par Christian Lowe

Le rouble souffre depuis des mois déjà de la chute des cours du pétrole mais Poutine a exclu toute dévaluation importante de la monnaie nationale, de peur qu'elle ravive chez ses compatriotes les souvenirs douloureux de la crise économique de 1998.

Les autorités ont donc opté, faute de mieux, pour une approche très graduelle consistant à dévaluer le rouble régulièrement mais faiblement à chaque fois. Lundi, la banque centrale a ainsi laissé se dérouler la neuvième "mini-dévaluation" depuis le début du mois.

Mais aux yeux des analystes, cette politique est loin d'être indolore: elle provoque en effet le gel des flux financiers car les banques, les investisseurs et les consommateurs, qui anticipent une poursuite de la dépréciation de la monnaie sans connaître son ampleur, changent leurs avoirs en devises étrangères et limitent leurs dépenses.

Pour Chris Weafer, directeur de la stratégie du groupe de services financiers Ouralsib, les autorités "doivent peser le pour et le contre entre ce qui apparaît comme la nécessité évidente d'une dévaluation et les risques politiques engendrés par le fait d'éviter une déclaration suffisamment claire de la part du Premier ministre".

LE SPECTRE DE LA CRISE DE 1998

Le ralentissement de l'économie russe confronte d'ores et déjà le Kremlin à son plus important défi depuis le début de la décennie: il menace en effet d'interrompre la croissance des revenus des Russes, sur laquelle Poutine à bâti sa popularité et assis sa mainmise sur les leviers du pouvoir.

Depuis le début de l'année, le rouble a perdu 17% de sa valeur face à un panier de référence mélangeant l'euro et le dollar, en dépit des interventions de la banque centrale qui ont déjà amputé ses réserves de change de plus de 100 milliards de dollars.

Les marchés boursiers ont parallèlement chuté de 70% environ par rapport aux pics atteints en mai et les analystes interrogés par Reuters s'attendent à ce que l'économie plonge dans la récession l'an prochain, pour la première fois en 10 ans.

Certains observateurs estiment que le Kremlin, de peur de voir se répéter la crise de 1998, marquée par un effondrement du rouble et une chute de la popularité du gouvernement de l'époque, ne fait qu'aggraver la situation.

"Les tentatives de la banque centrale de contrôler le marché ne vont pas seulement réduire ses réserves, mais aussi anéantir la croissance économique car l'argent va s'immobiliser", résume Ievgueni Gavrilenkov, chef économiste de la banque d'investissement Troika Dialog, dans une note de recherche.

"Les arriérés de salaires et de taxes font leur apparition tandis que les marchés du crédit restent gelés, ce qui constitue un nouveau rappel de la situation de 1998."

Des entreprises comme Toyota ont déjà choisi d'indexer leurs prix de vente en Russie sur l'évolution du dollar, assumant ainsi leur défiance vis-à-vis du rouble.

Des entreprises russes incapables d'obtenir des crédits et des liquidités ont licencié une partie de leur personnel. Lundi, le gouvernement a reconnu que les demandes d'indemnisation chômage pourraient bondir de 69% l'an prochain.

LE NIVEAU DE VIE DES RUSSES MENACÉ

Cette dégradation constitue évidemment un risque politique pour Poutine, qui reste le dirigeant le plus puissant du pays même s'il a cédé la présidence à Dmitri Medvedev en mai pour prendre la tête du gouvernement.

Leonid Sedov, chercheur à l'institut de sondages indépendant Levada Centre, explique que les cotes de popularité de Poutine et Medvedev restent pour l'instant à peu près stables mais il ajoute que de plus en plus de Russes se disent prêts à participer à des manifestations.

Signe de la nervosité croissante du Kremlin, la police anti-émeutes a récemment dispersé une manifestation contre un projet de hausse des taxes à l'importation à Vladivostok, sur la côte pacifique, et interpellé plusieurs dizaines de personnes.

"Nous entrons dans une période au cours de laquelle des millions de personnes vont perdre leur emploi, leurs économies, et pendant laquelle leur niveau de vie va fortement diminuer", estime Gary Kasparov, l'ancien champion du monde d'échecs aujourd'hui figure de l'opposition à Poutine. "Ces gens devront désigner un responsable."

Certains investisseurs estiment que la banque centrale pourrait profiter des congés prolongés du Nouvel An - du 1er au 11 janvier - pour procéder à une dévaluation plus importante du rouble sans trop attirer l'attention. Mais d'autres estiment que les mini-dévaluations vont se poursuivre.

"J'ai le sentiment qu'ils vont continuer cette stratégie et procéder à une dévaluation (graduelle) pour des raisons politiques même si, du point de vue économique, il vaudrait mieux procéder en une seule fois et dire: 'C'est fait'", explique Weafer, d'Ouralsib.

"Pour la population, la dévaluation est associée à la crise politique. Le gouvernement a tout simplement peur qu'une dévaluation réveille ce genre de souvenirs."

Version française Marc Angrand