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(Easybourse.com) Comment expliquez-vous que sur les trois derniers mois des mesures de stabilisation financière (recapitalisation des banques irlandaises, anglaises, américaines), des mesures monétaires (garanties des dépôts multiples, diminution drastique des taux courts), des mesures fiscales, des mesures de relance économique (près de 1000  milliards de dollars aux Etats-Unis, 500  milliards de dollars pour la Chine, 50 milliards d'euros en Allemagne) aient été annoncées pratiquement en même temps au niveau global ?
Pourquoi n'a-t-on pas attendu que le système financier se stabilise avec l'injection des liquidités dans les banques pour envisager par la suite d'autres mesures supplémentaires ?
L'objectif a été d'éviter ce qui s'est déroulé par le passé lors de la crise des années 30 et pendant la phase de déflation initiée au Japon au début des années 90.

Dans les années 30, les marchés financiers avaient chuté de 50% supplémentaires par rapport au niveau actuel. La reprise sur le marché des actions n'était intervenue que six ans après l'apparition de la crise. Les autorités politiques et monétaires à l'époque pensaient que le problème était uniquement de nature financière et qu'il n'affecterait pas l'économie réelle. Les banques centrales n'avaient pas baissé immédiatement les taux directeurs. Le gouvernement américain a attendu 1935, avec la politique du New Deal pour commencer à essayer de stimuler l'économie. Il y a donc eu une importante erreur d'appréciation commise pendant cette période.

Le deuxième cas de figure auquel  les gouvernements ont  souhaité échapper et qui explique l'adoption de mesures aussi nombreuses et importantes dans leur ampleur est la phase de déflation dans laquelle est entré  le Japon au début des années 90. Il y avait à l'époque une bulle immobilière sur le marché japonais. Le marché a commencé à s'effondrer en 1990. Ce n'est qu'en 1998 que l'on a commencé à avoir une recapitalisation des banques. Entre temps, le marché actions avait chuté d'environ 65%. Le taux de croissance de l'économie n'avait cessé de ralentir, en particulier parce que les banques ne prêtaient plus aux entreprises et aux ménages du fait d'un disfonctionnement manifeste du marché interbancaire. Près d'une décennie avait été perdue.

Pensez-vous que ces mesures prises vont produire les effets escomptés ?
Il semblerait que nous ayons une ébauche de stabilisation depuis décembre. La question est de savoir si cette amorce d'accalmie sera durable ou pas.

Dans tous les cas, ces mesures ont permis de réduire de manière significative la perception du risque systémique et de stabiliser par la même occasion le système financier.

Quel regard portez-vous sur la situation économique aux États-Unis ?
Depuis le troisième  trimestre  2008, nous avons observé une diminution très importante du niveau de création d'emplois dans le pays. La dernière fois que nous avions eu une telle chose c'était pendant la récession de 1973-1974.

Le consommateur américain, qui pendant longtemps était habitué à vivre à crédit depuis 1985, augmente progressivement son taux d'épargne. Nous devrions nous attendre à un affaiblissement de la consommation domestique dans les mois à venir partiellement compensée par les dépenses publiques.

Pensez-vous que l'Etat réussira à complètement contrebalancer l'affaiblissement de la consommation ?
Je ne pense pas et c'est la raison pour laquelle nous devrions avoir une croissance négative en 2009.

Nous avons en Europe un problème structurel, à savoir la faible flexibilité des sociétés européennes s'agissant du coût fixe par rapport au chiffre d'affaires…
En effet,  les coûts fixes sont en proportion plus élevés pour les entreprises européennes que pour les entreprises américaines. La réactivité à un environnement économique difficile est plus faible.

De quelle manière jugez-vous la politique monétaire menée par la BCE jusque-là ?
Alors que la Réserve fédérale américaine avait commencé à baisser ses taux il y a environ 15 mois, la BCE n'a entamé sa réduction qu'il y a seulement quatre mois. Je crois sincèrement que cela a été une erreur d'appréciation qui s'explique par le mandat de la BCE. Cette erreur devrait handicaper les économies européennes pendant encore quelques mois en raison de l'appréciation de l'euro qui renforce la mise à mal des exportations.

Comment appréhendez-vous le positionnement des pays émergents face à cette crise économique ?
Le consommateur de la plupart des pays des marchés émergents est un net épargnant. Cela se reflète sur la vente au détail. En Chine par exemple le taux de croissance de la vente au détail reste relativement élevé. Il a été de près de 17% ces trois derniers mois et devrait être de l'ordre de 12% pour l'année 2009. Ce paramètre n'est pas négligeable si on considère que la Chine représente 25 % de l'économie américaine.

Les vecteurs de croissance devraient provenir de ces pays émergents.

