* Abdullah Gül avait déjà critiqué Erdogan mercredi

* Il dénonce le blocage de l'accès à Twitter

* Le gouvernement dit s'appuyer sur des décisions de justice

* Elections municipales le 30 mars (Actualisé avec réaction de la Maison blanche, § 3 avant la fin)

par Orhan Coskun

ISTANBUL, 21 mars (Reuters) - Le président turc Abdullah Gül a une nouvelle fois pris publiquement vendredi ses distances avec Recep Tayyip Erdogan, jugeant inacceptable que le Premier ministre ait ordonné un blocage complet du réseau social Twitter en s'appuyant sur des décisions de justice.

Mercredi déjà, le chef de l'Etat, en visite au Danemark, s'était démarqué d'Erdogan, issu comme lui de l'AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis onze ans, en rejetant la thèse selon laquelle la vaste affaire de corruption qui ébranle le gouvernement depuis décembre était le fruit d'un complot ourdi à l'étranger. (voir )

Twitter a déclaré vendredi qu'il espérait que l'accès au réseau social en Turquie puisse être rétabli prochainement.

S'exprimant lui-même sur Twitter, Abdullah Gül a critiqué le blocage des réseaux sociaux et estimé que seules les pages personnelles sur internet devaient être visées en cas d'atteinte à la vie privée. Il a dit espérer que la mesure imposée vendredi par le gouvernement turc serait de courte durée.

Les autorités d'Ankara ont confirmé avoir bloqué l'accès au site Twitter, mis en cause quelques heures plus tôt par le Premier ministre, justifiant leur initiative par des décisions de justice.

L'office de régulation des télécommunications, TIB, précise sur son site internet avoir auparavant demandé sans succès à Twitter de retirer certains contenus à la suite de plaintes d'utilisateurs sur le respect de la vie privée.

"Parce qu'il n'y avait pas d'autre choix, l'accès à Twitter a été bloqué conformément à des décisions de justice visant à protéger les citoyens", souligne le communiqué.

COLÈRE D'ERDOGAN

Le vice-Premier ministre, Ali Babacan, a estimé que le blocage ne devrait être que "temporaire" et émis le souhait qu'une solution soit rapidement trouvée avec Twitter.

La mesure de blocage semble avoir été rapidement contournée par les internautes turcs ayant recours à des réseaux privés virtuels (VPN) tandis que le hashtag #TwitterisblockedinTurkey est devenu un sujet de discussion majeur sur le réseau social.

Les utilisateurs de Twitter ont dénoncé un "coup d'Etat digital" comparant la Turquie à l'Iran ou à la Corée du Nord.

Le ministre turc de l'Industrie a jugé que le contentieux pouvait être réglé si des représentants de la firme de San Francisco venaient en Turquie et acceptaient d'imposer un blocage de certains comptes personnels.

Jeudi, Recep Tayyip Erdogan, lors d'un meeting en vue des élections municipales du 30 mars, s'en est pris vivement au site de microblogging, auquel il reproche d'alimenter la contestation et qu'il a promis de "balayer".

"La communauté internationale peut dire ceci ou cela, je m'en moque totalement. Tout le monde verra à quel point la République de Turquie est puissante", a lancé le chef du gouvernement.

Akif Hamzacebi, un dirigeant du Parti républicain du peuple (CHP), principale formation d'opposition, a déclaré à Reuters que son parti allait exercer un recours en justice et déposer une plainte contre Recep Tayyip Erdogan pour violation des libertés individuelles. L'association des avocats de Turquie a également déposé un recours.

WASHINGTON "PROFONDÉMENT PRÉOCCUPÉ"

Les autorités turques n'ont pas l'intention de bloquer l'accès à d'autres réseaux sociaux, comme Facebook, a précisé à Reuters un responsable turc.

Les Etats-Unis sont "profondément préoccupés" par "cette restriction de l'accès du peuple turc à l'information, qui sape leurs libertés d'expression et d'association (...), essentiels à l'exercice d'un gouvernement démocratique et aux droits universels", a dit le porte-parole de la Maison blanche, Jay Carney.

A Paris, le ministère des Affaires étrangères a jugé la décision d'Ankara "choquante" et "contraire aux libertés d'expression et de communication". L'Allemagne a également protesté.

Le commissaire européen à l'Elargissement, Stefan Füle, a aussi fait part sur Twitter de sa "grave préoccupation". (Henri-Pierre André, Tangi Salaün, Guy Kerivel et Simon Carraud pour le service français, édité par Bertrand Boucey)

Valeurs citées dans l'article : Twitter Inc, Google Inc, Facebook Inc