Fin 2019, ShadowFall attaquait Eurofins en pointant du doigt ce que la firme décrivait comme un véritable « chaos organisationnel ». Etaient alors vertement critiquées, entre autres, de curieuses opérations financières entre la holding et diverses filiales à la vocation et à la gouvernance opaques, dont certaines installées dans des paradis fiscaux.

Vient ce matin le tour de Muddy Waters, qui comme de coutume n’y va pas de main morte. La firme américaine vise à la tête et accuse le fondateur et président d’Eurofins Gilles Martin de « siphonner les fonds » du groupe vers diverses sociétés civiles immobilières qu’il contrôle. 

Une accusation aussi dramatique interroge. Gilles Martin possède presque le tiers du capital d'Eurofins, qui représente donc — de très loin — l'essentiel de sa fortune. On imagine difficilement l'intéressé nuire à celle-ci de manière aussi mesquine.

Plus embêtant, l’intégrité de la comptabilité d’Eurofins est gravement mise en doute, surtout au niveau de la gestion de la trésorerie en grande partie pilotée depuis une filiale installée au Luxembourg. L’ingénierie financière est si complexe que, l’année dernière, les commissaires de Deloitte s’y étaient eux-même emmêlés les pieds. 

Ce n’est pas la première fois que ces éléments parviennent via divers canaux informels — et, disons-le, en premier chef sous forme de rumeurs invérifiables — à l’équipe d’analystes de Zonebourse. 

Du reste, comme nous l’expliquions en novembre dernier — voir Synlab : Sens de l’urgence — nous considérions depuis plusieurs années le secteur de la biologie médicale français comme beaucoup trop risqué suite à la révision de la nomenclature de la sécurité sociale et les baisses de remboursements qui y sont liées. 

Cette dernière — nous le savons là-aussi par des bruits de couloir qui nous parviennent via divers canaux informels — a découragé la majorité des grands investisseurs institutionnels qui se sont un temps intéressés au secteur.

Miraculeusement repoussée grâce au Covid, l’échéance ne pouvait en effet manquer d’y causer un sérieux stress. L’actualité tragique chez Biogroup et un changement de direction chez Cerba étaient perçus par certains comme des signes annonciateurs. 

Pour en revenir à Eurofins, au-delà des changements de nomenclature et sans nous prononcer sur les soupçons de malversations décrits par Shadowfall et Muddy Waters, c’est la curieuse dynamique financière des trois dernières années qui nous préoccupait. 

En effet, le groupe a investi sur la période un milliard d’euros supplémentaires dans sa stratégie de croissance externe, mais pour un résultat plutôt douteux : le chiffre d’affaires stagne, le profit d’exploitation consolidé a été divisé par deux, tandis que le cash-flow lui diminuait d’un tiers.

Bien sûr, la distorsion causée par le Covid et sa manne providentielle brouille les cartes. Se pose néanmoins les questions suivantes : Quel est le retour sur investissement réellement obtenu sur ces acquisitions ? Plus grave, ces dernières ont-elles servi à masquer une croissance organique en déroute ? Et enfin, comment esquisser un modèle de marges normalisé ?

Devant l’impossibilité de la tâche, rendue plus complexe encore par la complexité opérationnelle et administrative du groupe, nos analystes avaient préféré se tenir à l’écart d’Eurofins — même à la faveur de la récente contraction de ses multiples de valorisation.