par Thierry Lévèque et Gilles Guillaume

Le constructeur automobile a porté plainte contre X dix jours après avoir mis à pied trois cadres soupçonnés d'avoir livré des informations sur son programme de véhicules électriques.

"La plainte vise des faits de vol en bande organisée, d'abus de confiance aggravé et des faits de fourniture d'éléments intéressant le secret économique français à une puissance étrangère", a déclaré le procureur de Paris Jean-Claude Marin à des journalistes.

Prié de dire quel était ce pays, il a répondu: "C'est la position de Renault. Ils citent non pas une puissance étrangère, ils ne citent que des personnes morales de droit privé".

Jean-Claude Marin a refusé de confirmer la piste chinoise régulièrement évoquée dans la presse, tout comme l'avocat de Renault, Jean Reinhart.

"Je peux vous dire qu'il y a beaucoup de nationalités qui ont traversé ce dossier", a déclaré ce dernier à Reuters. "Mais ce n'est pas un pays qui est visé, ce sont des entreprises en tout état de cause."

Le week-end dernier, Patrick Pélata, numéro deux de Renault, avait déclaré que le constructeur était victime d'une filière internationale organisée. Circonstance aggravante, les faits de vol en bande organisée sont passibles de la cour d'assises.

ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE OU INFORMATION JUDICIAIRE

Maintenant qu'il est saisi, le procureur de Paris, magistrat statutairement lié au pouvoir politique en France, peut soit ouvrir une enquête préliminaire qu'il dirigerait, soit ouvrir une information qui serait confiée à un juge d'instruction indépendant.

Cette dernière technique, qui permet légalement des méthodes d'enquête plus coercitives et des investigations à l'étranger, a cependant été presque systématiquement abandonnée en matière financière ces dernières années, un choix critiqué.

Le procureur de Paris a précisé que la plainte était pour l'instant analysée et que la décision formelle d'ouvrir une enquête n'était pas encore prise.

Si une telle enquête est ouverte, elle sera confiée à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), service de police judiciaire spécialisé dans ces questions.

Une source proche du gouvernement avait dit à Reuters la semaine dernière que la DCRI avait déjà travaillé sur ce dossier dans un cadre de renseignement pur, puisqu'elle est aussi un service secret placé sous les ordres du pouvoir exécutif.

CONTRE X

Dans sa plainte, Renault ne nomme pas les trois cadres mis à pied, ne précise pas quels actifs ont été victimes des fuites ni à qui celles-ci auraient pu bénéficier.

"Quand vous déposez contre X, vous dites voilà ce que j'ai pu éventuellement identifier", a expliqué l'avocat de Renault. "Mais vous dites 'il y a peut-être d'autres personnes à découvrir, et je vous invite dans le cadre de votre enquête à le découvrir'".

Jean Reinhart est un spécialiste du droit pénal des affaires. Il a notamment conseillé la Société générale dans le procès Kerviel.

Le groupe Renault a reçu mardi les trois cadres qu'il soupçonne, dont un membre du comité de direction, en entretien préalable au licenciement pour faute lourde. Les personnes visées contestent catégoriquement toute malversation et expliquent qu'on ne leur a pas expliqué précisément ce qui leur était reproché.

Plusieurs médias écrivent qu'une enquête menée par une société de renseignement privée a permis de mettre au jour une tentative d'espionnage visant le programme électrique, un pari technologique où Renault a investi avec son partenaire Nissan quatre milliards d'euros.

Patrick Pélata a indiqué que des informations sur l'architecture, les coûts et le modèle économique du programme électrique avaient pu filtrer en dehors de l'entreprise, mais qu'aucune "pépite technologique" n'avait pu fuiter.

Les investigations auraient permis selon la presse de découvrir dans deux cas des comptes à l'étranger profitant à deux des cadres, approvisionnés à hauteur de 130.000 et 500.000 euros respectivement, qui proviendraient d'une société chinoise.

La ministre de l'Economie Christine Lagarde a déclaré jeudi sur France Inter qu'elle ne souhaitait pas commenter l'affaire puisque la justice allait être saisie.

Elle a refusé de nommer la Chine. "Je dis avec force qu'il n'y a aucune raison d'incriminer tel ou tel pays, ou telle filière d'espionnage industriel tant qu'on n'a pas les éléments de fait pour prouver quoi que ce soit", a-t-elle expliqué.

Devant l'évocation d'une piste chinoise, Pékin a rejeté de son côté des accusations "sans fondement et irresponsables".

Avec Helen Massy-Beresdorf, édité par Yves Clarisse