par Gilles Guillaume et Juliette Rouillon

Le ministre de l'Industrie Christian Estrosi a déclaré à Reuters que l'État réfléchissait à une montée en puissance dans le capital du groupe automobile pour peser sur la stratégie industrielle du constructeur.

"Ce qui est sûr, c'est que nous cherchons le moyen de faire comprendre que l'État actionnaire à 15% est un État qui pèse dans le choix. On peut très bien le faire en restant à 15%", a-t-il déclaré.

"Peut-être que de monter à 17%, à 18% ou à 20% est un moyen psychologique de faire comprendre qu'on n'a pas l'intention de laisser conduire la stratégie industrielle automobile de la France sans réagir."

Cette pression sur Renault pour obtenir du groupe qu'il s'engage à produire prioritairement la prochaine Clio 4 en France, et non en Turquie, met mal à l'aise nombre d'investisseurs, notamment à l'étranger.

"Merci Estrosi! L'apparente mainmise de l'Etat sur Renault est mal prise par les investisseurs anglo-saxons", commente un analyste. Il estime que PSA, qui a également bénéficié d'aides publiques, est lui aussi pénalisé en Bourse par la crainte que l'Etat français intervienne également dans sa gestion.

"Même si, au final, on sait bien qu'il y a ceux qui parlent et ceux qui agissent", ajoute l'analyste.

Vers 12h45, les actions Renault et PSA sont parmi les plus fortes baisses du CAC 40, avec des pertes respectives de 1,63% à 38,92 euros et 2,57% à 25,98. Jeudi, dans un secteur très entouré en Europe, Renault a fini sur un gain de 0,19%, tandis que Peugeot a pris plus de 2%.

Thierry Huon, analyste chez Exane BNP Paribas, estime pourtant que la menace d'intervention de l'Etat sur les affaires des constructeurs automobiles n'est pas réelle.

"Au-delà de l'agitation politique, les propos de Nicolas Sarkozy montrent qu'il reste conscient des limites du rôle de l'Etat dans la gestion d'une entreprise privée", précise-t-il.

Le président de la République a déclaré mercredi que le gouvernement français, qui a massivement aidé la filière automobile dans la crise, ne pouvait pas laisser partir toutes les usines à l'étranger, mais qu'il serait absurde d'empêcher un constructeur de taille mondiale d'en implanter à l'extérieur.

Les analystes notent aussi qu'après avoir largement profité du rebond boursier observé depuis mars dernier, les titres des constructeurs automobiles sont sujets à des prises de bénéfices.

Renault a flambé de 95% en 2009 et pris encore 8% depuis le début de l'année, tandis que PSA a bondi de 95% lui aussi l'an dernier et gagné 10% depuis le début du mois.

BRUXELLES SURVEILLE À SON TOUR LE DOSSIER

Renault n'a pas encore décidé où il produira en 2013 la quatrième génération de sa berline, mais l'actuelle Clio 3 est déjà fabriquée majoritairement sur le site turc de Bursa. Le PDG de Renault, Carlos Ghosn, sera reçu samedi à l'Elysée par Nicolas Sarkozy.

La Commission européenne a demandé jeudi des explications à la France sur ce dossier. "En février dernier, j'ai obtenu un engagement clair de la part de la France que les prêts publics aux constructeurs nationaux n'affecteraient pas leur liberté de développer leurs activités économiques au sein du marché intérieur", a souligné la commissaire à la Concurrence Neelie Kroes, dans un communiqué.

"Tout ça doit se faire dans le cadre du droit communautaire et dans le respect des engagements qu'on prend vis-à-vis de nos partenaires européens", a répondu la ministre de l'Economie Christine Lagarde, vendredi lors de ses voeux à Bercy. "Il n'est pas question de ne pas respecter les engagements qu'on a pris vis-à-vis de la Commission."

En confirmant la fermeture de l'usine Fiat implantée en Sicile, l'administrateur délégué du constructeur italien, Sergio Marchionne, a estimé cette semaine que les gouvernements européens avaient tort d'intervenir dans le secteur automobile dans le but de sauver des emplois.

"Nous sommes le plus gros groupe industriel d'Italie, mais nous n'avons pas la responsabilité de gouverner le pays", a-t-il dit. "Le débat s'arrête là."

Outre le fait que la Clio, dont les deux premières générations ont été commercialisées à plus de neuf millions d'exemplaires, est un modèle emblématique pour les Français, l'attitude du gouvernement vis-à-vis de Renault peut s'expliquer par une longue histoire commune depuis l'après-guerre.

Contrairement au groupe PSA Peugeot Citroën, où la famille Peugeot est toujours le principal actionnaire, le groupe au losange, nationalisé à la Libération pour devenir la "Régie nationale des usines Renault", n'a été privatisé que dans les années 1990.

Après l'ouverture d'une partie du capital de Renault au public en 1994 et l'introduction en Bourse du groupe, l'État a ramené en 1996 sa participation à moins de 50% et réduit au fil des années sa présence au capital. Avec 15,01%, il reste le premier actionnaire, mais au coude-à-coude avec Nissan (15%). En revanche, l'État français détenait 18,3% des droits de vote au 31 décembre 2008, contre aucun pour le partenaire japonais de Renault.

Edité par Dominique Rodriguez