par John Davison

RAKKA, Syrie, 9 octobre (Reuters) - De l'immeuble de quatre étages où il monte la garde avec cinq autres combattants des Forces démocratiques syriennes (FDS), Babel peut voir, à seulement 150 mètres, les positions des djihadistes de l'Etat islamique (EI) qui résistent toujours à Rakka.

Depuis l'offensive lancée en juin, les hommes des FDS, une alliance arabo-kurde soutenue par les Etats-Unis, ont repris la quasi-totalité de l'ancienne "capitale" de l'EI en Syrie, sur les rives de l'Euphrate dans le nord-est du pays. Les djihadistes ne tiennent plus que les secteurs de l'hôpital et du stade, où ils auraient rassemblé des otages.

"Qu'ils viennent, on les attend ! On a des explosifs qu'on leur balancera d'en haut", prévient Babel, qui ne veut donner que son nom de guerre.

Depuis trois semaines, lui et ses camarades ont transformé l'immeuble en véritable forteresse, prêts à recevoir les hommes de Daech s'ils se lancent dans un baroud d'honneur.

A l'entrée du bâtiment, l'escalier a été démoli. Pour entrer, on utilise une grille de fer comme échelle. En cas d'attaque, on peut retirer cette échelle improvisée. Dans les pièces du bas, des bouteilles en plastique vides ont été jetées sur le sol. Un intrus qui dans l'obscurité marcherait dessus serait aussitôt repéré, au bruit.

LE DOS AU MUR

Après des mois de combat et d'intenses bombardements aériens menés par les Américains, l'EI se trouve le dos au mur et les FDS s'attendent à ce que la plupart des djihadistes se battent jusqu'à la mort.

"Daech lance régulièrement des raids, même derrière notre position. Hier, ils ont attaqué l'immeuble en face et ont tenté d'avancer jusqu'ici. On en a tué quelques-uns et les autres se sont repliés vers l'hôpital", raconte Babel.

Cet hôpital, l'un des derniers bastions des djihadistes dans la ville, les combattants des FDS peuvent le voir depuis les immeubles qu'ils occupent. Entre les positions des belligérants, toutes les constructions ont été rasées par les bombardements aériens.

"Ces dernières nuits, de l'hôpital, ils ont braqué de puissants projecteurs sur nos lignes, pour nous aveugler... On ne pouvait pas voir grand chose", dit Babel.

Un de ses camarades précise que les islamistes, depuis quelque temps, tirent moins sur les positions des FDS, peut-être pour économiser les munitions.

Dimanche, l'un des chefs de FDS, Ardal Rakka, avait annoncé que le groupe comptait lancer dans la soirée l'ultime phase de l'offensive sur la ville. "Daech se prépare à recevoir l'attaque. C'est le dernier acte, ils vont résister, puis devront mourir ou se rendre", a-t-il dit.

Dans un communiqué, la porte-parole des FDS, Jihane Cheikh Ahmed, avait assuré que la "libération de Rakka" serait proclamée "dans les tout prochains jours".

BOUCLIERS HUMAINS

Le porte-parole de la coalition anti-Daech, le colonel américain Ryan Dillon, est plus prudent. "Je suis incapable de vous dire si c'est effectivement le dernier assaut", a-t-il déclaré lundi par téléphone.

En juin, les FDS affirmaient déjà que la prise de Rakka n'était qu'une question de semaines. Quatre mois plus tard, des djihadistes y résistent encore.

Pour retarder l'avance de leurs adversaires, les islamistes ont utilisé des civils comme boucliers humains. Ils ont creusé des tunnels pour lancer des contre-attaques, posté des tireurs isolés et posé des mines un peu partout pour causer le maximum de pertes parmi les combattants des FDS.

"On a beaucoup de blessés, atteints par des tirs de 'snipers'", dit Babel. "Ils visent souvent pour blesser, pas pour tuer, et tirent ensuite sur les nôtres qui viennent au secours de leurs camarades, pour faire le plus de dégâts."

De temps en temps, un djihadiste préfère se rendre que continuer le combat. "L'autre jour, un Saoudien a rejoint nos lignes", dit Babel. Selon le colonel Dillon, le nombre de ces transfuges a sensiblement augmenté ces dernières semaines.

L'interrogatoire des prisonniers a permis de savoir que l'EI avait creusé un tunnel entre l'hôpital et le stade. Une information importante pour la conduite des opérations à venir.

Sur la ligne de front, le moral des FDS est bon. Un talkie-walkie diffuse de la musique pop. "On espère tous en avoir bientôt fini", confie un combattant. (Avec Ellen Francis à Beyrouth; Guy Kerivel pour le service français, édité par Tangi Salaün)