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(Easybourse.com) Quel est votre sentiment concernant les différents records atteints par le prix du baril depuis quelques mois ?
Nous nous inscrivons dans une problématique générale d'une demande au niveau mondial qui, depuis quelques années, croît beaucoup plus rapidement qu'auparavant.
Par ailleurs l'offre a du mal à suivre le rythme de croissance de cette demande.
C'est ce qui explique globalement la forte hausse des prix et le fait que nous soyons passés d'un baril de pétrole de 30 $ il y a cinq ans à plus de 120 $ aujourd'hui.

Par ailleurs, les tensions géopolitiques, la saisonnalité de la demande et les conditions climatiques peuvent fortement influencer l'évolution des prix à très court terme. Ainsi, au mois de janvier 2007, un hiver très doux aux États-Unis avait fait plonger le prix du baril à 51 $.

De quelle manière expliquez-vous le fait que le baril ait dépassé les 127 $ ces derniers jours?
Tout d'abord, il y a eu plusieurs problèmes sur le marché du charbon, que ce soit en Australie, en Afrique du Sud ou en Chine, suite notamment à d'importantes inondations qui ont sévèrement affecté la production. Or le charbon est une source très importante de génération d'électricité en Chine. Le pays a dû compenser en utilisant des produits pétroliers. Le Japon connaît également des difficultés au niveau de sa production d'électricité d'origine nucléaire et doit compenser de la même manière. Ces éléments de demande additionnelle ont renforcé les tensions sur le marché.

Du côté de la production, les problèmes au Nigeria (conflit armé) et au Venezuela (nationalisation des ressources) limitent la production, alors que les trois grands pays exportateurs non-OPEP, la Russie, la Norvège et le Mexique, ont enregistré des baisses de production.

Les tensions d'offre/demande se sont donc accentuées sur le court terme et expliquent l'augmentation du prix du baril jusqu'à 100/110 $.

Le prix du baril a dépassé les 127 $...
D'autres éléments plus psychologiques, et donc difficiles à quantifier, ont accentué les pressions du marché.

Les plus significatives sont la faiblesse du dollar et les pressions inflationnistes, qui ont amené certains investisseurs à se protéger contre ces deux problématiques en achetant des futurs sur le pétrole ou en adoptant des stratégies de gestion short dollar / long pétrole.
Autre élément, les fonds de commodities qui ont bénéficié ces derniers mois d'importants flux financiers pour investir directement sur les matières premières.

Pour certains, le prix du baril ne pourrait pas retomber en dessous de 90 $. Qu'en pensez-vous?
Même s'il demeure possible d'avoir sur une courte période un baril de pétrole qui atteint les 80 $, il semble difficile de concevoir sur le long terme un prix plancher en dessous des 90 $, voire 100 $.

L'industrie du pétrole va avoir besoin d'énormes investissements dans les années à venir pour développer de nouveaux projets qui sont toujours plus complexes, plus profonds et donc plus coûteux.
L'agence internationale de l'énergie estime ainsi les besoins en investissements dans le secteur de l'énergie au sens large à 22 trillions de dollars d'ici 2030, dont la moitié pour l'industrie du pétrole.
Enfin, même les pays de l'OPEP ont besoin de prix élevés. Ils subissent également la hausse des coûts de développement et d'exploitation et doivent par ailleurs répondre aux besoins de leurs populations dont la croissance démographique est très forte.

Quelles sont les perspectives d'ici à la fin de l'année ?
Nous pourrions donner une fourchette qui se situe entre 90 $ et 115 $.

Jusqu'en septembre, il est peu probable de voir une baisse importante des prix. Nous allons en effet entrer dans l'été qui est une période de plus forte consommation. Cette période de juin à septembre a également pour caractéristique de voir de multiples ouragans dans le Golfe du Mexique, ce qui signifie des risques d'interruptions de production.

Est-il opportun pour un investisseur de placer son argent sur le marché du pétrole en ce moment? Quelle stratégie est-il intéressant d'adopter?
Aujourd'hui, avec un prix du baril à 120/125$, investir sur le marché du pétrole par le biais d'ETF qui répliquent le prix du pétrole, me semble risqué.
Si on ne s'attend pas à une baisse significative du prix du baril, on ne s'attend pas non plus, hors élément exceptionnel, à un prix qui atteindrait les 150 $ dans les six prochains mois.

De ce fait, je préfère m'intéresser aux sociétés cotées. Le marché actions ne valorise jamais le prix spot. Les sociétés pétrolières sont évaluées davantage en utilisant un prix du baril sur le long terme autour de 65/70 $.

Depuis le début de l'année, même s'il a également été impacté par la crise financière, le secteur a mieux résisté que le reste du marché. Cependant, au vu des fondamentaux et des critères de valorisation, nous pensons qu'il reste un potentiel important de revalorisation et donc de performance.

Quels sont les segments à favoriser selon vous?
Compte tenu du prix élevé du baril et des besoins importants en investissement, nous mettons l'accent sur les sociétés d'exploration de production, en favorisant celles ayant de fortes croissances de production afin d'avoir un effet de levier supplémentaire, et sur les sociétés de services pétroliers.

Quelles sont les caractéristiques du fonds investi dans les valeurs pétrolières que vous gérez ?
Le fonds SGAM Invest Secteur Energie, contient environ 55 valeurs.
Le turnover se situe entre 100 et 150 %. Le secteur se caractérise par une volatilité importante.

