Un portrait dessiné avec une plume en acier
Pourtant, l'article de Marc Lacey est aux antipodes de la déférence que l'on pourrait attendre vis-à-vis d'un tel créancier. Le portrait du journaliste porte avant tout sur les rapports entre M. Slim et les médias.

Deuxième fortune mondiale avec un patrimoine estimé à 60 milliards de dollars, M. Slim a une approche toute financière du monde des médias. Lorsqu'il évoque la presse écrite face à la montée des supports numériques, il utilise une métaphore qui laisse peu d'espoir : c'est un peu comme la voiture à cheval lors de l'apparition du moteur à explosion.

Souvent mal à l'aise devant les journalistes, Carlos Slim a d'ailleurs refusé de contribuer au portrait de Marc Lacey. C'est son porte-parole, et accessoirement gendre, Arturo Elias, qui a indiqué que son beau-père ne souhaitait pas être interviewé. Sans être totalement à charge, le portrait du New York Times est pour le moins sévère.

Des témoignages accablants
On y trouve l'anecdote d'un journaliste mexicain, Raymundo Riva Palacio, qui, après avoir écrit un article critique sur M. Slim, a reçu un coup de fil de ses services indiquant que le milliardaire pourrait décider de retirer toutes ses pages de publicité de sa publication. Finalement, l'incident se soldera calmement, précise le journaliste, qui ajoute que la pratique n'a finalement rien d'exceptionnel au Mexique.

Le quotidien newyorkais donne encore la parole à une politologue mexicaine, Denise Dresser, qui estime que M. Slim doit plus sa carrière à ses relations politiques qu'à son talent d'homme d'affaires... On imagine à quel point l'intéressé a dû apprécier. Elle ajoute que Carlos Slim n'a pas besoin d'user directement de son pouvoir : le simple fait qu'il puisse mettre son poids dans la balance joue le rôle de bâillon sur ses détracteurs potentiels, affirme-t-elle.

L'article évoque encore la tentation monopolistique à laquelle aurait tendance à céder le milliardaire. L'autorité antitrust mexicaine tenterait bien de limiter ses ambitions, mais l'institution ne ferait pas le poids financièrement : le budget annuel de l'agence représente à peine ce que M. Slim est capable de dépenser en avocats sur un seul cas.

N'en jetez plus !
Mais l'article n'est pas uniquement négatif. Dans sa conclusion, le journaliste souligne qu'il ne faut cependant pas voir Carlos Slim comme un dictateur des salles de rédaction, qui voudrait imposer sa façon de voir et sa ligne éditoriale. Au travers de son investissement dans le New York Times, qui lui a coûté déjà plusieurs dizaines de millions de dollars reconnaît le journaliste, Carlos Slim recherche peut-être justement le supplément d'âme qui lui manquait.

En investissant dans le journal, il récupère une partie de sa réputation de sérieux et d'objectivité. Et puis, finalement, Carlos Slim est loin d'être le pire des hommes d'affaires. Raymundo Riva Palacio, qui se plaignait plus haut des pressions dont il avait fait l'objet, conclut l'article par cette déclaration : « Nous, journalistes, couvrons tellement de "mauvais garçons", ici, à Mexico, tellement d'egos surdimensionnés... qu'en dépit de toutes ses fautes, Carlos Slim ne semble pas si mauvais ».