"Quel regard portez-vous sur la politique économique conduite en France en ce début d’année 2014 ?
La conférence de presse du président le 14 janvier a donné le ton pour le premier semestre avec le Pacte de responsabilité. Elle a ouvert une période de négociations de l’ordre de six mois. Les prochains mois devraient donc se caractériser par des discussions, des incertitudes, des rebondissements.
L’enjeu est important. Le second semestre 2013 a été relativement pauvre sur le front de la politique économique. Il s’agit alors de relancer les réformes dans le pays dans le domaine de la fiscalité des ménages et des entreprises, des dépenses publiques, du découpage administratif.

Quelle lecture faites-vous de la volonté affichée sur le front de la baisse des dépenses publiques ?
Nous avions le sentiment que la modernisation de l’action publique (la MAP) était en perte de vitesse. Il fallait redonner de l’élan. C’est ce qui a été fait avec la mise en place de l’Observatoire sur les dépenses publiques.
On ne sait pas encore quel sera le contenu des différents budgets. Il faudra patienter jusqu’à la fin de l’été pour avoir plus d’éléments.
Ce qui est certain c’est que les grandes mesures qui pouvaient rapporter beaucoup d’argent dans les caisses de l’Etat ont été adoptées les années précédentes. Sur cinq ans, les économies de coûts atteignent un niveau record. Etant donné l’ampleur de l’ajustement passé, il sera de moins de moins évident de générer des économies.
Il va falloir s’aventurer sur des terrains où il y a potentiellement plus de résistance et dans de multiples dimensions différentes : les dépenses de santé, les dépenses de l’armée, le découpage administratif, les budgets ministériels, les politiques publiques en général et le périmètre de l’état en particulier. Quasiment tous les postes de dépenses devront être passés au peigne fin.

Un segment dont on entend beaucoup parler concerne les dépenses aux régions avec la question du découpage administratif du territoire français…
Nous avons là-dessus beaucoup de pistes et peu de concret. Le président a seulement dit que le nombre de départements et de régions n’était pas fixé. Il n’a présenté aucun modèle, aucune stratégie. Depuis les spéculations vont bon train sur quelles régions, quels départements, quelle intercommunalité, etc. Nous déplorons l’absence de ligne directrice claire en ce qui concerne l’organisation territoriale future.
Nous regrettons également une absence d’avancée dans la réforme des allocations chômage. Les premiers signaux ne vont pas dans le sens d’une réforme d’envergure et le président semble vouloir l’exclure du fait du chômage très élevé que l’on a dans le pays. Et pourtant, les incitations provenant des assurances chômage sont efficace dans d’autre pays pour permettre le retour à l’emploi d’un plus grand nombre.

La fiscalité vous parait être un véritable casse tête ?
La fusion entre le CSG et l’impôt sur le revenu n’est pas le cœur du problème.

Par contre la fusion entre le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et la suppression des cotisations familiale sera un véritable casse tête. Le CICE représente 20 milliards d’euros de crédits d’impôts concentrés sur les bas salaires, jusqu’à deux fois et demi le salaire minimum. La baisse des contributions aux allocations familiales représente 30 à 35 milliards d’euros avant fiscalité soit environ le même ordre de grandeur que le CICE après fiscalité, mais sont distribuée sur l’ensemble des salaires.
Du côté de la simplification des entreprises, il semblerait toutefois que le gouvernement avance plus efficacement en concertation avec les différentes parties prenantes s’agissant de l’allègement administratif, de la suppression des taxes inutiles ou inefficaces (coût de recouvrement supérieur au revenu généré).

Il ne faut pas trop en attendre sur ce point cette année…
Le processus va vraisemblablement s’étaler sur la durée.
Un économiste aurait eu tendance à vouloir une réforme fiscale chaque année, le sujet étant complexe et devant être abordé de manière continue. Ce n’est pas ce qui a été décidé. La lourdeur et la complexité de la réforme supposent qu’elle prendra du temps à être implémentée.

Le choc de simplification et les mesures plus concrètes pour les entreprises -par exemple la suppression de l’obligation de publier des comptes hebdomadaires pour les PME- auront un effet plus immédiat sur la confiance…
Le gouvernement travaille en étroite collaboration avec les responsables d’entreprises. La vie des entrepreneurs devrait être facilitée. Il devrait être moins compliqué de créer et de faire vivre une entreprise. Tout cela va dans la bonne direction, contribuera à améliorer la confiance mais ne sera pas suffisant si ce n’est pas accompagné d’une politique d’ensemble cohérant.

Selon vous, les mesures de libéralisation des biens et des services continueront à ne pas faire partie des priorités du gouvernement pour le moment ?