L'horizon de placement est en moyenne de trois à cinq ans.

En 2007, le fonds a enregistré une performance de +20,6% contre +17,1% à son indice de référence. Depuis le début de l'année (jusqu'au 14 Mai), les chiffres sont de +4,8% et +1,2% respectivement.

Diriez-vous que les mêmes raisons qui sont à l'origine de l'explosion du prix du baril de pétrole expliquent la flambée des prix des matières premières agricoles?
En partie. Du coté de la demande, un paramètre déterminant réside dans l'évolution de la consommation alimentaire de la population des grands pays en développement comme la Chine ou encore l'Inde. L'urbanisation amène généralement des changements dans les habitudes alimentaires, à savoir plus de consommation de protéines animales, ce qui nécessite l'utilisation de davantage de céréales pour la production.

S'agissant de l'offre, des difficultés ont été rencontrées dans de grands pays producteurs de céréales comme l'Australie qui a connu des phases de sécheresse significatives.

Par ailleurs, un élément amplificateur est lié aux politiques gouvernementales de subventions des biocarburants. Une partie de la production de céréales est donc détournée de la chaîne alimentaire pour être transformée en produits pétroliers.

Pour certains experts, notamment le porte-parole des questions énergétiques de la Commission européenne, le rôle des biocarburants dans la flambée des premières agricoles est insignifiant.
Le problème des biocarburants accentue les tensions déjà existantes qui s'expliquent par le déséquilibre entre l'offre et la demande.

Dans un marché tendu, une demande marginale supplémentaire se traduit immédiatement au niveau des prix. Or, actuellement, les stocks de céréales se situent à des niveaux historiquement bas.

On parle d'un point de vue technologique des biocarburants de deuxième et troisième génération, mais il faudra attendre une dizaine d'années avant d'avoir une production significative.

Par ailleurs, les bienfaits des biocarburants d'un point de vue environnemental peuvent dans certains cas être sérieusement mis en doute. En Indonésie, la demande en huile de palme pour la production de biocarburants a amené à des déforestations, autrement dit à un bilan écologique négatif.

Quelle est votre stratégie d'investissement concernant les matières premières agricoles ?
Nous n'investissons pas dans les sociétés spécialisées dans le biocarburant, le modèle de ces sociétés s'étant en partie effondré en raison d'un équilibre économique difficile à trouver.

Dans notre fonds SGAM Invest Secteur Matières Premières, nous sommes investis dans des sociétés qui produisent des engrais ou des produits agrochimiques permettant de produire plus, mieux et donc d'augmenter les rendements agricoles.

Vous ne jouez pas les matières premières agricoles directement?
D'une part nous n'avons pas le droit de le faire. D'autre part compte tenu de la météorologie, il est très compliqué d'investir sur les matières premières agricoles elles-mêmes car il est difficile de faire des prévisions exactes sur les prix. La volatilité est très importante.

Prenons un exemple : Si les prix montent énormément sur le maïs, tous les céréaliers aux États-Unis vont produire du maïs. Le prix du maïs va s'effondrer en conséquence et à la place le prix du blé verra son cours augmenter.

Quel regard portez-vous sur les répercussions de la flambée des prix des matières premières agricoles sur les valeurs industrielles agro alimentaires ?
Ce ne sont pas des sociétés qui entrent dans le champ de mes investissements.

Cependant, parce qu'il sera difficile de répercuter entièrement sur les consommateurs les hausses des matières premières agricoles, ces sociétés devront soit faire des sacrifices au niveau de leurs marges, soit mettre encore plus de pression sur leurs fournisseurs.

Les prix des matières premières agricoles ont-ils vocation à rester élevés ?
On peut considérer que la tendance de fond concernant la demande n'a pas vocation à s'arrêter. Les prix des matières premières agricoles vont rester à un niveau plus élevé qu'historiquement.

Mais ces prix sont beaucoup plus volatils et dépendants de facteurs climatiques. Il suffit que nous ayons une année avec un très bon climat et de très bonnes récoltes pour que la pression diminue.

Quelles évolutions sont à prévoir sur les conséquences sociales de cette forte augmentation ?
Parce qu'on touche directement la poche du consommateur et donc de l'électeur, je pense qu'il y aura à un moment donné, des réponses gouvernementales dans le sens d'une politique moins favorable aux biocarburants.

Finalement que répondez vous à ceux qui estiment qu'investir sur les matières premières est très risqué car les prévisions sur les évolutions des cours sont très difficiles à établir et que des corrections sont très probables ?
Il n'y a pas de bulle spéculative sur les matières premières.

Le développement des pays émergents prendra une dizaine d'années au moins, ce qui implique des prix durablement élevés. Or les valorisations des sociétés du secteur cotées en Bourse se font avec des prix de long terme relativement bas.

De ce fait, le secteur est définitivement un secteur d'investissement à favoriser.

Notre fonds SGAM Invest Secteur Matières Premières a enregistré en 2007 une performance de +22,4% contre +16,2% à son indice de référence. Depuis le début de l'année (jusqu'au 14 Mai), les chiffres sont de +2,7% et -0,6% respectivement.

Toutefois compte tenu de la volatilité du secteur, il est recommandé d'avoir une épargne régulière. Dans ce cas, le retour sur investissement pourrait être très important.

Propos recueillis par Imen Hazgui

- 16 Mai 2008 - Copyright © 2006 www.easybourse.com

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