeunes au chômage atteint les 3,4 millions. Cela signifie un taux de chômage des jeunes d'environ 20 %.

Le taux de chômage des jeunes dans l'Union européenne a augmenté de 50 % depuis la crise. Il est de 29 % en Italie ,de 53 % en Espagne, de 54 % en Grèce.

Ces chiffres sont révoltants. C'est autant de millions de jeunes sans espoir et sans perspectives d'avenir. C'est aussi une bombe sociale àretardement.

Il n'est pas possible d'imaginer une société en équilibre avec un tiers,voire la moitié de sa jeunesse sans emploi !

* * *

Les indépendantismes

Un autre risque majeur de convulsions populaires, ce sont les tendancesindépendantistes.

Un million et demi de manifestants ont défilé le 11 septembre à Barcelone pour réclamer l'indépendance de la Catalogne, accusant le gouvernement central d'entraîner leur région dans la spirale de la crise.

En Espagne toujours, une partie de la population basque n'est pas en reste, à l'instar des nationalistes écossais en Grande-Bretagne

Tantôt de gauche, tantôt de droite selon le potentiel de mécontentement des populations dont ils veulent conquérir les votes, les indépendantistes divisent leur pays et font croire que l'Europe des régions serait plus viableque l'Europe des nations.

Aujourd'hui, à 27 autour de la table aux sommets européens, on ne s'en sort pas. Imaginez-vous une Europe de régions indépendantes ?

Au début du mois de septembre, le Premier ministre italien Mario Monti a proposé la tenue d'un Conseil européen extraordinaire afin de faire face au populisme croissant dans une Europe confrontée à la crise économique.

Je soutiens son initiative.

Le problème des tendances populistes et indépendantistes est réel.

Nous devons les appréhender et en juguler les causes.

Nous sommes d'ailleurs bien placés en Belgique pour le comprendre.

Notre Parlement fédéral compte 150 parlementaires, dont 88 néerlandophones.

Parmi eux, 40 députés - sur les 88, donc - sont des indépendantistes N-VA, Vlaams Belang et Lijst Dedecker.

Il suffirait de 4 députés indépendantistes supplémentaires au Parlement,et notre pays connaîtrait des lendemains déchirants.

Vivre ou non ensemble durablement sera d'ailleurs la question existentielle qui se posera à nous prochainement, comme elle se pose au niveau européen.

Et la réponse dépendra aussi des conditions économiques et sociales du pays ainsi que des actions que pourra mener l'Union européenne.

* * *

Prendre les initiatives de relance et d'emploi

Mesdames, Messieurs,

Se doter d'instruments européens pertinents dans le monde bancaire et financier, assainir les finances publiques, est-ce suffisant ? Non !

Sans me référer à l'une ou l'autre théorie économique, qui peut encore penser que la situation économique, tôt ou tard, se rétablira spontanément ?

Les Etats membres, comme l'Union européenne, chacun à son niveau, sedoivent d'élaborer des politiques de relance. Politiques de relance qui irontde pair avec les mesures d'assainissement budgétaire.

En Belgique, dès la mise en place du Gouvernement fédéral, nous nous y sommes attelés.

La nécessité de soutenir l'activité économique et de favoriser la création d'emploi est au cœur de nos préoccupations.

Cette volonté s'est traduite par la mise en œuvre d'une stratégie de relance.

Celle-ci est concertée avec les Régions et les partenaires sociaux.

Elle a pour objectif de favoriser la compétitivité des entreprises et de conforter le pouvoir d'achat des citoyens, vecteur essentiel du soutien à la demande intérieure.

Le Gouvernement a adopté, en juillet, 40 premières mesures de relance.

Par exemple :

Un soutien renforcé aux chercheurs dans les universités et entreprises ;

La création de 10.000 places de stages pour les jeunes pour faciliter la transition entre l'école et le monde du travail ;

Le soutien à la création des premiers emplois dans les PME.

* * *

Bien entendu, tout cela portera ses fruits à condition que la situation dans la Zone euro s'améliore.

Lors de mon premier Sommet européen, en décembre dernier, parler de relance s'apparentait à une grossièreté !

Bon nombre de leaders européens estimaient que ce n'était pas la priorité du moment. Le Conseil se focalisait presque exclusivement sur les réformes structurelles et les efforts d'assainissement budgétaire.

Heureusement, à force de conviction et grâce à des changements politiques notables dans certains pays, les mentalités ont évolué.

Ainsi, lors du dernier Sommet européen de juin, nous avons pu décider de la mise en place d'un Pacte pour la croissance et l'emploi.

C'est un premier pas encourageant, qui prévoit notamment un montant mobilisable de 120 milliards d'euros pour agir.

C'est un premier pas, mais je pense que nous devons aller plus loin dans la politique de relance de l'Europe.

