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(Easybourse.com) Quel regard portez-vous sur l'évolution du marché des matières premières ?
Depuis de nombreuses années, le cycle des matières premières a suivi de très près le cycle économique. En phase d'expansion économique, les prix des matières premières augmentaient, et en période de ralentissement économique, les prix baissaient.

Nous connaissons actuellement une situation quelque peu différente, en ce sens que les prix des matières premières sont moins corrélés au cycle économique.

La demande élevée est davantage de nature structurelle que conjoncturelle. Cette demande est soutenue, en particulier, par les pays émergents, en raison de leur développement économique, de leur urbanisation incessante, de la construction des nombreuses infrastructures en conséquence: routes, aéroports, capacités électriques, grands barrages...

Par ailleurs, pour la première fois, nous avons dans l'histoire de ce secteur, une offre qui n'est pas capable de répondre à la demande.
Habituellement, nous avions toujours un décalage entre l'offre et la demande : la demande démarrait et il fallait un petit temps d'adaptation pour que l'offre suive, en raison de la lourdeur des investissements et du temps nécessaire pour augmenter les capacités de production et exploiter les nouveaux gisements.

Aujourd'hui, nous n'avons plus d'ajustement possible sur certaines matières premières, en raison d'un déficit de production.

Tout ceci explique pourquoi, malgré le ralentissement réel de la croissance économique américaine, et en dépit des inquiétudes qui portent sur la croissance de l'économie en Europe, les prix des matières premières sont à leur plus haut.

Sommes-nous condamnés à avoir des prix élevés ?
Nous pourrions avoir une pause dans l'accélération de l'augmentation des prix. Mais le phénomène ne me paraît pas pouvoir être remis en cause. Il y a des facteurs démographiques, sociologiques qui inscrivent la tendance dans la durée.
Ce n'est pas parce que l'économie tourne moins vite, qu'il y aura moins de bouches à nourrir ou moins de personnes à loger. Même si il y a une baisse de l'activité industrielle en Chine, il y aura toujours plusieurs dizaines de millions de Chinois qui quitteront les campagnes, chaque année, pour s'installer en ville, ce qui signifie plusieurs dizaines de millions de personnes pour lesquelles il faudra construire un logement.

Le prix du baril dépasse les 100 $, l'or chatouille les 1000 $ l'once, pensez-vous qu'il y a encore une marge de manœuvre dans la progression des prix ou aurait-on atteint des seuils difficiles à dépasser ?
Il y a incontestablement encore de la marge. La Chine consomme aujourd'hui autant de pétrole par habitant qu'en consommaient les États-Unis en 1900. Le jour où la Chine aura le même taux de consommation que les États-Unis, à savoir que chaque foyer aura un véhicule, que tout le monde aura l'électricité, la télévision, que les transports urbains seront l'équivalent de ce qui existe en Europe et aux États-Unis, la demande sera alors beaucoup plus importante et le prix du baril beaucoup plus élevé. D'autant qu'entre-temps, les réserves mondiales auront diminué.

La demande n'aura-t-elle pas de difficultés à suivre les prix du marché ?
C'est une question que nous entendons depuis une dizaine d'années. Au début des années 2000, le baril de pétrole était à 20 $.  Nous sommes, par la suite, montés à 50 $. Tout le monde pensait alors que la demande serait impactée par cette hausse, mais la demande mondiale de pétrole, avec un baril à 100 $, est actuellement plus élevée qu'elle ne l'était avec un baril de 20 $.

Quelles sont les autres préoccupations qui pèsent sur le marché des matières premières. Quel regard portez-vous sur les tensions géopolitiques, sur la question des biocarburants?
Les tensions géopolitiques existent certainement, que ce soit au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, notamment, avec le Vénézuela qui veut nationaliser la production en hydrocarbures, en Russie qui tente progressivement de faire sortir les majors étrangers du pays pour récupérer la majeure partie de la production.
Ces tensions font pression sur le prix du baril.

Mais nous sommes face à une insuffisance de ressources. Nous avons besoin d'exploiter toutes les réserves exploitables, que ce soit par l'intermédiaire des gouvernements, ou des entreprises, et de continuer à explorer les régions les plus difficiles d'accès dans le Grand Nord ou en eau profonde.

Concernant le biocarburant, il y a un élément intéressant à soulever. Jusqu'il y a quelques années, toute l'industrie des biocarburants étaient, en quelque sorte, combattue par l'industrie pétrolière qui craignait que les biocarburants ne viennent remplacer le carburant fossile.

