par Ellen Francis et Tom Perry

BEYROUTH, 5 juillet (Reuters) - Lorsqu'Abou Ahmed s'est risqué hors de chez lui après une nuit de bombardements, plusieurs de ses voisins gisaient dans la rue.

"Je suis sorti juste pour voir. Je jure devant Dieu que les chats mangeaient les corps", raconte cet habitant de Rakka, dernier grand bastion urbain des djihadistes de l'Etat islamique en Syrie.

"On ne pouvait rien faire pour les corps. Ils étaient abandonnés. Nous avons alerté l'hôpital", poursuit-il, dans une série de messages vocaux envoyés à Reuters.

La coalition internationale sous commandement américain formée pour combattre l'EI assure ne ménager aucun effort pour épargner les civils, mais Abou Ahmed parle de très lourdes pertes et de dégâts colossaux.

"On n'ose pas sortir de chez nous. La mort est partout, son odeur et celle des destructions sont omniprésentes. C'est terrifiant."

Les rebelles des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenus par les Etats-Unis sont entrés mardi dans la vieille ville et les rares combattants de l'EI qu'Abou Ahmed a pu voir récemment près de chez lui étaient des enfants.

Un jour du mois dernier, raconte-t-il, alors qu'il était aller chercher de l'eau à un puits, son quartier situé près de la mosquée Al Nour a subi de très intenses bombardements qui, d'après lui, ont fait une trentaine de morts. L'armée américaine a annoncé l'ouverture d'une enquête.

Les gens appelaient à l'aide dans les bâtiments bombardés, se souvient Abou Ahmed. "Vous imaginez... On ne pouvait rien faire avec les lances-roquettes, les avions. Nous les avons laissé mourir dans les décombres."

"L'aviation américaine, qui est censée être capable de localiser une mouche, n'a pas vu les enfants, ni les femmes, ni les civils ?"

Le Haut Commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme a parlé le mois dernier de très lourdes pertes civiles à Rakka, où 50.000 à 100.000 personnes seraient retenues. Selon des témoins, les djihadistes, qui seraient entre 3.000 et 4.000, exécutent ceux qui cherchent à s'enfuir. Les parents et les enfants d'Abou Ahmed sont toutefois parvenus à quitter la ville.

Dans son dernier message, il dit se préparer à fuir à son tour. "C'est insupportable. Nous vivons dans un film d'horreur", explique-t-il. Reuters est sans nouvelles de lui depuis le début de la semaine. (Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Tangi Salaün)