Des ministres des Finances de la zone euro réclamant des programmes de privatisation aux gouvernements des pays frappés par la crise de la dette aux élus américains qui exigent des baisses de la dépense publique ou une restriction du droit syndical: plus de vingt ans après son départ du 10, Downing Street, les tenants du thatchérisme restent profondément inscrits dans les politiques contemporaines.

La "Dame de fer" prônait la déréglementation, la réduction du secteur public, l'ouverture des marchés et la privatisation. Des termes aujourd'hui courants dans le débat public. Mais en 1979, lorsqu'elle devient la première femme - et à ce jour l'unique - à prendre la tête du gouvernement britannique, aucune de ces politiques économiques n'était familière.

"Elle a fait bouger les lignes du politiquement possible", observe Steve Davies, historien de l'économie et directeur de l'Institute of Economic Affairs, un centre britannique de recherches et de réflexions.

"D'un côté, on en est venu à prendre au sérieux les politiques de privatisation ou de dérégulation; de l'autre, des politiques que l'on prenait au sérieux comme l'économie dirigée ne le sont plus", ajoute-t-il.

UN MODÈLE À L'EST

Au départ pourtant, le thatchérisme et son cousin américain, les "Reaganomics" menées par l'administration du président républicain Ronald Reagan au pouvoir pratiquement au même moment (1980-1988), apparaissent comme des ruptures radicales.

Le seul mot de "privatisation", par exemple, était pratiquement inusité avant 1979.

A son arrivée au pouvoir, Thatcher prend en main une Grande-Bretagne dont l'industrie, comme dans les autres Etats européens, relève du secteur public.

Sous sa férule, la sidérurgie, l'automobile, l'aérospatiale, le pétrole, le gaz, les compagnies aériennes, le monopole des télécoms sont privatisés, souvent en force, malgré l'opposition politique et les combats des salariés. Même les logements publics sont cédés aux locataires qui les occupaient.

Tout ne se passe pas aussi bien que Margaret Thatcher l'assurait. Si l'ouverture des télécommunications a provoqué une chute des tarifs et une croissance de l'activité, la privatisation d'autres secteurs - comme les chemins de fer, finalisée par son successeur, John Major - a eu des effets déstabilisants.

Mais aujourd'hui, le débat dans les économies les plus riches porte globalement sur l'ampleur des privatisations à conduire, et non sur un retour en arrière via des nationalisations.

Hors Grande-Bretagne, l'influence la plus visible du thatchérisme se trouve dans les ex-pays communistes d'Europe de l'Est. A la chute du Rideau de fer, en 1989, les nouveaux dirigeants s'inspirent directement d'une femme qu'ils tiennent pour une héroïne.

A grands renforts de "thérapies de choc", ils embarquent leurs pays sur une voie express menant au libéralisme.

Là encore, le bilan n'est pas univoque.

"UN IMMENSE COÛT SOCIAL"

En Russie, les privatisations conçues par des thatchériens revendiqués ont pour l'essentiel profité à eux mêmes. Une poignée d'investisseurs très introduits dans la classe politique se sont partagés les vestiges de l'industrie soviétique. Une nouvelle caste est apparue: les oligarques, dont un grand nombre sont devenus par la suite les voisins de Margaret Thatcher dans le quartier huppé de Belgravia, à Londres.

"L'émergence de ces structures oligarchiques et l'accroissement spectaculaire des inégalités démontrent les limites d'une application trop littérale de son héritage", note Erik Berglof, chef économiste à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd).

Quant au "big bang" de la déréglementation, il est au coeur de l'essor des marchés financiers et de l'explosion de la City, devenue un pilier de la finance mondiale.

Mais d'autres secteurs ont été laminés sous les mandats de la "Dame de fer".

A son arrivée au pouvoir, le charbon britannique souffrait déjà de la concurrence du gaz naturel, énergie nouvelle, moins chère, plus sûre, mais employait toujours près de 250.000 "gueules noires".

A son départ, les houillères n'employaient guère plus de 50.000 mineurs. Aujourd'hui, ils se comptent en milliers.

"Thatcher a créé une société plus dynamique, une société du laissez-faire, mais le coût social supporté par les communautés détruites a été immense", résume Timothy Ash, économiste à la Standard Bank.

Glenn Hubbard, doyen de l'école de commerce de l'Université new-yorkaise de Columbia, l'admet: "Il reste des questions légitimes sur les conséquences (du thatchérisme)". "Mais, ajoute-t-il, elle a fait formidablement progresser la cause de la libéralisation des biens, des capitaux et du travail à travers le monde."

Avec Carolyn Cohn et Sujata Rao; Henri-Pierre André pour le service français

par Jeremy Gaunt