Cette logique a complètement changé. Du fait de la hausse de la demande, les biocarburants ne viendront pas se substituer au pétrole mais s'ajouter pour compléter l'offre insuffisante.

Le changement de conception d'une d'offre de substitution vers une offre supplémentaire a amené certaines grandes compagnies pétrolières, qui étaient autrefois les principaux opposants, à devenir les leaders du secteur des biocarburants.
Les plus grands programmes de recherche sur les biocarburants, à partir de matières recyclées, sont menés aujourd'hui par des compagnies pétrolières : Chevron, Conoco…

Quel regard portez-vous sur l'évolution des métaux précieux, l'or et le platine en particulier ?
L'Afrique du Sud était pendant plus de 100 ans, jusqu'en 2006, le premier producteur d'or mondial.
La production du pays décline tous les ans, il y a des ressources qui sont de plus en plus difficiles à atteindre, de plus en plus coûteuse à extraire.

Dans le même temps, nous avons un niveau de vie qui ne cesse d'augmenter dans les grands pays émergents : Chine, Inde. Nous avons une demande en or, aussi bien en terme d'investissement qu'en terme de produits de luxe.

Le cas du platine est très intéressant. À la fin de l'année dernière, le platine valait entre 1400 et 1500 $ l'once. Nous sommes aujourd'hui à plus de 2100 $ l'once. 70 % du platine mondial provient d'Afrique du Sud. Ce pays connaît, aujourd'hui, de sérieux problèmes d'électricité. Les principaux producteurs sont contraints de fermer une partie des mines, de réduire drastiquement leur production faute d'énergie.

Qu'en est-il de la situation des denrées alimentaires ?
Si nous observons l'augmentation des produits de base (lait, blé, maïs…), les augmentations de prix sont considérables. Le prix du blé a plus que doublé l'année dernière. L'impact a été immédiat sur tous les produits dérivés : le pain, les pâtes...

 Nous avons de plus en plus de personnes à nourrir, de moins en moins de terres cultivables, le phénomène a vocation à s'amplifier.

Par ailleurs, la dégradation des conditions météorologiques accentue les difficultés. L'Australie qui est un des premiers exportateurs mondiaux de céréales, a connu ces dernières années une très grande sécheresse. Dans le même temps, nous avons eu des inondations en Amérique du Sud. Cet hiver, des tempêtes de neige importantes en Chine ont détruit plusieurs récoltes.

Est-ce que la cherté des matières premières est une opportunité en terme d'investissements ?
Les matières premières sont des produits qui se font rares. L'ajustement se fait alors par le prix. C'est pourquoi, il est intéressant d'investir sur ce véhicule.
Le secteur des matières premières a connu la meilleure performance, depuis plusieurs années au niveau mondial, comparé à toutes les autres classes d'actifs. Les actions liées aux matières premières ont largement surperformé le marché.

Nous avons une gamme de fonds dédiés : sur l'or, sur les matières premières.
Nous avons tendance à investir sur les matières premières en privilégiant les investissements sur les actions.

Pour quelle raison ?
Nous avons un effet multiplicateur sur les actions, par rapport aux prix des matières premières. Certains prix augmentent beaucoup plus rapidement que les coûts de production. Dès lors, il y a des sociétés qui produisent de l'or, du pétrole ou du charbon et qui les vendent deux fois plus cher d'une année sur l'autre.

Quelles sont vos recommandations pour investir dans cette classe d'actifs ?
Tout dépend de votre horizon d'investissement. À plus long terme, la problématique est identique, une insuffisance de l'offre par rapport à une demande élevée. De ce fait, il n'y a pas véritablement de classe à favoriser sur le long terme. Sur les cinq dernières années, le prix du baril est passé de 20 à 100 $, le prix de l'or est passé de 250 $ à 950 $, le prix du cuivre a quadruplé... Toutes les matières premières ont à peu près suivi le même chemin.

Sur un horizon un peu plus courtermiste (un an), il est intéressant de jouer la carte des matières premières agricoles parce que le cycle est plus récent, le démarrage de la hausse des prix s'est fait de manière un peu plus tardive.

Il est très important de bien choisir, à l'intérieur de cet univers : des intervenants solides, bien positionnés, qui ont des coûts de production relativement raisonnables.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 03 Mars 2008 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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