par Benjamin Mallet

La mise en chantier d'un deuxième EPR en France après celui de Flamanville (Manche) a été annoncée en juillet par Nicolas Sarkozy, qui a évoqué un éventuel début des travaux en 2011.

GDF Suez a prévu de décider en ce début d'année d'être ou non candidat à ce projet mais il a déjà fait savoir qu'il s'y préparait activement, notamment en matière de finances et de recherche de sites.

EDF s'est pour sa part déjà déclaré candidat et l'électricien public semble prêt à défendre son emprise sur le nucléaire de nouvelle génération, dont il a fait la clé de son développement à l'international, notamment dans le cadre du rachat de British Energy et de la moitié des actifs nucléaires de l'américain Constellation.

"Les deux groupes ont chacun des soutiens politiques mais confier le deuxième EPR à GDF Suez permettrait de freiner un peu les velléités de la Commission européenne en matière de pratiques anticoncurrentielles", estime Benjamin Leyre, analyste chez Exane BNP Paribas.

Pour Patrice Lambert de Diesbach, de CM-CIC, "il paraît évident que le mieux placé pour ce 2e EPR est GDF Suez, qui sera à la fois l'alternative nucléaire française à EDF et le garant d'une diffusion transparente du savoir-faire (...) et non pas circonscrite à un seul acteur".

Au-delà du marché français, le 2ème EPR français permettrait à GDF Suez de se développer à l'international.

"Pour GDF Suez, il s'agirait d'une preuve de confiance. Leur position bilancielle leur permet de financer des investissements et ils ont déjà une expérience dans les opérations de centrales nucléaires : ce sont les deux couplets qui permettent d'être convaincant à l'international", souligne Benjamin Leyre.

UNE QUESTION DE "CRÉDIBILITÉ"

Pour Patrice Lambert de Diesbach, GDF Suez pourrait obtenir avec le 2ème EPR français "la véritable crédibilité dont (il) a besoin pour aller également promouvoir l'EPR notamment au Moyen-Orient, là le couple énergie-dessalement est le fer de lance du développement du groupe".

L'énergéticien - dont la naissance a eu lieu le 22 juillet 2008, après deux ans et demi de fiançailles entre GDF et Suez - s'est engagé à détenir et exploiter des unités nucléaires de nouvelles générations à l'horizon 2020.

A Abou Dhabi, en partenariat avec Total et Areva, il a proposé la construction et l'exploitation de deux EPR, un projet qu'il pourrait avoir du mal à concrétiser s'il ne décrochait pas le 2e EPR français.

"Il ne serait sans doute pas très facile d'expliquer à Abou Dhabi que nous voulons opérer des centrales nucléaires dans le pays (...) si nous n'étions pas considérés comme en mesure de construire un réacteur nucléaire en France", soulignait fin 2008 Gérard Mestrallet, P-DG de GDF Suez, lors de l'assemblée générale des actionnaires du groupe.

GDF Suez possède et exploite actuellement sept réacteurs en Belgique avec une capacité de 5.800 mégawatts (MW) et détient une participation dans deux réacteurs en France qui représente une capacité de 1.100 MW.

"POURQUOI FAVORISER UN 2E LEADER NUCLÉAIRE ?"

"GDF Suez a déjà dit qu'il serait intéressé par le Royaume-Uni et, si une occasion se présente aux Etats-Unis, cela ne me surprendrait pas qu'ils essaient de se positionner", indique Benjamin Leyre.

D'autres analystes et experts du secteur énergétique soulignent cependant qu'EDF est déterminé à défendre son statut de premier exploitant nucléaire mondial - avec environ 66 gigawatts (GW) installées et 58 réacteurs en France - et de représentant hexagonal du nucléaire de nouvelle génération.

"On a un leader gazier et un leader nucléaire : pourquoi voudrait-on favoriser un deuxième leader nucléaire ?", s'interroge un analyste basé à Paris, qui n'a pas souhaité être identifié. "Il y a deux mois, j'aurais dit que GDF Suez décrocherait sans souci le 2ème EPR mais aujourd'hui je suis dubitatif."

EDF s'est en effet appliqué fin 2008 à défendre sa candidature pour un 2e EPR en France. Son P-DG Pierre Gadonneix déclarait le 11 décembre que le groupe capitaliserait sur l'ensemble des EPR qu'il prévoit de construire - dix d'ici à 2020 -, qu'il ferait des "clones" de Flamanville et qu'il ne participerait à des projets nucléaires que s'il les pilote.

"Rationnellement, en termes purement économiques, l'effet d'expérience devrait jouer et favoriser EDF", souligne un expert parisien qui a requis l'anonymat. "Le principal obstacle pour GDF Suez, c'est le 'lobbying' d'EDF."

Un analyste basé à Paris souligne pour sa part : "La filière nucléaire française est extrêmement syndiquée chez EDF, la rentrée sociale est déjà compliquée, le risque serait d'attiser un peu plus le feu en s'attaquant à des entreprises où l'emprise syndicale est forte."

Pour Benjamin Leyre, la question d'une hausse des tarifs de l'électricité se poserait aussi : "GDF Suez ne prendra pas la décision d'investir dans un EPR en France sans compter sur une couverture des coûts de remplacement dans les tarifs. Il pèsera de tout son poids sur ce sujet, dans la limite ce qui est politiquement acceptable."

Edité par Marc Joanny