"Le pouvoir de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) de contraindre des sociétés à dévoiler leurs intentions d’initier une offre publique vis-à-vis d’autres sociétés est un pouvoir assez récent…
C’est en effet un outil qui a été attribué à l’AMF lors de la modification de son Règlement Général en septembre 2006. Cette procédure est inspirée d’un dispositif anglais appelé « Put up or shut up », qui a été baptisé d’une manière moins imagée en France par « procédure anti-rumeur ». C’est l’affaire Pepsico-Danone de l’été 2005 qui a poussé le législateur à conférer cette prérogative à l’AMF. Ce dispositif lui permet, en particulier lorsque le marché des titres d’un émetteur fait l’objet de variations significatives ou de volumes inhabituels, de demander à toute personne pour laquelle il existe un motif raisonnable de penser qu’elle prépare une offre publique de révéler ses intentions officiellement au marché.

Quelles sont les implications juridiques d’une procédure anti-rumeur?
Lorsque l’AMF a identifié l’entreprise désignée comme prédatrice par les rumeurs, elle lui impose un délai qui ne dépasse pas quelques jours de bourse en général, pour clarifier ses projets. Si l’entreprise nie vouloir déposer une offre publique sur la cible potentielle, elle est alors engagée pour six mois. Elle ne peut ni lancer d’offres sur cette cible ni se mettre dans une position où elle serait obligée d’en faire une, c'est-à-dire en dépassant des seuils de détention. Si la réponse donnée par l’initiateur présumée est positive, ou estimée comme telle par l’AMF, elle doit alors déposer son projet d’offre ou au minimum les détails de son projet d’offre dans un nouveau délai fixé par l’AMF. On notera que l’AMF a un réel pouvoir d’interprétation de la réponse de l’initiateur présumé : suite à des rumeurs persistantes d’OPA initiée par Artemis sur Suez à la fin de l’année 2006, l’AMF avait mis en demeure Artemis de déclarer ses intentions sur cette OPA potentille ; Artemis a alors choisi de répondre par une phrase évasive en arguant être en phase exploratoire. Immédiatement, l’AMF a interprété la réponse du groupe en réponse positive, et a donné quelques semaines à Artemis pour communiquer les détails de son offre. Si rien n’est déposé dans ce délai, il s’agit d’un renoncement et contraint l’entreprise de la même façon que si elle avait répondu par la négative.

Une entreprise pourrait très bien être contrainte par une procédure anti-rumeur alors qu’elle n’y est pour rien dans ces rumeurs?
Concrètement, l’AMF n’a pas recours à cette procédure si souvent, ni de manière systématique. Jean-Pierre Jouyet , président de l’AMF a ainsi expliqué la semaine dernière à propos du cas Safran/Zodiac, qu’avant de lancer une procédure anti-rumeur, ses services ont approché Safran bien en amont pour

LVMH a parfaitement décelé une faille dans ce système et l’a exploité dans le cas d’Hermés

obtenir des explications de leur part. En réalité, l’AMF a fini par perdre patience, notamment après la phrase de M. Hertemann sur l’éventualité de lancer une offre hostile.

Est-ce que cette procédure n’a pas changé la façon de préparer des OPA par les entreprises?
Cette procédure s’inscrit dans une démarche plus globale de circonscrire les OPA hostiles. Il s’agit de protéger l’actionnaire de la société cible, et d’améliorer la transparence globale du procédé. Par exemple, il n’est désormais plus permis à l’initiateur d’une offre publique d’acheter le moindre titre de la cible entre le moment où l’offre est signifiée, et le moment où cette offre est ouverte. Finalement, la société-cible dispose d’outils qui lui permettent d’être mieux armée que la société-prédatrice et de préparer tranquillement sa défense. De la même manière, tous ces dispositifs ont tendance à favoriser des concurrents qui désireraient déposer des contre-offres puisque l’initiateur est paralysé dans ses actions du moment où il a déclaré son intention d’initier une offre publique. Résultat, les grandes opérations hostiles que l’on a pu connaître par le passé ont quasiment disparu aujourd’hui. Cependant tous ces dispositifs ont une limite : les mouvements sur les titres doivent être visibles. LVMH a parfaitement décelé une faille dans ce système et l’a exploité dans le cas d’Hermés. Grâce à un système complexe dit « d’equity swaps », LVMH a pu se positionner sur un nombre important d’actions Hermés sans avoir à déclarer ces opérations au marché. LVMH est aujourd’hui actionnaire à hauteur d’environ 17% du capital d’Hermés sans que personne ne s’en soit aperçu. Une enquête de l’AMF est en cours sur ce dossier, mais Christine Lagarde a d’ores et déjà annoncé qu’il y aurait une modification législative afin d’appréhender ce type de prise de participation « masquée ». La question qui se pose demain c’est quid du succès d’une offre hostile en France ?"