(Bien lire 1988 au 15e paragraphe)

* Seulement neuf Etats seront décisifs

* Quatre Américains sur cinq sont tenus à l'écart

par Andy Sullivan

WASHINGTON, 4 novembre (Reuters) - L'élection présidentielle du 6 novembre opposant Barack Obama à Mitt Romney s'annonce comme l'une des plus serrées de l'histoire des Etats-Unis, mais pour un nombre croissant d'Américains, la bataille n'aura pas lieu.

Le scrutin se jouera dans neuf Etats indécis regroupant seulement 22% de la population, laissant à l'écart près de quatre Américains sur cinq, la proportion la plus forte depuis plus d'un siècle.

Ce fait découle du collège électoral, le système indirect qui impose au candidat de recueillir les votes d'au moins 270 grands électeurs sur 538 pour l'emporter. Dans la plupart des Etats, le gagnant rafle toute la mise. (voir )

Mais depuis quarante ans, le vote se joue sur un champ de bataille de plus en plus restreint. Les politologues expliquent ce phénomène par une cohérence idéologique plus forte des partis et par une tendance de la population à se regrouper par communautés où l'on partage entre voisins les mêmes opinions.

En conséquence, de nombreux Etats, acquis à l'un ou l'autre candidat, n'offrent plus aucun suspense avant même le début de la campagne.

Les Etats du Sud et des Grandes Plaines du Midwest sont à ranger côté républicain, ceux du Nord-Est et de la Côte Ouest côté démocrate et depuis 2000, seule une poignée d'Etats restent divisés et décisifs.

Cette année, l'attention des deux candidats s'est ainsi focalisée sur neuf Etats: Nevada (6 grands électeurs), Colorado (9), Iowa (6), Wisconsin (10), Ohio (18), New Hampshire (4), Virginie (13), Caroline du Nord (15) et Floride (29).

Mitt Romney a tenté d'y ajouter la Pennsylvanie et ses 20 grands électeurs mais les sondages montrent que Barack Obama y dispose d'une avance solide.

LE GRAND TRI

Dans les années 1960 et 1970, les Etats pivots représentaient plus de la moitié de la population américaine, contre un quart environ depuis 2000.

Certains Etats, comme la Virginie et le Colorado, sont devenus indécis en raison de leur évolution démographique, avec l'arrivée d'une communauté hispanique plus forte et de jeunes diplômés. D'autres Etats comme l'Ohio ou l'Iowa ont été relativement épargnés par les grands mouvements de population et les deux partis y restent globalement au coude-à-coude.

Dans le Wisconsin, la fracture est visible sur une carte. La capitale de l'Etat, Madison, est l'une des villes les plus démocrates du pays, alors que la banlieue de Milwaukee est très fortement ancrée dans le camp républicain.

Le chercheur Bill Bishop, qui a examiné la polarisation géographique croissante du pays dans son livre "The Big Sort" ("Le grand tri") paru en 2008, estime que la politique américaine ne porte plus sur des idées et qu'elle a davantage à voir avec l'affiliation tribale.

Un programmeur informatique qui compte se rendre à vélo à son travail et manger des produits bio s'installera sans doute à San Francisco alors qu'un collègue aux mêmes compétences mais souhaitant de la place pour sa voiture et une communauté évangélique dynamique ira dans un faubourg de Dallas.

Au cours de la même période, les partis politiques ont parallèlement cimenté leur profil idéologique.

Aujourd'hui par exemple, les électeurs républicains sont bien plus susceptibles de s'opposer à l'avortement que les électeurs démocrates. Mais sur ce thème en 1988, les deux groupes n'affichaient aucune différence, souligne Andrew Gelman, professeur à l'université de Columbia.

"Les partis sont certainement bien plus doctrinaux qu'ils ne l'étaient par le passé, et les électeurs le sont eux aussi", relève-t-il.

Ce cloisonnement géographique et idéologique est plus prononcé à l'échelon local, mais il se répercute aussi au niveau des Etats. Les conservateurs du Sud ont ainsi massivement basculé dans le camp républicain et les modérés du Nord-Est du côté démocrate.

BARRAGE INCESSANT

Tirant les conséquences de cette évolution, les candidats à la Maison blanche mènent des campagnes de plus en plus ciblées.

En 1960, Richard Nixon avait fait campagne dans les cinquante Etats avant de perdre de justesse face à John F. Kennedy. Vingt Etats s'étaient révélés indécis et chacun des candidats ne s'y était imposé qu'avec moins de cinq points de pourcentage d'avance.

En 1976, le duel entre Jimmy Carter et Gerald Ford s'était joué dans 18 Etats bascules. En 2000, douze Etats représentant 27% de la population avaient arbitré le match entre George Bush Jr et Al Gore. Ils n'étaient plus que dix lors de la réélection de Bush en 2004 contre John Kerry.

En 1976, quand Jimmy Carter avait remporté le vote avec deux points d'écart sur Gerald Ford, les Etats décisifs représentaient 51% de la population. Parmi eux figuraient la Californie, New York ou le Texas, trois Etats aujourd'hui solidement ancrés dans le camp démocrate pour les deux premiers, dans le camp républicain pour le troisième.

A eux trois, New York, la Californie et le Texas comptent pour 30% du produit intérieur brut américain en 2011. Les neuf Etats charnières de l'élection de 2012 ne représentent en revanche que 20% du PIB national.

Résultat, les candidats modulent leurs promesses en s'adaptant aux réalités locales. Barack Obama a insisté sur le sauvetage de l'industrie automobile dans les Etats de la "Rust Belt" comme l'Ohio ou le Wisconsin. Mitt Romney a proposé d'accroître les capacités de la Navy, qui fait vivre une bonne partie de la Virginie.

Etre l'objet de toutes les attentions n'est pas forcément une sinécure pour les habitants de ces "Swing States" soumis à un barrage incessant de publicités, de sondages par téléphone ou de visites de militants à leur domicile.

"Les gens du Colorado n'en peuvent plus d'être appelés en permanence", note le professeur Andrew Gelman. "Il y a plus d'argent et moins d'endroits pour le dépenser, ça devient donc assez pénible."

RENVOI - LE POINT sur la présidentielle américaine (Jean-Stéphane Brosse pour le service français)