Comment voyez-vous évoluer la croissance des bénéfices des entreprises ?
Le rythme de croissance des bénéfices va clairement ralentir. Si l'on tient compte du consensus (le chiffre moyen de croissance attendu par les analystes), nous devrions avoir en 2009 une croissance des bénéfices aux États-Unis et en Europe d'environ 4 % à 5 % par rapport à 2008.
 
Nous pensons, pour notre part que les bénéfices devraient diminuer de 7 à 10% car nous tablons sur une stabilisation économique sur la deuxième partie de l'année sous l'effet de la concentration des mesures de grande envergure qui ont été prises.

Compte tenu de cet état des lieux, ne serait-il pas raisonnable de vendre le marché actions ?
Nous avons analysé ce qui s'est passé lors des 10 précédentes crises sur les marchés, et pris en considération l'amplitude et la durée de ces crises. Nous avons alors remarqué que la durée moyenne était de 420 jours (dans les années 70, la crise avait duré 600 jours). La performance moyenne du marché actions était de -31 %.

La durée de la crise que nous connaissons, depuis l'apparition des troubles financiers avec les crédits subprimes, est de 400 jours. Nous sommes donc dans la moyenne historique.
 
Le marché actions à baisser de 52%. La dernière fois que nous avions eu un tel effondrement c'était lors de l'explosion de la bulle technologique où les marchés avaient perdu environ 43% et dans les années 70 où les marchés avaient perdu 48%.

L'analogie avec ce qui s'est passé dans les années 70 vous semble pertinente… 
La courbe qui reflète le fort affaiblissement de la performance économique de l'époque est relativement similaire avec celle d'aujourd'hui.
Le rebond sur le marché des actions avait eu lieu en 1974, neuf mois avant la sortie de récession.
C'est la raison pour laquelle nous sommes d'avis qu'il ne faut pas rester à l'écart du marché des actions.

Percevez-vous des éléments positifs dans ce tableau sombre ?
Comme j'ai pu l'évoquer, nous avons une ébauche de détente sur les marchés financiers depuis décembre. La volatilité est passée de 80 à 40% .Les conditions monétaires ont commencée à s'améliorer. En particulier le taux d'emprunt interbancaire a significativement diminué. Les spreads sur le marché du crédit se sont quelque peu resserrés. Il est encore trop tôt pour en tirer une conclusion définitive mais l'amorce de normalisation est notable.

L'environnement dans lequel nous nous inscrivons est, selon vous, nettement différent de celui qui a prévalu de 1980-2008. Pourquoi ? 
De 1980 à 2008, le principal vecteur de croissance résidait dans le crédit. À présent ce sont les cash-flows. Le principal leader de croissance était le consommateur occidental. Aujourd'hui ce sont d'un côté les gouvernements des pays occidentaux, de l'autre les consommateurs des pays émergents.

Dans ces conditions quelle est votre stratégie d'investissement ?
En raison du manque de visibilité quant aux perspectives d'évolution tant sur le plan macro-économique que sur le plan des marchés financiers, nous continuons à rester extrêmement défensifs.  Les entreprises présentant d'importants cash-flows devraient être plus rémunérées que par le passé. Ces entreprises ont connu une surperformance de 25% en 2008, de 11% depuis le début de cette année. 
 
Trois secteurs en particulier ont eu tendance à mieux résister pendant les périodes de récession : le secteur pharmaceutique, le secteur des biens de base, le secteur des télécommunications (qui représente 1,5% du budget des ménages, ce qui sous entend un faible risque de compression).

Nous misons également sur les titres exposés aux dépenses d'infrastructures (aux États-Unis, le plan Obama prévoit 825 milliards de dollars de dépenses d'infrastructures, en Chine  sont prévus environ 600 milliards : le pays devrait d'ici à 2012 augmenter ses capacités de production d'électricité de la même ampleur que toutes les capacités de production en vigueur au sein de l'Union européenne).

Enfin, il nous semble judicieux de s'intéresser aux entreprises qui bénéficient de l'augmentation du taux d'épargne des consommateurs (les hard discounters, les low cost : par exemple la seule marque automobile qui a une croissance notable sur les chiffres de décembre est Dacia Renault).

A ce propos, comment voyez-vous évoluer le secteur de l'automobile ?
Dans le secteur automobile les opérateurs ne peuvent pas diminuer rapidement leurs coûts fixes. Ils ont dans un premier temps réduit leur temps de travail et vont être contraints de diminuer leurs capacités de production. Je pense que le secteur a trop d'opérateurs. Si nous partons du principe que la récession que nous connaissons ne sera pas de courte durée, il y aura des ajustements structurels et un bon nombre de constructeurs automobiles auront vocation si ce n'est à être absorbé, tout du moins à disparaître.

Propos retranscrits par Imen Hazgui à l'occasion de la conférence de presse organisée par Crédit Suisse le 21 janvier 2009

- 27 Janvier 2009 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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