par Massimiliano Di Giorgio et Steve Scherer

ROME, 21 février (Reuters) - Quelques signes favorables de l'élite économique et médiatique et un dîner au palais du Quirinal ont suffi à Matteo Renzi pour le convaincre de ne pas laisser passer sa chance d'assouvir sans attendre son ambition débordante.

Il ne lui a ensuite fallu que quelques jours pour concevoir et déclencher la révolution de palais qui devrait le porter au pouvoir en Italie, quitte à renoncer à ses principes.

Cette offensive éclair vers la présidence du Conseil, qui devrait être achevée lundi par un vote de confiance du Parlement, a surpris jusque dans son entourage.

A 39 ans, le maire de Florence reconnaît que son pari n'est pas sans danger pour son avenir politique. "Il y a un élément de risque personnel à me lancer dans la partie maintenant. Les responsables politiques doivent prendre des risques à certains moments", a-t-il déclaré aux membres de son Parti démocrate (PD) après avoir dévoilé ses intentions.

Matteo Renzi n'a jamais hésité à bousculer les usages dans sa quête du pouvoir.

En 2008, c'est contre l'avis de son parti qu'il concourt à la primaire pour désigner le candidat du PD à la mairie de Florence, en se présentant contre son mentor, Lapo Pistelli, qu'il vainc. Dans un ouvrage intitulé "Matteo le Conquérant", Lapo Pistelli, interrogé par les auteurs, compare son ancien disciple au volatile du dessin animé Bip Bip et le Coyote: "Il file et laisse tous ceux qui essaient de le faire tomber de la falaise dans son sillage de poussière."

Resté en retrait du gouvernement de large entente formé entre la gauche et la droite après les élections de février 2013, Matteo Renzi dit vouloir prendre le pouvoir "en gagnant des élections et pas par des manoeuvres en coulisses".

Il s'engage aussi à garder ses distances avec les "poteri forti", cet ensemble mal défini dans lequel les Italiens rangent tous les "puissants", de l'organisation patronale Confindustria à l'Eglise catholique en passant par les banques, les grands groupes industriels comme Fiat ou encore les journaux influents tels que le Corriere della Sera et La Repubblica.

PATRONAT ET SYNDICATS DONNENT LE COUP D'ENVOI

Ce sont pourtant ces "poteri forti" qui vont donner le signal de l'attaque. Et c'est par un vote de la direction du PD, dont il s'est emparé en décembre, qu'il va brusquement mettre à l'écart Enrico Letta, le président du Conseil issu de la même formation que lui.

Le matin du 6 février, le président de la Confindustria, Giorgio Squinzi, prévient Enrico Letta que s'il n'accélère pas les réformes économiques, il en appellera à Giorgio Napolitano, "qui prendra la bonne décision dans sa grande sagesse". A 88 ans, le chef de l'Etat est un expert des arcanes de la vie politique italienne et il a déjà orchestré deux changements de gouvernement délicats depuis la fin 2011.

Le même jour, la secrétaire générale de la puissante confédération syndicale CGIL, Susanna Camusso, écrit une lettre ouverte au ton acerbe au chef du gouvernement pour réclamer, elle aussi, une action plus déterminée afin de sortir l'Italie de ses difficultés économiques.

Matteo Renzi sent que le moment est venu d'agir. D'autant que le Corriere della Sera, fervent partisan d'Enrico Letta pendant des mois, laisse aussi transparaître sa déception à l'égard du gouvernement.

"Quand la Confindustria et la CGIL ont fait des déclarations signalant qu'elles avaient abandonné Letta, le contexte a changé", dit un proche de Matteo Renzi affirmant ne pas être autorisé à s'exprimer publiquement sur le sujet.

"Il y a eu un choeur complet, vaste mais pas unanime, qui a proclamé la fin du précédent gouvernement et réclamé l'arrivée de Renzi", souligne pour sa part Paolo Gentiloni, ancien ministre et député du PD, qui soutient de longue date le maire de Florence.

Matteo Renzi, lui, est prêt. Le même jour, il s'adresse au comité directeur de son parti et lance: "Pour le moment, le cap est fixé par (Letta) (...) Voulons-nous changer de cap? Pas de problème, parlons-en."

Parmi les participants, la surprise est complète, se souvient un dirigeant du PD.

NAPOLITANO LAISSE FAIRE

Matteo Renzi a aussi un oeil sur le calendrier électoral. Les élections européennes se profilent et il craint qu'une mauvaise performance du PD n'entame sa popularité.

Il lui faut désormais s'assurer que Giorgio Napolitano ne se mettra pas en travers de sa route.

Les deux hommes, que près d'un demi-siècle sépare, se retrouvent pour un dîner le 10 janvier au palais du Quirinal, la somptueuse résidence présidentielle trônant au sommet de l'une des sept collines de la Rome antique.

Quand il se présente devant le chef de l'Etat ce lundi soir, Matteo Renzi ne veut déjà plus attendre.

Il prévient Giorgio Napolitano que tout délai lui ferait perdre l'élan politique dont il pense disposer pour prendre des mesures économiques et réformer le code électoral, rapportent des personnes ayant été informées de la teneur de leur entretien.

"Quand Renzi est allé dîner avec Napolitano, il a compris que le président ne soutiendrait pas Letta jusqu'à la mort", dit un dirigeant du PD, non autorisé également à s'exprimer publiquement sur le sujet.

Tout s'accélère alors.

Le lendemain, interrogé sur l'avenir du gouvernement Letta, Giorgio Napolitano répond aux journalistes que "c'est au PD de décider".

Enrico Letta tente de résister.

Le 12 février, il présente un programme de réformes économiques et prévient qu'il démissionnera uniquement si la direction de son parti le désavoue publiquement. C'est le cas le lendemain. Le 14, à peine plus de 72 heures après le dîner au Quirinal, Enrico Letta démissionne. (Bertrand Boucey pour le service français)