Par rapport à la concurrence mondiale, l'Europe doit mener une politique industrielle volontariste, en particulier dans les secteurs d'avenir.

74 millions d'emplois dépendent de l'industrie. Chaque année, 4 millions d'emplois sont créés par de nouvelles entreprises. Nous devons soutenirleurs activités et créer au niveau européen un environnement stimulant.

Par ailleurs, l'Europe doit aussi intensifier l'investissement dans la recherche scientifique et l'innovation.

A cet égard, la progression de l'Union européenne en matière d'innovation se poursuit… mais elle ralentit.

L'Union européenne n'a toujours pas comblé son retard en matière d'innovation par rapport aux grands acteurs mondiaux que sont les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud.

Les économies émergentes, telles que la Chine, le Brésil et l'Inde, ont rattrapé une partie de leur retard au cours de ces cinq dernières années.

Il y a urgence à investir massivement dans « l' économie de la connaissance ». La stratégie Europe 2020 a réaffirmé cette ambition.L'heure est à l'action !

Enfin, l'Europe doit investir dans l'éducation, la formation et l'emploi des jeunes.

Depuis le premier Conseil européen auquel j'ai participé, j'ai plaidé pour la mise en place d'un mécanisme par lequel les jeunes qui sortent de l'écoleauraient la garantie de bénéficier d'une formation additionnelle, d'unemploi ou de stages en entreprises.

Je plaide également pour que l'on renforce considérablement la mobilité des étudiants à travers l'Europe, et que celle-ci soit accessible à toutes les bourses. C'est par l'échange que l'on apprend.

* * *

Mesdames, Messieurs,

Je n'ai pas besoin de vous convaincre.

Au vu de la gravité de la situation, un nouvel élan s'impose au niveau européen.

Cet élan pourrait prendre la forme d'un « New deal européen », inspiré par la philosophie de Franklin Roosevelt.

Pour l'heure, nous en sommes encore loin !

Les 27 Chefs d'Etat et de gouvernement sont très divisés et ils peinent à prendre les mesures minimales communes.

Alors, imaginer  à leur niveau un « New deal européen » est hors de leur champ de pensée.

Faut-il pour autant y renoncer ? Non.

Au contraire, nous devons partout où c'est possible et en particulier dans les universités, mener une réflexion approfondie sur ce que pourrait contenir un « New deal européen » pour nous redonner un élan de prospérité.

Economistes, juristes, politologues, philosophes, sociologues et autres scientifiques pourraient s'approprier ce débat et émettre des propositions d'action et de changement.

L'Europe a aussi et peut-être surtout besoin d'un saut qualitatif.

Depuis que je participe aux sommets européens, le constat que je faisaisauparavant s'est confirmé.

Certains pays, pour des raisons intérieures, au demeurant respectables, ne voient l'Europe que comme un grand marché : le « marché unique ».  

Certains collègues ne prononcent jamais le mot « Europe », mais uniquement celui de « single market ».

Il leur est insupportable d'imaginer une intégration politique européenneplus poussée.

Quand bien même l'Europe ne serait qu'un marché unique, son fonctionnement nécessite des avancées significatives, des politiques plus coordonnées.

Son marché est d'ailleurs faussé par trop de concurrences intra-européennes au plan fiscal et trop peu de convergences au plan social ou environnemental.

Le saut qualitatif que j'évoque ne se fera pas comme par magie.

Le marché unique ne suffit manifestement pas pour faire émerger une Europe politique.

Il faut pour cela un effort supplémentaire.

Et il y a urgence !

Urgence surtout pour les 333 millions de citoyens dont les belges qui ontrenoncé à leur monnaie nationale pour l'Euro

Alors, comment construire plus d'Europe ?

Pour répondre à cette question, nous devons mesurer dans quel espace nous pourrions agir de manière de manière pertinente.

A 17, au sein de la zone euro à 27 et demain, à 28 et plus au sein de l'UE tout entière ?

Je n'ai pas de dogme, je ne limite pas l'Europe à un espace réduit.

Et je n'oppose pas les 17 aux 27.

Tout comme je ne ferme pas la porte de l'élargissement.

Je voudrais juste vous dire ma conviction : actuellement parler d'une Europe politique à 27, c' est une illusion.

Illusion qui engendre des attentes fortes, qui crée surtout de grandes déceptions et nourrit un terrible sentiment anti-européen !

Le projet d'une Europe politique doit d'abord être porté par les 17 pays de la Zone euro.

Il n'est pas possible, d'ailleurs, d'avoir une monnaie sans bénéficier d'une Autorité publique capable de prendre les mesures qui s'indiquent sur le plan législatif ou exécutif.

Les termes actuels des traités sont tels que, sauf en cas de coopération renforcée, il faut toujours l'accord des 27 pour toute décision importante, même si un sujet ne doit être réglé que pour quelques pays.

Ainsi en va-t-il des décisions importantes qui concernent les 17 pays de la Zone euro.

