par Sarah White et Tommy Wilkes

LONDRES, 24 janvier (Reuters) - Nombre de "hedge funds" se sont récemment plongés dans les notes de bas de page de l'accord de sauvetage de la Grèce pour se préparer à d'éventuelles procédures judiciaires susceptibles de leur assurer de meilleures conditions de remboursement.

La plupart des investisseurs qui porteraient le dossier devant la justice risquent d'éprouver les plus grandes difficultés pour l'emporter face à Athènes mais certains, qui ont choisi avec soin des titres dont les conditions sont plus favorables, ont davantage de chances de succès.

Cette perspective est si préoccupante que les responsables impliqués dans les négociations avec les représentants du secteur privé sur le projet d'échange de dette s'attachent à préserver la confidentialité des discussions, pour ne pas faciliter d'éventuels recours juridiques des fonds, expliquent des sources proches des pourparlers.

Plus la Grèce se rapprochera d'un défaut non maîtrisé, dans le cadre duquel elle imposerait des pertes à ses créanciers sans accord préalable, plus ces derniers seront enclins à emprunter la voie judiciaire. C'est l'une des raisons pour lesquelles Athènes cherche à obtenir des porteurs privés d'obligations qu'ils acceptent un échange volontaire de titres.

Si un tel accord n'est pas applicable à la mi-mars, lorsque la Grèce devra faire face à 14,5 milliards d'euros d'échéances, elle risque d'être contrainte à un défaut non maîtrisé.

"Si le chemin suivi (en Grèce) n'est pas volontaire, il y aura des poursuites judiciaires", estime Rodrigo Olivares-Caminal, spécialiste du droit bancaire et financier à l'université Queen Mary de Londres.

Un avocat spécialisé dans la restructuration de dette a déclaré mardi avoir été contacté par des fonds souhaitant étudier les options juridiques envisageables concernant la Grèce. Et plusieurs fonds ont eux-mêmes déclaré à Reuters évaluer les stratégies à mettre en oeuvre en cas de pertes forcées.

LE CHOIX DU DROIT BRITANNIQUE

Les tactiques possibles pour les hedge funds sont elles aussi diverses. Bon nombre d'entre eux préféreront éviter la voie judiciaire, surtout s'ils peuvent tirer profit de la différence entre le niveau des pertes imposé par un accord et le prix auquel ils auront payé leurs titres sur le marché secondaire.

D'autres peuvent espèrer obtenir un remboursement intégral si une proportion suffisante de créanciers privés - banques et assureurs pour l'essentiel - souscrivent à l'échange de titres.

La Grèce prévoit, si elle obtient l'accord d'environ deux tiers des créanciers privés, d'adopter des lois permettant de contraindre les porteurs d'obligations réticents à échanger leurs titres, ce qui devrait concerner en particulier des hedge funds, ont déclaré des sources à Reuters.

Pour éviter une telle éventualité, certains fonds achètent des titres grecs régis le droit britannique ou d'autres législations, dont le montant global représente 18,3 milliards d'euros, ont dit des sources du secteur et juridiques. Ces titres seraient en effet épargnés par une modification du droit grec.

Les obligations de droit britannique prévoient des "clauses d'action collective" pour forcer l'application d'un accord mais celles-ci spécifient que la Grèce devrait atteindre un taux d'acceptation de 75% des créanciers, un seuil sans doute supérieur à celui que fixeraient les textes grecs.

Ces titres incluent aussi des clauses qui pourraient favoriser les fonds contraints à un échange non souhaité, en leur permettant de plaider un traitement inégalitaire par rapport à d'autres créanciers, à commencer par la Banque centrale européenne (BCE), qui détient pour environ 45 milliards d'euros d'obligations d'Etat grecques.

GAGNER N'ASSURE PAS D'ÊTRE PAYÉ

Les obligations de droit britannique prévoient en effet des clauses "pari passu" qui impliquent que tous les créanciers doivent être traités sur un pied d'égalité.

Pour l'instant, la BCE s'est montrée réticente à participer à un échange de titres. Mais si la Grèce forçait des fonds à assumer leurs pertes, les détenteurs de ces obligations de droit britannique pourraient arguer du caractère discriminant de l'"immunité" de fait dont bénéficierait la BCE.

La situation deviendrait problématique si des hedge funds détenaient une proportion suffisante des titres de droit britannique pour empêcher l'application des clauses d'action collective sur certaines émissions. Mais aucun élément ne prouve pour l'instant que cette hypothèse - qui rendrait très difficile un accord global - soit susceptible de se vérifier, selon les source contactées par Reuters.

Poursuivre un Etat en faillite reste par ailleurs risqué: certains fonds spécialistes de ce genre de tactique ont certes gagné en justice contre l'Argentine mais ils n'ont toujours pas réussi à se faire payer par Buenos Aires.

Reste l'espoir que la Grèce, soucieuse de restaurer sa réputation d'emprunteur fiable, préfère un accord amiable avec les créanciers réticents plutôt qu'une bataille judiciaire susceptible de durer des années.

"La stratégie privilégiée ne sera probablement pas celle d'une décision judiciaire après des procédures prolongées", estime Steven Friel, associé du cabinet juridique Brown Rudnick.

"Il est beaucoup plus probable que les porteurs d'obligations travaillent à un accord amiable, en utilisant si nécessaire la menace de poursuite comme levier pour négocier un meilleur accord." (Marc Angrand pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat)