Photo et vidéo par Maria Antonova

KOGALYM (awp/afp) - Les Sopotchine voient depuis bien longtemps les puits de pétrole gagner du terrain sur les terres de Sibérie où ils élèvent des rennes depuis des générations. Mais désormais, ils craignent pour la survie même de leur activité.

Autour de la hutte traditionnelle de bois où la famille autochtone de la région de Khanty-Mansi partage une seule pièce, les rennes broutent le lichen sous la neige. A proximité, deux groupes pétroliers s'apprêtent à augmenter leur production.

"Tout notre territoire abrite du pétrole", constate Stepan Sopotchine, 26 ans. "Au sud, Loukoïl nous demande de nous déplacer vers le nord. Et au nord, Gazprom Neft se développe et nous demande de partir vers le sud...", déplore ce père de deux jeunes enfants.

Depuis des décennies, la famille Sopotchine déplace en avril son troupeau de 250 bêtes vers le nord moins boisé, où la neige fond plus vite et où les femelles en gestation trouvent de l'herbe fraîche.

Cette année, engins de chantier et camions chargés de tuyaux s'activent sur les lieux. Gazprom Neft, la branche pétrolière du géant public Gazprom, prépare l'exploitation d'un nouveau gisement, Otdelnoïé, auquel les Sopotchine sont opposés.

Ce cas n'est pas isolé dans la région, où la production de pétrole profite à l'économie russe mais perturbe modes de vie traditionnels et écosystèmes fragiles.

Même si la loi donne théoriquement la priorité aux minorités autochtones sur ces terres qui les font vivre, dans la pratique elles se trouvent démunies face aux projets pétroliers qui reçoivent le feu vert de Moscou sans leur accord.

Ce n'est qu'une fois que les autorités ont attribué les licences d'exploitation aux entreprises que celles-ci proposent des compensations aux populations locales, pour des montants rarement déterminés de manière indépendante.

L'anthropologue Andrew Wiget, qui a étudié le peuple Khanty pendant plus de 20 ans, avait évalué en 1998 la valeur totale des ressources faisant vivre une famille pendant un an à 120.000 roubles (16.000 dollars à l'époque), un montant deux fois plus élevé que la compensation alors proposée à une telle famille si elle acceptait les projets pétroliers.

- 'Nulle part où vivre' -

Contacté par l'AFP, Gazprom Neft a assuré à l'AFP avoir accepté de "changer de manière significative ses plans d'infrastructure" face aux demandes des Sopotchine et avoir désormais obtenu toutes les autorisations pour lancer son projet.

Malgré ces mesures et une offre de compensation de plus de 500.000 euros répartis entre six familles sur 24 ans, Iossif, le père de Stepan, a déjà refusé deux fois de signer des contrats pourtant indispensables légalement. Ce qui n'a pas empêché la construction des routes de démarrer.

"Nous n'avons jamais refusé l'accès au pétrole, nos comprenons qu'il faut aider le gouvernement, mais nous sommes contre ce gisement parce que nous n'avons nulle part d'autre où vivre", plaide Iossif, 58 ans.

"Il y aura des déversements de pétrole et nos rennes risquent de se retrouver dans des zones de production ou sur des routes", craint-il, inquiet par ailleurs de l'arrivée de braconniers susceptibles de tuer ses bêtes.

Pour protester, les Sopotchine ont érigé symboliquement en février une tente sur le site de construction, ce qui leur a valu d'être convoqués par la police.

"Vous allez penser que je suis fou, mais quand j'ai quitté ces pâturages pour la dernière fois", raconte Iossif.

- Violations -

Vue depuis un satellite, la région de Khanty-Mansi ressemble à un paysage sauvage parsemé de forêts de pins et de lacs. Sur ces terres, le peuple Khanty a toujours vécu de l'élevage, de la chasse, de la pêche, et de la cueillette des baies. En y regardant de plus près, on peut voir les puits pétroliers gagner du terrain.

Les ressources d'hydrocarbures de la Sibérie occidentale représentent une source de revenus cruciale pour l'économie russe mais les conséquences sont lourdes pour la nature. Les arbres pourrissent car les routes entravent la circulation de l'eau, tandis que les troupeaux de rennes sont décimés par le braconnage, les contaminations et les accidents, selon les Khanty.

Dans une récente pétition, Greenpeace accuse les groupes énergétiques de violer les normes environnementales. L'organisation évalue à 1,5 million de tonnes le volume des fuites de pétrole dans la nature, bien plus que le chiffre officiel de 50.000 tonnes.

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