Un exemple.

Lors du dernier sommet, durant des heures et des heures, il fut impossible de prendre à 27 les décisions qui étaient pourtant indispensables pour l'Espagne, l'Italie et l'Irlande.

Ce n'est que lorsque nous nous sommes réunis à 17, sans la Grande Bretagne et 9 autres pays qui ont gardé leur monnaie nationale que nous avons réussi à prendre des décisions courageuses.

Ensuite, nous les avons fait avaliser par les 27.

Un autre exemple.

Le 12 septembre dernier, la Commission a répondu positivement à la demande qui lui avait été adressée lors du Sommet européen de 29 juin. Elle a proposé de confier le contrôle de toutes les banques de la Zone euro à la BCE.

Ce contrôle centralisé devrait ouvrir la porte à une recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité. 

Ce serait un pas positif et très important pour tenter de rompre le lien entre la situation des banques et celle des Etats souverains.

Mais voilà… Certains pays européens hors Zone euro ont immédiatement critiqué la proposition de la Commission, car ils estiment que cela risque de porter atteinte à leurs propres intérêts.

Il est pour le moins singulier que des décisions, souvent déterminantes, sur l'euro doivent être prises par 27 pays dont 10 qui ont gardé leur monnaie nationale et qui ont manifestement d'autres intérêts.

Or, l'euro, c'est l'argent que nous, les Belges et les citoyens des 16 autres pays, avons dans notre poche.

Et la Zone euro, c'est notre pays élargi, le cœur de l'Europe.

Coeur de l'Europe que nous voudrions voir battre pour redonner vie à la prospérité et à l'espoir des citoyens.

Je plaide donc pour une véritable intégration européenne plus poussée à 17 pays, avec des convergences politiques, budgétaires, économiques et scientifiques.

Une intégration  européenne plus poussée pour une plus grande cohésion régionale et sociale.

Une intégration européenne plus poussée à 17 pour davantage de solidarité et de responsabilité collective.

Que ce soit pour la défense de l'euro ou pour d'autres politiques européennes, nous ne pouvons pas être indéfiniment bloqués par ceux qui ne veulent promouvoir que le marché unique.

Je pose une question : si maintenant un groupe de pays veut avancer sur la lutte contre la spéculation en taxant certaines transactions financières, pourquoi les en empêcher ?

Pour résumer, je citerai Jacques Delors, qui évoquait « les règles de bon voisinage ». Ce sont des règles de bon sens car, disait-il : « Aucun paysne peut être forcé par les autres pays d'aller où il ne veut pas aller, mais aucun pays ne peut empêcher les autres d'aller plus loin s'ils le désirent. »

La réponse, c'est sans doute une Europe politique à 17 pays qui ont l'euro en commun dans une Europe économique plus large.

Ce sera, d'ailleurs, peut-être le moyen de faire retrouver une certaine légitimité démocratique à l'Europe.

Ce que je demande, c'est d'ouvrir le débat. Il y va ni plus ni moins de notre avenir d'européen !

* * *

Faire aimer l'Europe

Mesdames, Messieurs,

Comme je le disais en introduction, longtemps, on a cru que la création d'une Europe économique entraînerait de manière automatique la création d'une vraie Europe politique.

C'était oublier que la politique est toujours affaire d'idéologie, de circonstances, de passion et d'adhésion.

Pour que les citoyens aiment l'Europe, il faut qu'ils se reconnaissent en elle.

Ils doivent sentir le projet de société et la direction vers un avenir meilleur, qui bénéficie à chacun et pas seulement à des élites.

Pour  ré-enchanter nos citoyens, il nous faut des politiques ambitieuses en matière d'emploi, de formation, et de protection sociale.

Il faut surtout rendre espoir.

Avoir la conviction que demain sera meilleur qu'hier !

Que nos jeunes puissent se dire que leurs efforts seront récompensés et le bonheur à leur portée.

Mesdames, Messieurs,

J'en termine.

Comme vous le voyez, les chantiers sont nombreux pour la réflexion universitaire.

Je pense à Albert Einstein, pour qui « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l'ont engendré. »

Je fais confiance aux chercheurs et intellectuels de toute nature pour refuser les vérités assénées, sortir des sentiers battus et proposer des solutions innovantes, tant pour notre pays que pour l'Europe.

Je suis profondément convaincu que la seule manière de s'en sortir, c'est par le haut, c'est tous ensemble, c'est par la solidarité, c'est par l'intelligence.

Je vous fais confiance, dans ce haut lieu de la pensée et de l'humanisme, pour poursuivre la réflexion.

Comme le dit une très belle formule : « Toute chose appartient à qui la rend meilleure ».

Je vous invite donc, et notamment vous les étudiants, à vous emparer du projet européen pour le transformer, avec toute l'intelligence et toute la générosité dont vous êtes capables.

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