La Haye (awp/afp) - La décision du groupe américain Kraft Heinz de renoncer "à l'amiable" à son offre sur l'anglo-néerlandais Unilever montre à quel point une OPA hostile sur une société des Pays-Bas peut s'avérer ardue, assurent les experts, évoquant un véritable arsenal de lois et régulations.

Mais même la convoitise d'un prédateur potentiel peut être utile, si cela permet aux cibles potentielles d'aiguiser leurs armes, ajoutent-ils.

Dimanche, Kraft Heinz avait renoncé à créer un mastodonte mondial de la grande consommation en retirant son offre, qui valorisait Unilever à quelque 143 milliards de dollars. Le groupe de Rotterdam l'avait jugée trop faible, disant n'y voir "aucun avantage, qu'il soit financier ou stratégique" pour ses actionnaires.

"Nous ne savons pas vraiment ce qu'il s'est passé en coulisses", assure à l'AFP Peter Roosenboom, professeur de finance à l'université de Rotterdam : "Kraft Heinz pensait faire un deal à l'amiable mais ils ont fait une erreur".

"Historiquement, les sociétés néerlandaises ont recours à de nombreux outils de défense" pour se protéger contre les acquisitions hostiles. Et bien que de nombreuses d'entre elles ont été démantelées ces quinze dernières années, "cela reste très difficile d'acquérir une société cotée de manière hostile".

Selon lui, Kraft Heinz a peut-être décidé d'annuler l'offre avant qu'elle ne se transforme en OPA hostile après avoir réalisé "que cela allait être une bataille difficile pour obtenir la signature finale".

PROTECTION UNIQUE

Les sociétés néerlandaises sont protégées par un unique arsenal de lois et régulations qui rendent les OPA hostiles très difficiles, voire impossibles, comme peut en témoigner Carlos Slim, le propriétaire d'America Movil. Le groupe mexicain avait abandonné en 2013 une offre valorisant l'opérateur de télécoms KPN à 10,2 milliards de dollars, après des mois de négociations.

Elles sont ainsi obligées d'examiner l'offre et de décider si celle-ci est dans l'intérêt de tous les actionnaires, de la direction, des employés, des clients, des créditeurs, des fournisseurs et si elle est favorable à l'environnement.

Ce modèle est différent de ceux en vigueur aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, "où la seule responsabilité du conseil d'administration repose sur les actionnaires", assure Martijn Kesler, un avocat spécialisé dans le droit des affaires à Amsterdam.

Le gouvernement néerlandais avait introduit une proposition de loi récemment qui lui donnerait le pouvoir de bloquer ou d'annuler les acquisitions de sociétés dans le secteur des télécoms, au nom de la "sécurité nationale". La Haye avait également annoncé réfléchir à d'autres secteurs.

La culture au sein d'Unilever, qui se présente comme un défenseur de l'environnement, est différente de celle de Kraft Heinz, et de son grand actionnaire le fonds 3G, assurent les experts, ajoutant que le fonds brésilien est connu pour son "approche brutale" quand il est question de coûts et d'emplois.

"Le résultat net est l'aspect le plus important pour les propriétaires de Kraft Heinz", assure Joost van Beek, de la banque d'investissements Theodoor Gilissen.

"Si l'offre avait été acceptée, je crois que des milliers d'emplois néerlandais auraient été perdus", a-t-il ajouté.

"PILULE EMPOISONNÉE"

L'une des mesures les plus célèbres, et celle à laquelle KPN a eu recours, est la "pilule empoisonnée". Une fondation officiellement indépendante, mais liée au groupe ciblé, peut exercer un droit d'option et acheter soudainement de nouvelles actions lui allouant plus de 50% des parts.

"Il s'agit d'une construction très puissante car les administrateurs de la fondation sont proches de la direction du groupe", assure Martijn Kesler.

"Je ne serai pas surpris si Unilever a des mesures similaires en place pour le protéger de toute tentative", a-t-il ajouté, soulignant néanmoins que l'offre avait montré que le groupe reste vulnérable.

"Cela va peut-être le forcer à retrouver la forme, être plus efficace et à rester vigilant", assure M. Roosenboom.

"C'est probablement le meilleur moyen pour que les actionnaires soient heureux et s'assurer de ne plus recevoir ce genre d'attentions", a-t-il ajouté.

afp/fah