Photos et vidéo de Daniel MIHAILESCU

ISACCEA (awp/afp) - "Mon mari nous a accompagnés jusqu'à la frontière avant de retourner à Kiev pour lutter", souffle une jeune Ukrainienne en débarquant en Roumanie, pays de l'ex-glacis soviétique en première ligne devant une éventuelle avancée des Russes.

Depuis le lancement de l'offensive jeudi par le président russe Vladimir Poutine, plus de 25.000 réfugiés ont été recensés par la police des frontières.

Accompagnée de ses trois enfants, Olga, qui n'a pas donné son nom de famille, a traversé le Danube pour atteindre le petit port d'Isaccea (est). Cette employée en marketing âgée de 36 ans y passera quelques jours avant de se rendre en Bulgarie.

"Nous ne retournerons plus jamais en Ukraine", lâche, amer, Andrey, un avocat de 40 ans.

Déjà en 2014, il avait fui la région séparatiste du Donbass pour se réfugier à Odessa, avant d'être amené à abandonner une nouvelle fois son chez-soi, avec son épouse et leurs trois fils, raconte-t-il à l'AFP.

Déploiement de renforts

La Roumanie, qui partage une frontière de 650 kms de long avec l'Ukraine, s'estime pour l'instant préservée par son statut de membre de l'Union européenne et de l'Otan.

"Au vu de la dynamique régionale de sécurité, la possibilité que le pays soit la cible d'une action offensive conventionnelle de la Russie est minimale", a assuré samedi le chef de l'état-major des armées, le général Daniel Petrescu.

Mais depuis des mois déjà, face aux tensions croissantes avec Moscou, cet ancien satellite de l'Union Soviétique réclame un renforcement du flanc oriental de l'Alliance atlantique.

Ses appels ont été entendus: les Etats-Unis ont ainsi envoyé en janvier une unité de blindés Stryker et un millier de militaires dans une base située à proximité de la stratégique mer Noire, s'ajoutant aux 900 déjà stationnés en Roumanie.

Six appareils Eurofighter Typhoon des forces aériennes allemandes ont par ailleurs rejoint courant février les quatre appareils italiens qui assurent la police des airs.

Et Emmanuel Macron a annoncé vendredi à Bruxelles que la France allait accélérer le déploiement de quelque 500 soldats, dans le cadre de l'Otan.

"Les Roumains sont, à juste titre, soucieux de renforcer leur propre sécurité", avait déclaré le mois dernier à Bucarest la ministre française des Armées, Florence Parly.

L'île des Serpents aux mains des Russes

La situation s'est encore compliquée à la suite de la prise jeudi par Moscou de l'île des Serpents, un rocher en mer Noire se trouvant à 45 km des côtes roumaines.

Inhabité mais revêtant une importance stratégique, ce minuscule îlot avait fait l'objet d'une dispute entre Bucarest et Kiev avant d'être attribué à l'Ukraine par la Cour internationale de justice de La Haye en 2009.

"Nous allons devoir nous habituer à vivre avec les Russes à nos frontières (...) mais il s'agit de frontières de l'Otan", a déclaré le ministre de la Défense Vasile Dancu.

"La Roumanie ne sera pas seule pour gérer cela, elle bénéficiera de soutien en cas de besoin", a-t-il ajouté.

La présence des Russes à proximité des eaux territoriales roumaines risque en outre de décourager les compagnies qui y disposent de concessions et envisagent d'en exploiter les gisements de gaz qui y ont été découverts, estimées entre 42 et 84 milliards de m3, soulignent les experts.

"Les objectifs du Kremlin ne se limitent pas à l'Ukraine", a averti de son côté le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg.

"Poutine a exigé le retrait des forces de l'Alliance des territoires de tous les pays qui ont adhéré depuis 1997", a-t-il rappelé.

Dans le viseur, le système antimissile de l'Otan hébergé par la Roumanie, que la Russie n'a cessé de dénoncer comme une menace à son encontre, même si l'Alliance insiste sur son but exclusivement défensif.

Inauguré en 2016 et basé à Deveselu (sud), ce bouclier est formé de missiles intercepteurs de type SM-2.

Dans ce contexte tendu, le sociologue Remus Ioan Stefureac voit néanmoins une raison de se réjouir.

"Depuis l'agression contre l'Ukraine, la confiance des Roumains dans l'Union européenne et l'Otan caracole à plus de 80%", souligne-t-il, alors qu'elle avait fléchi ces dernières années, sous le coup notamment des fausses informations disséminées par la Russie.

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