(Ce reportage a été réalisé par un envoyé spécial dont l'identité n'est pas révélée pour des raisons de sécurité)

MAÏADINE, Syrie, 30 janvier (Reuters) - A Maïadine, modeste localité de l'est de la Syrie, les islamistes du Front al Nousra ont retiré des vitrines les mannequins jugés trop suggestifs et interdisent aux femmes de porter des pantalons.

Parmi les centaines de mouvements islamistes qui combattent les forces gouvernementales, le Front al Nousra est considéré comme le plus efficace. Ses combattants se sont emparés de plusieurs bases militaires. Ils ne représentent encore qu'une petite proportion de l'opposition armée, mais leur nombre et leur influence sont en plein essor.

Parmi eux, certains sont allés combattre l'armée américaine en Irak dans les rangs de la guérilla. Pour prendre Maïadine, ils ont fait cause commune avec l'Armée syrienne libre (ASL), organisation disparate qui va des démocrates aux djihadistes.

Les forces gouvernementales ont quitté la ville en novembre et les combats ont fait fuir la moitié des 54.000 habitants. Le Front, l'ASL et les milices locales se sont depuis partagé Maïadine.

Au total, 8.000 hommes armés y sont présents, selon la population. Dans les rues, des rebelles à la barbe taillée à la mode sunnite veillent au strict respect des préceptes de l'islam.

L'alcool a disparu des commerces. Les enfants reçoivent un enseignement religieux. Du pain leur est distribué pendant ces cours, qui vont du rôle de la femme à la polygamie, en passant par le djihad contre le "régime alaouite d'Assad", selon un jeune garçon interrogé par Reuters.

Les commerces sont tenus de fermer aux heures de la prière et les passants sont alors dirigés vers les mosquées. Les habitants tentent de s'en accommoder. Parmi eux, certains ont fait des stocks d'arak, dont la bouteille, vendue sous le manteau, est cinq fois plus chère qu'à Damas.

VIOLS, PILLAGFS

Les combattants du Front al Nousra, qui prônent le retour aux origines de l'islam et l'instauration d'un nouveau califat, se sont également emparés du gisement pétrolier voisin d'Al Ward et des silos à grain des environs, des ressources garantes de leur pouvoir.

A Maïadine, l'essence se vend à un prix supérieur à celui du marché et le Front ne s'interdit pas de faire affaires avec ses propres ennemis.

Selon les habitants, ses hommes transportent de grandes quantités de brut à Daïr az Zour, 45 km au nord, où les forces gouvernementales sont toujours présentes. De leur côté, les autorités locales sont tellement à cours de ressources qu'elles acceptent de traiter avec les "terroristes".

Après bientôt deux ans d'affrontements, une bonne partie du territoire syrien échappe au gouvernement central, en particulier dans le Nord et l'Est. A Maïadine, le réseau électrique reste toutefois du ressort de Damas et les coupures sont fréquentes.

Il y a peu de pain, l'eau manque, le téléphone et les connections internet sont coupés. Les écoles non religieuses ont fermé leurs portes. Vols et pillages ne sont pas rares et les rues se vident à la tombée de la nuit.

"PERSONNE NE SE SOUCIE DES CIVILS"

Le Front al Nousra continue pourtant à faire des adeptes dans l'Est, disent les habitants. Ses hommes tiennent des barrages aux entrées de la ville, où ils recrutent les hommes et les jeunes de passage.

"Je suivrai quiconque lutte contre le régime", lance Mohammed, un étudiant en droit de 19 ans qui a grandi à Maïadine. Si la moralité du mouvement lui semble douteuse, le jeune homme lui reconnaît le mérite de la force.

Hussein, milicien de la brigade Oussama Ibn Ziad qui appartient à l'Armée syrienne libre, voit lui aussi un intérêt militaire à la coopération avec le Front. Ses membres sont bien armés et les plus aguerris peuvent partager leur expérience.

"Les gars d'Al Nousra sont des gens bien. Il faut combattre ce régime et ils sont très bien organisés, avec de forts guerriers", dit-il.

Pour de nombreux habitants, en revanche, ce ne sont que des voleurs. Un peu partout en Syrie, des insurgés se sont installés dans les écoles et les hôpitaux, dont ils réquisitionnent le matériel. Des manifestations ont eu lieu à Maïadine contre les mouvements rebelles et le Front n'a pas échappé à la vindicte.

"Nous avons perdu notre ville, nos enfants et maintenant nous allons perdre notre avenir", se lamente Fadia, une jeune mère de famille. "Il n'y a rien ici. Je hais tout le monde... le régime, l'opposition, l'Armée syrienne libre et Al Nousra, parce que personne ne se soucie des civils." (Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser)