* Moscovici connaissait le compte Cahuzac dès décembre-presse

* Le ministre de l'Economie oppose un démenti formel

* Deux élus qui se sont rendus à Bercy restent peu convaincus (Actualisé avec Carrez, Marini, Moscovici)

PARIS, 11 avril (Reuters) - Le ministre français de l'Economie, Pierre Moscovici, a farouchement nié jeudi avoir connu depuis décembre 2012 l'existence du compte suisse de l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac, comme l'écrit Valeurs actuelles.

Selon l'hebdomadaire, il aurait secrètement chargé une quinzaine de fonctionnaires d'obtenir des informations des autorités suisses dans le cadre de ce que Bercy a appelé l'opération "Muraille de Chine" pour isoler Jérôme Cahuzac, qui a avoué la semaine dernière avoir un compte à l'étranger.

Interrogé par Reuters en marge d'une conférence jeudi à Paris, Pierre Moscovici a déclaré : "J'oppose à ça un démenti formel".

Pour tenter de vérifier les allégations de l'hebdomadaire, les présidents des commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, les UMP Gilles Carrez et Philippe Marini, se sont rendus dans l'après-midi au ministère de l'Economie.

Ils ont déclaré à l'issue d'un entretien avec Bruno Bézard, le directeur général des finances publiques, être restés sur leur "faim" et ne pas avoir été "convaincus" par tous les arguments de Bercy.

Philippe Marini a estimé que l'envoi d'une mission en Suisse, comme l'a laissé entendre l'hebdomadaire, était peu vraisemblable, mais que des échanges et des contacts informels avaient pu avoir lieu.

"Il est peu plausible qu'il y ait eu une mission diligentée en Suisse, ce genre de choses nous n'y croyons pas", a-t-il dit.

"Maintenant, est-ce qu'il y a eu des échanges préalables, des consultions, des coups de téléphone entre responsables fiscaux suisses et français avant l'envoi de la demande officielle, le 24 janvier ? Je pense invraisemblable qu'il n'y ait pas eu des contacts préalables", a-t-il ajouté.

Les deux élus ont également estimé que Pierre Moscovici n'avait pas suffisamment incité Jérôme Cahuzac, "qui a gagné du temps", à actionner sans attendre la demande d'entraide fiscale avec la Suisse, finalement effectuée le 24 janvier.

Ils ont précisé avoir demandé communication de toute une série de documents leur permettant un examen plus approfondi.

"Je retiens qu'ils n'ont trouvé aucun élément qui venait confirmer les allégations mensongères de Valeurs actuelles", a réagi Pierre Moscovici après la visite des deux parlementaires.

Il a annoncé le dépôt d'une plainte en diffamation contre l'hebdomadaire.

Dans un communiqué, le ministre avait auparavant démenti que ses services se soient rendus en Suisse, "ce qui ne serait pas conforme au droit international", et qu'il y ait eu "une demande de l'administration fiscale à son homologue suisse", "sous une forme ou sous une autre, formelle ou informelle, écrite ou orale" avant la procédure qu'il a déclenchée le 24 janvier.

AFFRONTER LES REPROCHES AVEC "FERMETÉ"

Interpellé par l'opposition lors des questions d'actualité au Sénat, Pierre Moscovici a cité Sophocle pour qui "il n'est pas de chose plus blessante qu'un reproche injuste".

"Quand on a rien à se reprocher, on affronte les reproches avec fermeté", a-t-il lancé, mettant en garde contre toute volonté de "transformer la faute d'un homme en attaque contre un gouvernement, contre un ministre intègre."

Pour Valeurs actuelles, "la démarche de Pierre Moscovici, qui consiste, le 24 janvier, à demander aux autorités helvétiques si Jérôme Cahuzac disposait d'un compte à l'UBS entre 2006 et 2012 avait quelque chose de surréaliste".

Soupçonné par l'opposition d'avoir cherché à couvrir Jérôme Cahuzac en faisant une demande "sur mesure" aux autorités helvétiques, Pierre Moscovici s'est défendu pied à pied depuis le début du mois de toute complaisance ou faille dans l'enquête diligentée auprès de la Suisse.

Citant un haut fonctionnaire à Bercy, qui n'est pas nommé, l'hebdomadaire laisse entendre que François Hollande et le ministre de l'Intérieur Manuel Valls ont été informés par le ministre de l'Economie du résultat des vérifications.

Pas moins de trois services auraient été mobilisés pour vérifier les révélations, début décembre, du site d'informations Mediapart : la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), la Direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF) et la Direction nationale des vérifications de situations fiscales, avance Valeurs actuelles.

Pour preuve de sa bonne foi, Pierre Moscovici a transmis la semaine dernière aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des Finances du Parlement les documents échangés entre les administrations fiscales française et suisse.

Mais il n'a pas totalement convaincu Gilles Carrez et Philippe Marini, qui lui reprochent un recours par trop partiel à la convention d'entraide fiscale en vigueur depuis 2009 entre la France et la Suisse.

La question de savoir si Jérôme Cahuzac disposait d'un compte portait en effet sur la période 2006-2013 - 2006 étant la date de prescription fiscale française - et sur la seule banque UBS citée par Mediapart. Il n'y a pas eu non plus de démarche auprès de Singapour. (Gérard Bon, avec Michel Rose et Jean-Baptiste Vey, édité par yann le Guernigou)