La reforme des marchés des biens et des services ne semble pas être une priorité du gouvernement. Les mesures récentes ont été prises sous l’impulsion de la commission européenne (réseau, transport, énergie). Mais il faut reconnaitre que la loi Hamon sur la consommation instaure quelques avancées, comme par exemple la concurrence parmi les assurances.

Qu’attendiez-vous sur ce front ?

Le gouvernement aurait pu ressortir du placard le rapport Attali sur la libéralisation des services aux ménages et aux entreprises et assouplir par exemple la réglementation dans les professions libérales comme juriste ou expert comptable. Les services aux entreprises représentent la moitié des coûts intermédiaires pour les entreprises françaises.
L’idée aurait été d’envisager des bouleversements similaires à ceux qu’a connus le secteur des télécoms avec l’octroi de la quatrième licence de téléphonie à l’opérateur Iliad. L’entrée de Free sur le marché du mobile a fait baisser la facture de téléphone de 25%. Cela a eu un impact sur l’inflation de l’ordre de 0,6%, ce qui est considérable.

Le gouvernement mentionne certains pans de l’économie comme le transport ou l’énergie. Cependant les changements envisagés ont été requis par la Commission européenne. Le gouvernement n’a rien fait d’autre que de retranscrire dans le droit français la réglementation européenne.
Pour le reste, les experts de Bercy réfléchissent à d’autres évolutions pour redistribuer du surplus de pouvoir d’achat aux Français. Mais il est fort probable que nous restions quelque peu sur notre fin.

Le vrai rendez-vous sera l’adoption du Pacte de responsabilité en juin prochain ?
Ce rendez-vous déterminera si 2014 sera une année réussie ou pas.
Le potentiel positif des annonces faites est considérable. L’effet de leur communication a été très important à la fois en France et à l’international. Les médias étrangers ont couvert le dossier avec beaucoup d’attention. On peut donc penser que la substance du Pacte sera scrutée avec minutie. Si le gouvernement parvient à édicter des mesures qui effectivement simplifient le cadre fiscal, aboutisse à une baisse des dépenses, alors le Pacte sera convaincant. Qui plus est, le parti socialiste devra serrer les rangs pour voter la confiance ce qui aura le mérite de clarifier le paysage politique français, la position des socialistes mais également celle des Verts et des centristes.

Celui-ci passera t il alors à l’Assemblée ?
A priori oui mais encore faut il qu’il soit ambitieux et cohérent.
La question intéressante est de savoir s’il passera uniquement avec les voix de gauche ou également des voix de centristes ou de parlementaires UMP. Ainsi, si le parti socialiste ne parvient pas à rester uni, alors nous pourrions voir une recomposition du paysage politique autour d’un gouvernement de coalition élargi, avec des ministres centristes par exemple. Le signal politique serait très positif. Il montrerait que les politiques ne font pas que de la politique politicienne. Il atténuerait la vision négative donnée par une partie de la gauche comme les verts qui votent pour le gouvernement à l’Assemblée et contre au Sénat.
Le second semestre pourrait se caractériser par une spirale vertueuse avec un effet de confiance qui joue à plein.

Que se passerait-il si le Pacte se révélait être une coquille vide...

Dans ce cas, le vote de l’Assemblée n’aurait pas grande importance. Les déceptions seraient à la hauteur des espérances soulevées par le discours du 14 janvier.
Le spread entre le taux à dix ans français et le taux à dix ans allemand pourrait s’élargir. Les actions françaises auraient tendance à sous-performer les autres marchés européens. Les investisseurs penseront que la résolution des problèmes au sein de l’Hexagone est reportée…. Les perspectives bénéficiaires des entreprises françaises seront revues à la baisse.

Sur quelle issue tablez-vous dans votre scenario central ?
Le gouvernement va sans doute continuer dans la vaine de ce qui a été fait en janvier, maintenir un discours ancré au centre gauche, social démocrate. Ce faisant, l’Assemblée devrait voter la confiance au gouvernement, sans enthousiasme.
Dans les faits, nous pensons que les anticipations au regard du Pacte sont trop élevées. Nous préférons rester prudents, quitte à se faire surprendre positivement. Mais le gouvernement a déjà montré par le passe que certaines promesses peuvent ne pas être tenues (cible de déficit de 3% en 2013…).
In fine, nous aurons suffisamment de mesures pour ne pas dire que le gouvernement ne fait rien et pas trop pour contenir l’opposition aux reformes.
Vous conseiller un certain attentisme avant de prendre la décision d’investissement appropriée ?
Nous recommandons d’attendre le mois de juin, après les élections, pour avoir plus d’éléments d’information quitte à être surpris de manière positive.

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